Mammouths, tigres à dents de sabre et pyramides au menu de ce blockbuster de Roland Emmerich

Une fois de plus, Roland Emmerich repousse les limites des effets spéciaux pour nous plonger dans notre lointain passé, un passé imaginaire, mais diablement spectaculaire, avec des mammouths et tigres à dents de sabre au pied des pyramides d'Egypte ! Pixelcreation a pu rencontrer les petits génies qui ont créé cet univers.

Le réalisateur Roland Emmerich est un fin connaisseur des effets visuels. Dès ses premiers films américains, il a su repousser les limites de la technologie afin de mettre en scène des images comme on n’en avait encore jamais vues. Dans Stargate, il présentait les tout premiers figurants virtuels. Deux ans plus tard, des vaisseaux spatiaux 3D aidaient Independence Day à remporter l’Oscar des effets visuels. En 1997, nouveau défi avec le colossal Godzilla au réalisme bluffant. En 2000, ce sera Patriot et ses armées générées par ordinateur. Quatre ans plus tard, les impressionnantes simulations de neige et glace du Jour d’Après rapporteront au film une nomination bien mérité à l’Oscar.
Pour le film 10000 (10.000 BC en anglais), il a de nouveau fait confiance au superviseur des effets visuels Karen Goulekas avec qui il avait déjà collaboré quatre fois. Le film raconte l’aventure d’un jeune homme, D'leh, dont la tribu est victime d’un raid mené par de mystérieux guerriers. La femme qu’il aime ayant été enlevée, il se lance à sa poursuite et pénètre pour cela en territoire inconnu… Située 10.000 ans avant Jésus-Christ, l’action met en scène des animaux mythiques de la préhistoire, comme les mammouths et les tigres à dents de sabre, sans oublier des créatures purement imaginaires. Un beau défi pour les équipes d’effets spéciaux, en tête desquelles on trouve Double Negative (170 plans) et MPC (150 plans).

Les tigres à dents de sabre et oiseaux de terreur de Double Negative :
Chez Double Negative, le superviseur des effets visuels Jesper Kjolsrud et le superviseur 3D Alex Wuttke ont fort à faire. “Comme nous n’avions encore jamais mené de projet qui nécessitait autant d’animation 3D, nous avons commencé par mettre en place un pipeline logiciel capable de traiter ce type de travail,” raconte Wuttke. “Basé sur Maya, RenderMan et Shake, ce pipeline a simultanément été utilisé sur Harry Potter et l’Ordre du Phénix où nous devions créer le géant Graup. Pour 10000, l’outil le plus important à développer était le simulateur de poils. Nous devions en effet créer un tigre à dents de sabre (fourrure) et des oiseaux géants en forme d’autruche (plumes).”
La première étape consiste à scanner des prototypes en volume fabriqués par le studio du Français Patrick Tatopoulos, designer des créatures. Puis, la morphologie est modifiée pour mieux correspondre aux besoins de l’animation 3D. Parallèlement, les modeleurs effectuent des recherches sur l’anatomie des tigres à dents de sabre ; il existe de nombreux squelettes de cet animal dans des musées à travers le monde. Ce faisant, ils réalisent que la créature souhaitée par Emmerich ne correspond pas du tout à la réalité du fauve…
“Notre tigre devait être absolument photoréaliste, mais sous cette forme, il s’agissait d’un animal imaginaire,” confirme Wuttke. “Ce tigre à dents de sabre est en fait un croisement de lion et de tigre. Parallèlement au défi posé par la fourrure, la créature exigeait un important travail de recherche et de développement au niveau de la simulation du glissement de la peau sur les muscles et l’ossature, un phénomène très prononcé chez les grands fauves. Pour Graup, nous avions abordé cette question comme un problème de rigging. Pour le tigre, c’était davantage une simulation. Dans la pratique, nous avons utilisé une simulation de tissu à très haute résolution pour obtenir le mouvement correct de roulement et de glissement de la peau. Nos technical directors responsables de la musculature ont étudié en détail l’anatomie des vrais tigres pour comprendre comment leurs muscles fonctionnaient ensemble, ce qui se passait lorsque certains d’entre eux se contractaient, etc. Quand on voit des muscles bouger sur notre créature, ils le font exactement de la même façon que sur un tigre réel.”
Étant donné la complexité de la fourrure, il s’avère essentiel de trouver des « raccourcis » pour ne pas devoir assurer le rendu de poils haute résolution dans tous les plans. “Nous pouvions déterminer le degré de détail de la fourrure plan par plan,” explique Wuttke. “Nous avons remarqué que, lorsque le tigre se trouvait à une certaine distance, la fourrure haute résolution ne ressemblait plus du tout à de la vraie fourrure. Il fallait tout le temps ajuster le niveau de détail pour obtenir le look adéquat. Le plus difficile a été de réaliser la scène dans laquelle le tigre se retrouve dans une fosse remplie d’eau boueuse. Elle impliquait la combinaison d’une simulation de poils avec une simulation de fluides, deux des choses les plus difficiles à faire en 3D ! Cette séquence a nécessité à elle seule un très gros travail de recherche et développement. Pour résoudre le problème, nous avons procédé par étapes. Premièrement, l’équipe a généré une animation du tigre sans fourrure. Puis, cette animation a guidé la simulation de fluides qui représentait la surface de l’eau. Ensuite, nous avons introduit la fourrure, et la simulation de poils a été guidée de façon dynamique par les mouvements de l’eau 3D. Autrement dit, la simulation de fluides guidait la simulation des poils. Ça devenait assez compliqué par moments…”
Le rendu des plans de la fosse est assuré en plusieurs passes. L’équipe décide de ne pas faire un beauty pass pour la fourrure et un autre pour l’eau. Au lieu de cela, les infographistes établissent des passes de données pour l’eau qui comprennent diffraction, réfraction, dissipation, etc. Ensuite, ils font des passes de fourrure, lesquelles incluent un grand nombre de modèles pour les spéculaires. Ces passes multiples sont ensuite assemblées et ajustées dans Shake, ce qui permet de modifier individuellement chacune d’entre elles afin de répondre aux demandes du réalisateur.
Tandis qu’une partie de l’équipe se consacre au tigre, une autre se penche sur les oiseaux de terreur, ainsi nommés par Emmerich. Ces autruches sous stéroïdes seront créées en combinant le système de simulation de fourrure avec un système de simulation de plumes, seul moyen de générer le look très particulier de l'oiseau. Son design n'est d'ailleurs pas sans rappeler le Gastornis, oiseau ayant vécu il y a 50 millions d'années et décrit dans le documentaire de la BBC les Monstres Disparus : voir notre galerie à ce sujet dans cette même rubrique.

