2012

Kolossal! Roland Emmerich récidive avec un film catastrophe qui fait passer tous les autres pour d'aimables téléfilms. Jamais les VFX n’avaient généré autant de destructions à une si large échelle. 2012 redéfinit entièrement un genre… tout en décourageant quiconque de l’imiter dans un proche avenir !

Pour qui n’est pas « New Age », 2012 sera une année comme les autres. Mais pour certains, le 21 décembre 2012 s’annonce comme une date charnière dans l’histoire de l’humanité. Pourquoi ? Parce que le calendrier maya repose sur un système de cycles et que le dernier cycle s’achèverait à cette date. Ensuite, pas de 22 décembre, ni de 23 décembre, ni rien d’autre. Le calendrier se terminerait là (ndlr : la NASA a démenti officiellement ce 11 novembre que le calendrier maya s'arrêtait à cette date).
Et après ? C’est là toute la question, sur laquelle des « spécialistes » plus ou moins illuminés s’affrontent à grands coups de théories plus ou moins fumeuses. Les plus optimistes envisagent simplement un complet renouveau de notre civilisation, un changement radical. Les plus pessimistes, eux, croient dur comme fer que cette date marque le début de l’Apocalypse : si les Mayas ont arrêté leur calendrier ce jour-là, il y a bien une raison, non ? Quant à savoir pourquoi et comment les Mayas ont identifié cette date il y a plus de mille ans, pas de réponse…
Roland Emmerich, lui, a vite compris tout le parti qu’il pouvait tirer de ce mythe moderne. Une rapide recherche sur Internet lui a révélé l’existence de milliers de pages sur le sujet. De quoi justifier la mise en chantier d’un film qui miserait sur cette crainte diffuse, mais rendue tangible par la présence d’une date bien précise. De quoi construire un suspense implacable en forme de compte à rebours.

Roland Emmerich, roi du film S.F. catastrophe au box-office
Après 10 000, le cinéaste allemand a ainsi trouvé un sujet qui prolonge de façon idéale sa filmographie. Emmerich a connu ses plus grands succès dans le genre catastrophe. Independence Day reste, encore aujourd’hui, l’un des plus grands succès de tous les temps, tandis que Le Jour d’Après et Godzilla ont rapporté des montagnes de dollars. Les critiques et les cinéphiles ont beau mépriser son œuvre, ils doivent bien reconnaître le génie commercial sans équivalent de cet artiste. Depuis ses débuts à Hollywood en 1992, TOUS ses films ont été des succès, voire des triomphes planétaires ! Aucun autre réalisateur ne peut en dire autant sur la même période et sur autant de films…
Avec 2012, il a encore une fois tapé dans le mille. Emmerich a renoué avec la formule qui avait si bien fonctionné pour ses films catastrophe précédents : raconter le destin de plusieurs personnages ordinaires plongés dans des situations extraordinaires qui mettent en péril la survie de l’espèce humaine. Cette fois, il s’attache à suivre la réaction de citoyens ordinaires et celle des autorités face à un cataclysme qui s’annonce comme inéluctable. Et comme dans Le Jour d’Après, le cataclysme final (le raz-de-marée) est précédé de plusieurs « avertissements » qui assurent le spectacle et font patienter le spectateur.
Marc Weigert, superviseur des effets visuels et coproducteur du film : “Roland a trouvé le moyen de faire entrer dans ce film la quasi totalité des types de catastrophes naturelles que l’on puisse imaginer ! Los Angeles est détruite par un tremblement de terre d’amplitude 10,5 à la page 30 du scénario. Le parc de Yellowstone part en fumée dans une explosion de lave de 50 km de diamètre. Et à chaque fois, Roland apporte quelque chose de neuf et de différent. Vous vous direz peut-être que vous avez déjà vu des tremblements de terre au cinéma… Eh bien, je peux vous assurer que non !” Roland Emmerich a d'ailleurs confirmé à la presse que 70% du budget du film avaient été consacrés aux effets visuels et spéciaux

