Luc Besson réalise son premier long métrage d'animation avec Buf Compagnie

L'animation 3D est décidément partout : même Luc Besson s'y met, avec l'aide du studio parisien Buf Compagnie. Et Geoffrey Niquet, ancien de Supinfocom et directeur de l'animation sur ce film, a détaillé pour nous au FITA 2006 à Angoulême tout leur travail.

Luc Besson occupe une place à part dans le cinéma français : il est le seul à pouvoir monter des projets dignes de Hollywood, avec budget conséquent, distribution large dans de nombreux pays, licences et droits dérivés omniprésents, etc. Et son premier essai en animation, Arthur et les Minimoys, ne fait pas exception: 5 ans de préparation, 65 millions d'euros de budget, distribution dans 70 pays, ouverture dans presque 1000 salles en France, et bien sûr livres et jeu vidéo déjà sortis. Entièrement réalisé par Luc Besson lui-même en France, il a été à la fois tourné « live » (en Normandie) pour les premières 20 minutes et la fin, et pour le reste animé par Buf Compagnie dans un studio spécialement monté à cet effet à Pantin en banlieue parisienne. Synopsis de ce film: Arthur, 10 ans, essaie de retrouver son grand-père disparu pour sauver la maison de sa grand-mère des griffes d'un promoteur. Pour cela, il va devoir se transformer en Minimoy, cad en une sorte d'elfe minuscule vivant dans nos jardins et sous terre. Avec l'aide de la princesse Selenia et de son petit frère Bétamèche, il sauvera au passage le minuscule royaume Minimoy de l'anéantissement planifié par l'immonde Malthazard et son fils Darkos.

L'origine du projet: Tout a commencé en 2000, quand Patrice Garcia, un des illustrateurs sur Le Cinquième Elément, est venu avec son épouse Céline proposer le concept des Minimoys à Luc Besson. Ce dernier, séduit, fait réaliser un pilote de 2' qui lui permet fin 2001-début 2002 de convaincre les financiers et de lever le budget record (pour un film d'animation européen) de 65 millions d'euros. Suivit une période de préproduction de deux ans, puis la production elle-même de début 2004 à la rentrée 2006. En moyenne 100 personnes ont travaillé sur ce film, avec un effectif plus réduit au début et plus nombreux en période de pointe (2004-2005). Sur les 200 personnes embauchées au total, la plupart étaient de jeunes infographistes sortis récemment d'école et polyvalents : après quelques mois de formation aux outils maison de Buf, ils étaient capables d'animer des scènes en keyframe.

Construction des personnages:
Buf a développé depuis longtemps une approche anatomique de l'Humain en 3D, en reconstituant squelette, muscles et leurs attaches. Cela a représenté deux grands avantages pour ce film. D'abord de lui garder une certaine continuité de style en gardant des formes humaines réalistes aux Minimoys après les 20 premières minutes du film tournées avec des acteurs réels. Et, comme tous ces personnages sont issus d'un même modèle qu'on fait « morpher », ils ont les mêmes contrôles d'animation, les mêmes animations pour les personnages secondaires (tirées d'une banque de mouvements), et on a pu faire des corrections jusqu'au bout, même après animation. C'est particulièrement vrai pour le personnage de Selenia, la princesse rousse des Minimoys . Comme elle est la plus humanoïde, et donc la plus difficile à modeler, son physique a évolué jusqu'à la fin : sa forme de mâchoire, la position de ses yeux ont changé alors qu'animation et rendu étaient déjà terminés.
Le challenge a surtout été d'adapter les dessins de Garcia à la 3D. Le côté magique du dessin, le trait, se transposent difficilement en 3D. Et un dessin est un moment particulier, avec son éclairage, alors que les personnages 3D perdurent à travers le film. Du coup, Buf a accentué les modéles en alternant éclairages chauds/froids et les a filmés surtout avec des focales courtes, ce qui correspond d'ailleurs aux préférences de Luc Besson.

Style visuel du film et rendu:
L'idée de base est de mélanger 3D et réel. Patrice Garcia avait déjà mis ses dessins en situation sur fonds de décors photographiés dans son jardin. Le pilote de 2002 plaçait des personnages 3D dans des décors filmés et agrandis 6-7 fois. Le résultat était convaincant, mais difficilement reproductible pour un long métrage pour des raisons de positionnement de caméras (à 5 cm au-dessus du sol...), de profondeur de champ demandant u ne luminosité trop forte, etc. L'équipe a donc décidé de passer les décors en 3D.
Buf sait heureusement reconstituer un volume avec 3 photos et manier la caméra dedans. Ils ont donc fait des maquettes en polystyrène d'abord , reproduites en 3D ensuite, en corrigeant les volumes pour photographier comme au ras du sol. Elles ont aussi été photographiées en éclairage neutre pour la recherche de lumière, avant d'être photographiées avec l'éclairage final. Les éléments 3D comme ceux filmés sont rajoutés ensuite. Au total, le procédé est compliqué mais donne un style photographique, avec une 3D réaliste mais pas trop. Cela fait le lien entre le début « live » du film et les personnages 3D plutôt caricaturaux. Les plans avec décors extérieurs, où interviennent Minimoys et parfois humains, mélangent décors filmés et décors 3D (au ras de la surface).
Les palettes de couleurs alternent classiquement couleurs chaudes pour le royaume souterrain des Minimoys, couleurs vives et contrastées pour les scènes d'extérieur, et couleurs sombres, nuit, pour l'antre de Malthazard. Le tout est rendu avec Mental Ray en plus des outils maison.