Deux équipes pour le site des pyramides de Gizeh :
Dans le même temps, Double Negative se penche sur la création de deux environnements différents : le Nil qu’on découvre dans le désert, et le site de construction des pyramides de Gizeh en Égypte. Ainsi, selon Emmerich, les pyramides dateraient de 10.000 ans et non pas de 2500 ans avant Jésus-Christ…
La reconstitution du célèbre site monopolise toutes les énergies de Double Negative, studio très réputé pour ses environnements 3D (Batman Begins). Pour commencer, l’équipe reçoit les prises de vues d’une gigantesque maquette de cent mètres de côté représentant le site entier de Gizeh. “Cette miniature était fantastique,” s’exclame Wuttke. “Nous l’avons peuplée de milliers de figurants générés en 3D dans Massive. L’animation a été créée à partir de sessions de motion capture où nous avions enregistré tous les mouvements dont nous avions besoin. Comme nous devions intégrer ces personnages derrière des éléments du décor miniature (rochers, blocs, échafaudages, etc.), nous avons reconstitué ces derniers en 3D. C’était plus simple que de devoir les rotoscoper dans les prises de vues réelles. Pour finir, nous avons ajouté beaucoup de poussière et de brume atmosphérique à l’aide de notre logiciel de rendu volumétrique DnB. Quant au Nil, il a été créé à l’aide d’un shader et intégré dans des prises de vues du désert. Ensuite, des navires 3D ont été animés à sa surface et le mouvement des voiles généré en simulation.”
Cette séquence des pyramides de Gizeh a posé un problème d’organisation. En effet, la création du décor avait été confiée à Double Negative, mais les mammouths étaient, eux, créés par MPC. Du coup, il a fallu établir une règle de partage des plans entre les deux prestataires. “La décision dépendait de la taille des mammouths dans l’image,” explique le Français Nicolas Aithadi, superviseur des effets visuels pour MPC. “S’ils étaient assez petits pour pouvoir fonctionner sans simulation de fourrure, Double Negative réalisait les plans. Nous leur avons fourni des géométries, des textures, des cycles d’animation, etc., afin qu’ils puissent s’occuper des mammouths dans les plans larges. En revanche, si les mammouths étaient assez près pour nécessiter une simulation, nous nous chargions de les créer, de même que le décor.”
Pour l’environnement des pyramides, MPC choisit de procéder différemment de Double Negative. Plutôt que d’utiliser les prises de vues originales du décor miniature, l’équipe opte pour une reconstitution en 3D. La maquette est tout d’abord photographiée sous tous les angles, avec des variations d’exposition et à différentes heures de la journée. Ensuite, la géométrie du site est reconstituée en 3D, puis les modèles sont texturés par projection des photographies. Une technique qui permettait d’intégrer avec précision les figurants 3D derrière les innombrables éléments de décor.