Uncharted Territory, structure dédiée VFX
Marc Weigert est le partenaire de Volker Engel au sein de la société Uncharted Territory. Proche collaborateur de Roland Emmerich depuis le début des années 90, Engel a remporté l’Oscar des meilleurs effets visuels pour Independence Day. Ensemble, Weigert et Engel ont supervisé les effets de 2012 et fait office de coproducteurs. Le concept de Uncharted Territory est bien particulier : les deux hommes se proposent de réaliser des effets visuels pour un budget très inférieur à ce qui se fait d’habitude. Ainsi, leur production Coronado (2000) comporte plus de 600 plans à effets visuels, pour un budget  équivalent au budget cantine d’un film comme Avatar
Leur secret : limiter au maximum le recours à des prestataires extérieurs. “Quand vous faites appel à des studios d’effets visuels, vous bénéficiez de leur savoir-faire, mais vous payez aussi leurs frais généraux. Notre idée était de créer une structure spécifique pour chaque projet : on regarde ce dont le film a besoin, on loue un local, on achète des stations de travail qu’on met en réseau, puis on engage des artistes freelance pour créer les effets ; on trouve facilement d’excellents artistes sur le marché. De cette façon, nous n’avons pas à intégrer dans le budget tous ces frais annexes que les prestataires vous facturent. C’est la méthode que nous avons essayé d’appliquer à 2012 : réaliser un maximum d’effets avec une structure montée de toutes pièces pour ce projet, sous la houlette de Uncharted Territory.”
Résultat, le duo réussit à créer quelque 400 plans très complexes avec une équipe de 80 personnes environ. Cela concernait deux des plus grosses séquences du film : le tremblement de terre à Los Angeles et le survol de Las Vegas après le séisme. “Le film s’est révélé beaucoup trop gros pour nous seuls, aussi Marc et moi-même avons confié le reste des séquences à d’autres prestataires,” confie Engel. “Une douzaine de sociétés basées partout dans le monde ont travaillé sur le film, et chacune d’entre elles employait entre soixante et cent personnes. Au total, environ mille personnes ont travaillé sur les effets visuels du film, et Volker Engel et moi avons supervisé leur développement dès le début. Uncharted Territory est devenu comme un hub qui centralisait tout le travail. Le film comporte au final environ 1300 plans à effets visuels, ce qui représente les deux tiers de la durée totale !”

Tremblements de terre sur plateformes mobiles
Engel et Weigert tiennent à ce que les plans reposent autant que possible sur une base d’image réelle. Les scènes du tremblement de terre sont donc filmées en direct à grand renfort d’effets mécaniques à très large échelle. Par le passé, dans ce genre de film, les acteurs devaient simuler les vibrations du sol en trébuchant d’un côté et de l’autre, tandis qu’un assistant secouait la caméra… Pas très crédible pour le public de 2009 ! L’équipe décide donc de simuler le séisme sur le décor entier, que ce soit en extérieurs ou en intérieurs. Une tâche innovante qui échoit à Mike Vezina, coordinateur des effets spéciaux de direct : “Roland Emmerich aime tout ce qui est réel, tangible, nous avons donc tourné toutes les scènes où la terre se met à trembler, celle où les personnages sortent de la maison, celle qui se déroule à l’aéroport et bien d’autres, sur d’énormes plateformes flottantes que nous pouvions faire bouger avec des vérins. Elles faisaient environ 750 m². Nous avons construit les décors dessus, mis des voitures, des camions et des avions, et tout bougeait en même temps grâce à un système hydraulique et pneumatique. Nous pouvions interrompre et modifier l’intensité des mouvements en direct grâce à un simple joystick actionné par une seule personne.”

Los Angeles rayé de la carte
Mais même avec 750 m2, le décor mobile était loin d’avoir la taille nécessaire pour les scènes que Roland Emmerich avait en tête. Le cinéaste voulait voir la ville entière vibrer au rythme des secousses, depuis les palmiers jusqu’aux boîtes aux lettres, les immeubles s’effondrer, des crevasses béantes se former dans le sol… Pour ce faire, chaque décor mobile a été entouré d’un fond bleu qui mesurait 180 mètres de long et 12 mètres de haut. Puis, les graphistes de Uncharted Territory ont recréé l’environnement de la ville, avant d’animer celui-ci avec les mêmes secousses qui faisaient trembler le décor réel. Une fois les deux combinés, on voyait toute la ville trembler, depuis les accessoires au premier plan, jusqu’aux gratte-ciel à l’arrière-plan.
“La plate-forme mouvante construite par Mike Vezina était fantastique parce qu’elle permettait aux acteurs de marcher sur un sol qui bougeait comme s’il y avait un séisme d’une magnitude de 10.5,” précise Weiger. “Tous leurs mouvements et toutes leurs réactions étaient donc réels. Tout ce qui se trouvait sur la plate-forme était secoué dans tous les sens. Comme les décors incrustés sur le fond bleu devaient bouger en même temps et de la même manière que les éléments réels, nous avons enregistré les mouvements de la caméra et ceux de la plate-forme pour ensuite les appliquer aux décors virtuels dans nos ordinateurs.”

Toute la ville est modélisée en 3D, puis riggée de façon à décomposer chaque immeuble en milliers d’éléments distincts soigneusement maintenus en place. Chaque élément se voit attribuer diverses caractéristiques : poids, masse, densité, etc. Ensuite, l’équipe programme une simulation de corps rigide en fonction des paramètres d’un véritable séisme de cette magnitude. La simulation est appliquée sur le décor virtuel, lequel voit alors s’effondrer de façon réaliste tous les éléments comme autant de châteaux de cartes. “Cette séquence et celle de Las Vegas faisaient à elles seules plus d’une centaine de térabits de données représentant toutes les informations générées par chaque image. Une render farm de 250 ordinateurs a été nécessaire pour calculer le rendu de ces deux séquences. Dans ce film, l’ensemble des données dépasse facilement le petabit (un million de gigabits).”