L'animation :
Le fait que le réalisateur n'ait jamais fait de film d'animation auparavant a conduit le studio à adopter une méthodologie particulière pour que celui-ci se sente à l'aise et garde la maîtrise créative de son film. Pour commencer, un storyboard a été réalisé bien qu'en 10 longs métrages, Luc Besson n'en ait encore jamais fait. Ce storyboard, une fois numérisé, a servi à Luc Besson à expliquer ce qu'il voulait, scène par scène, aux équipes de Buf qui le filmaient pendant cet exercice. Ensuite, toutes les scènes de comédie ont d'abord été tournées avec des acteurs humains, avec accessoires, sur un plateau de 5 mètres de diamètre filmé par 7 caméras vidéo : 3 en plan large pour avoir une référence des déplacements (en utilisant les techniques de photogrammétrie développées par Buf pour les effets spéciaux du film Alexandre), 2 en plans serrés sur les acteurs, 1 pour Luc Besson pour lui permettre de choisir les cadrages, et 1 pour filmer Luc Besson lui-même pendant ses briefings d'acteurs entre les prises. Enfin, les voix ont enregistrées, parfois avec des acteurs « témoin » avant même la sélection des voix définitives.
Tous ces tournages ont servi de références aux animateurs pour réaliser en keyframe leurs scènes, en y rajoutant les contraintes des décors. En 12 mois, le film était entièrement animé, certes avec un rendu rapide et des décors schématiques, mais assez achevé pour que Luc Besson puisse juger des résultats. Après, les équipes ont corrigé, rajouté personnages secondaires, foules, effets spéciaux, etc. Autre originalité : un système de « corrections croisées » entre animateurs à travers une réunion chaque semaine pour soumettre une séquence à la critique d'autres animateurs.
Toute l'animation a été faite en keyframe, sans rotoscopie et sans « mocap ». Avec un objectif clair : pas le droit d'être moins expressif que la référence filmée! Le personnage 3D est un nouvel acteur qui rejoue la scène, il faut en gommer les mouvements secondaires et se concentrer sur la stylisation, réinterpréter le jeu de l'acteur. C'est un style d'animation particulier, là-aussi à moi-chemin entre réalisme et stylisation. Pour Geoffroy Niquet, un tel style d'animation est semblable à celui de Peter Pan de Disney, où Wendy est tout en douceur alors que Mousse est plus heurté; et à l'époque, ils filmaient déjà les acteurs pour avoir un jeu de référence, même si c'était avec une seule caméra en N&B! Pour l'animation faciale, Buf utilise non pas des « shapes », mais quelques contrôles pour jouer sur les déformations musculaires des modèles.

VFX :
Il y a beaucoup de VFX dans ce film, mais plutôt classiques : explosions, fumées, foules, etc. L'eau par contre a une importance narrative dans ce film et y joue un grand rôle. Buf a donc construit des maquettes pour filmer comment l'eau y circulait pour servir là encore de référence aux équipes. Quelques scènes trop difficiles à simuler en 3D ont été tournées « live » et utilisées en compositing, comme la scène dans le tunnel où une vague d'eau poursuit les héros.

Et en conclusion:
Ce film a présenté deux défis principaux. D'abord la seule taille du projet, auquel Buf voulait faire face sans abandonner ses autres activités, était une véritable aventure humaine. Avec un team composé de 8 graphistes seniors « maison », 10 juniors et 200 jeunes fraîchement recrutés autour, le studio a dû inventer une nouvelle manière d'incorporer les nouveaux et de les faire travailler, avec de la polyvalence, et donc une organisation différente du taylorisme des studios US. L'esthétique du film a été un autre défi. Alors que le style du film a ses débuts en 2001 était une sorte de Microcosmos réaliste, Luc Besson a ramené cela vers une mise en scène plus classique, vers un univers de dessin animé. Toute la problématique a été de trouver le bon compromis entre réalisme et la stylisation du dessin animé.
Au total, ce film se veut atypique, concurrent des réalisations américaines sans en être suiveur. Buf Compagnie espère ainsi avoir ouvert la voie à d'autres projets et avoir au passage gagné ses galons comme studio d'animation.

Paul Schmitt - 12/2006
Sortie en salles le 13 décembre 2006.
Réalisateur et producteur : Luc Besson. Scénario: Patrice et Céline Garcia, Luc Besson. Production : Europacorp, Avalanche Productions, Apipoulaï Prod, The Weinstein Company. Animation et Effest visuels : Buf Compagnie.

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Autres films du studio Buf Compagnie:

>> Dante 01

>> Astérix aux jeux olympiques

>> Spider-man 3

>> Arthur et les Minimoys