Des mammouths avec de longs poils :
La simulation de poils a été au coeur de la réalisation des mammouths. La grande difficulté tenait en la longueur inhabituelle des poils : jusqu’à deux mètres de long ! Un vrai défi pour un logiciel de simulation de poils. Tout comme Double Negative, MPC commence par développer en interne un logiciel extrêmement poussé de simulation. “Furtility a été intégré dans notre pipeline Maya/RenderMan/Shake,” raconte Aithadi. “Il s’est avéré très difficile de mettre au point le look exact que Roland Emmerich avait en tête. Si l’on n’y prenait pas garde, les mammouths pouvaient très vite ressembler à des peluches. Nous avons dû salir énormément la fourrure afin de lui donner cet aspect caractéristique. Le look final comporte plus de 600 textures !”
Le design des mammouths est d’abord mis au point par Patrick Tatopoulos Studios, puis complètement revu en 3D. Les modeleurs créent quatre modèles de base différents : un mâle, une femelle, un jeune et un bébé. Puis, ils modélisent quatre variations sur chacun de ces modèles, ce qui leur donne suffisamment de silhouettes différentes pour constituer un troupeau réaliste. La prévisualisation avait démontré que certains plans devaient mettre en scène jusqu’à 100 spécimens. Le troupeau est animé à l’aide de ALICE, le logiciel de simulation de foule de MPC. Furtility étant parfaitement intégré dans ALICE, les mammouths pouvaient être habillés de leur fourrure habituelle, même en situation de simulation de foule.
Pour la séquence de Gizeh, MPC est confronté à un niveau supplémentaire de difficulté. Les mammouths domestiqués sont en effet placés en équipages de quatre spécimens reliés entre eux par des harnais constitués de poils de mammouths. Ces équipages sont ensuite utilisés pour tracter les blocs de pierre sur l’immense chantier. “La fourrure des mammouths était déjà une simulation, mais en plus, il fallait qu’elle interagisse avec la simulation du harnais lui-même…” commente Guillaume Rocheron, superviseur 3D chez MPC. “Nous avons procédé en plusieurs étapes : une simulation sur un modèle proxy du filet afin d’établir le mouvement général, puis un filet avec une simulation de fourrure haute résolution que nous avons warpé sur le modèle proxy, et enfin, la simulation de la fourrure du mammouth. Pour générer les interactions, nous avons choisi une technique basée sur l’occlusion et les vecteurs de mouvement. La première nous donnait la distance entre le mammouth et le harnais, les seconds nous fournissaient le glissement sur la peau. En combinant les deux, nous pouvions définir dans quelle direction le harnais se dirigeait et, en conséquence, la direction dans laquelle chaque poil devait se plier. Ça nous a pris pas mal de temps pour développer une méthode qui soit efficace sur le plan du look et sur celui de la production.”
Pour optimiser les temps de rendu, l’équipe dispose de quatre niveaux de détail différents sur chaque mammouth. Le choix de la résolution se fait en fonction de la distance du sujet par rapport à la caméra. Une astuce essentielle, surtout que MPC doit en même temps gérer des environnements très complexes, comme cette prairie recouverte de hautes herbes ondoyantes. “Lorsqu’on a vu les plans du décor réel, on s’est dit que jamais on n’arriverait à détourer tous ces brins d’herbe afin d’intégrer les mammouths dans la végétation,” raconte Aithadi. “Il a donc fallu reconstituer l’herbe en 3D, ce qui s’est fait à l’aide d’une nouvelle simulation de poils dans Furtility. En général, on ne remplaçait que la partie du sol qui se trouvait autour des mammouths, mais parfois, pour simplifier l’intégration de l’herbe, c’est tout le paysage qui était reconstitué en 3D. Certains plans comptaient jusqu’à trois millions de brins d’herbe, et à cela il fallait ajouter les poils des mammouths. On arrivait à des temps de calcul assez phénoménaux !”

Des délais généreux
Au final, tous les graphistes, animateurs et compositeurs impliqués dans le projet eurent la chance de bénéficier de délais de postproduction inhabituellement élevés. Le tournage du film s’est en effet achevé il y a plus d’un an. Un délai qui constituait un véritable luxe à une époque où les blockbusters américains sont tournées dans l’urgence et post-produits dans la panique la plus totale. Rappelons qu’un film aussi énorme que Pirates des Caraïbes 3 n’a eu que trois mois de postproduction. Une folie que Roland Emmerich a su épargner à ses équipes de 10000 afin qu’elles aient le temps de pousser la simulation de poils jusqu’à un niveau d’excellence et de sophistication jamais vu jusqu’alors.

Alain Bielik  mars 2008


Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue d’effets spéciaux S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 1991. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.

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