Le tsunami submerge la Terre
Tandis que leur équipe se concentre sur les scènes de séisme, Engel et Weigert confient la scène du raz-de-marée géant à leurs confrères allemands de Scanline VFX. Bien sûr, Roland Emmerich avait déjà réalisé une séquence de ce type pour Le Jour d’Après : on se souvient de cette vague (signée Digital Domain) qui engloutissait Manhattan. À l’époque, l’effet avait impressionné par son ampleur inédite, mais pour 2012, le cinéaste a revu sa copie à une tout autre échelle : cette fois, la vague est tellement énorme qu’elle submerge les sommets enneigés de l’Himalaya ! Difficile d’aller plus haut…
Jamais personne n’avait tenté une simulation de fluides de cette envergure. Les effets marins réalisés pour En Pleine Tempête, Poséidon ou Pirates des Caraïbes 3 se limitaient à une partie de l’océan. Là, il s’agissait d’un océan entier qui se soulevait et submergeait la planète… “Mes compatriotes de Scanline VFX se sont forgé une belle réputation dans ce domaine grâce à leur logiciel Flowline,” explique Engel. “Ce sont eux qui ont créé le dieu de l’Eau qui détruit le pont à la fin de Le Monde de Narnia - Prince Caspian. Au départ, comme l’effet du raz-de-marée était vraiment très complexe, nous avons commandé un test à Scanline et à une autre société : c’était la scène de la vague qui submerge l’Himalaya et le temple tibétain. À l’arrivée, Scanline a produit le meilleur résultat, et surtout, ils ont travaillé avec une rapidité impressionnante. Depuis qu’il utilise la 3D dans ses films, Roland était habitué à attendre de quatre à six semaines entre deux versions d’un plan très complexe. Là, Scanline était capable de sortir une nouvelle version en deux jours ! Roland était tellement content de ce test qu’il a eu l’idée d’en tirer un teaser. Il a obtenu le financement du tournage des plans avec le moine, afin de créer une petite histoire, et cela nous a donné un teaser très spectaculaire. Comme il a été monté alors qu’on était en plein développement de la séquence, on a dû utiliser des plans provisoires, des versions de travail que nous avons bouclées le plus vite possible. Rien à voir avec la version finale qui figure dans le film !”

L’Arche de Noë revisitée
De son côté, Sony Pictures Imageworks se consacre à une autre séquence majeure : celle de l’immense base secrète sous l’Himalaya dans laquelle les Chinois ont construit en secret des navires arches géantes pour sauver un maximum d’êtres humains. Un environnement complètement généré en 3D, et peuplé de milliers de figurants tout aussi virtuels, dans plus de 150 plans. Les plans sont filmés avec les acteurs le cas échéant dans des décors partiels entourés de fonds bleus, puis les graphistes prolongent ces décors de façon à créer des perspectives souterraines de plusieurs kilomètres. Le décor est peuplé de figurants virtuels et habillé d’une multitude d’effets d’animation pour le rendre crédible et vivant à l’écran : jets de vapeur, d’étincelles, fumées, condensation, grues et véhicules en mouvement, etc. Les figurants sont animés par motion capture et gérés par Massive (le logiciel de gestion de foules de Weta), tandis que les personnages 3D plus proches de la caméra sont travaillés en animation key frame. Les plans présentaient deux types de difficultés : assurer une transition invisible entre les décors réels et les extensions 3D, et mettre en évidence la taille inimaginable de cet environnement souterrain.

Et on détruit Yellowstone, la basilique Saint Pierre, le tour Eiffel...
Autre prestataire de choc, Double Negative s’attaque à des effets très différents : la destruction du parc Yellowstone, avec le « bombardement » par des blocs de lave en fusion et la formation de failles béantes dans le sol, ainsi que l’effondrement de la basilique Saint Pierre de Rome. Pour cette dernière, une partie du travail était déjà faite puisque le studio londonien avait entièrement reconstitué la place Saint Pierre en 3D pour les besoins du film Anges et Démons. C’était autant de gagné pour les producteurs de 2012 !

Quant au studio Digital Domain, il se voit chargé de prolonger la séquence du séisme de Los Angeles avec 85 plans du survol de la ville en avion de tourisme. Des dizaines de pâtés de maison sont modélisés dans Maya, puis l’intérieur de chaque bâtiment est détaillé : l’équipe travaille sur un étage, modélise le mobilier, les sanitaires, les conduites de climatisation, etc. Tout est texturé, puis l’ensemble est dupliqué pour former tous les étages. Ensuite, les éléments sont importés dans Houdini où un logiciel de  simulation de corps rigides développé spécialement va détruire ces beaux châteaux de cartes. L’équipe travaille du plus grand (les bâtiments) au plus petit (les objets), chaque étape étant validée par la production avant de passer à la suivante.

Dans cet océan de très haute technologie, un seul effet traditionnel a pu se glisser. Pour montrer la destruction de la tour Eiffel, Engel et Weigert ont en effet choisi d’utiliser une splendide maquette réalisée par New Deal Studios. Notre célèbre monument a d’ailleurs beaucoup souffert cette année, puisqu’il a également été détruit, en 3D cette fois, par Digital Domain pour G.I. Joe. Pour une fois que les Américains détruisent autre chose que New York au cinéma, on ne va pas s’en plaindre…

Alain Bielik- Novembre 2009
(commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 18 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.