Avengers

Les Superhéros de Marvel sauvent la planète. Avec un renfort de poids, celui du studio ILM, cheville ouvrière des VFX d’Avengers

Géant mondial des superhéros de BD, l’éditeur Marvel a réussi son audacieux pari de transposer lui-même ses personnages au grand écran en fondant un studio de production. Sans aucune expérience du cinéma, les tout jeunes Marvel Studios ont réussi à faire aussi bien, voire mieux, que les 20th Century Fox (X-Men) et autres Columbia (Spider-Man). Tous les films ont été des succès : Iron Man, Thor, Captain America, L’Incroyable Hulk

Réunir les Avengers

Conforté par cette réussite, Marvel a initié un processus totalement inédit au cinéma : la mise en place d’un univers partagé. Plutôt que de développer en parallèle des sagas indépendantes les unes des autres, comme la 20th Century Fox avec les X-Men et Les Quatre Fantastiques, par exemple, le studio a décidé de les intégrer au sein d’un univers cinématographique commun. Autrement dit, Iron Man évolue dans le même monde que Thor et Hulk.

Le principe de l’univers partagé est très répandu dans les comics. Dans cet univers, les héros peuvent se rencontrer, faire équipe, affronter des menaces communes. Cela permet de décupler les enjeux, l'ampleur de l’histoire, et tout naturellement d'enrichir l'univers des personnages en les faisant croiser le chemin d'autres héros mythiques. C’est ainsi que, chez les concurrents de DC Comics, on a pu voir Batman et Superman à l’affiche de la même histoire. Chez Marvel, ce concept a trouvé son aboutissement avec The Avengers (Les Vengeurs), une équipe de choc qui regroupe les principaux superhéros de l’éditeur. Toutes les grandes « stars » maison en ont fait partie un jour ou l’autre, y compris Spider-Man et Wolverine. Le premier épisode a été publié en 1963 et mettait en scène Iron Man, Thor, Hulk, l’Homme-Fourmi et la Guêpe. Captain America a rejoint l’équipe au numéro 4. Dans ce tout premier numéro, Loki, le frère de Thor, était la cause des problèmes qui amènent les Avengers à s’unir pour la première fois.

L’auteur-réalisateur Joss Whedon a choisi de suivre la même trame scénaristique pour le film Avengers : Loki y met la main sur une source d’énergie illimitée et veut dominer la planète avec l’aide d’extraterrestres. Heureusement, the S.H.I.E.L.D, agence secrète qui veille sur le monde, va rassembler les Avengers dans sa base secrète (un porte-avions volant !). La bataille finale contre l’envahisseur a lieu, vous l’avez deviné, dans New York…  qui se retrouve une fois de plus détruite grâce aux bons soins d’ILM !

Jamais, au cinéma, on n’avait poussé aussi loin l’idée d’univers partagé. Il y a bien eu Freddy vs. Jason et Alien vs. Predator, mais il s’agit là d’exemples de ce qu’il ne faut pas faire, ces sagas étant accolées de manière artificielle. Pour Avengers, Marvel a préparé le terrain dès 2010 en semant dans chaque film des indices renvoyant aux autres superhéros. Leur association a donc été soigneusement calculée, de même que l’intégration au sein d’une même histoire de leur style très personnel. Le résultat est un vrai exercice d’équilibrisme, avec un ton qui oscille entre l’humour d’Iron Man, le tragique de Hulk, ou le classicisme de Thor.

Pour mettre en images ce festival de super pouvoirs, Marvel Studios a fait appel à Industrial Light and Magic (ILM), déjà responsable des deux Iron Man. Superviseur des effets visuels, Jeff White (Transformers 3) nous raconte les coulisses de ce projet ambitieux.

Pixelcreation 
: De quelle partie du film vous êtes-vous occupés à ILM ?
Jeff White : Nous avons réalisé toutes les scènes de Hulk, la majeure partie de celles de Iron Man, et tout le dernier tiers du film, lequel n’est qu’une immense bataille rangée dans les rues de Manhattan. Cela représentait environ 700 plans. Nous avons travaillé un an et demi sur le film, même si la réalisation effective des plans n’a commencé qu’en septembre 2011, à la fin des prises de vues. Six mois de postproduction pour un projet d’une telle ampleur, c’était vraiment peu !

Pixelcreation
 : C’est la troisième fois que vous créez Iron Man. Est-ce que vous avez encore pu l’améliorer ?
Jeff White : Absolument, on progresse à chaque film. On a beaucoup progressé sur nos techniques de rendu des surfaces métalliques grâce à la série des Iron Man et des Transformers. Ces films se sont alternés depuis cinq ans, et à chaque fois, on a bénéficié de l’acquis du précédent. Nous sommes arrivés à un point où l’on met la scène en place dans l’ordinateur, on importe le personnage, et on a tout de suite un résultat intéressant, dès le départ.

Pixelcreation: Quelles sont les astuces pour rendre Iron Man aussi réaliste à l’écran ?
Jeff White : Nous faisons un très gros travail sur les textures en amont. Les scènes les plus difficiles sont celles où l’armure est flambant neuve. Dans le film, Tony Stark se construit une nouvelle tenue, la Mark VII, et au départ, elle est impeccable, comme une voiture neuve. Mais à l’écran, c’est très difficile à faire fonctionner, l’armure a l’air artificielle, elle fait « 3D »… Pour la rendre réaliste, on est obligé d’ajouter quantités de couches très discrètes, mais indispensables : un peu de poussière, de fines éraflures, des traces de doigt, etc. C’est nettement moins compliqué lorsque l’armure est endommagée. Les bosses, la peinture écaillée, les pièces déchiquetées, les rayures… tout cela renforce son réalisme à l’image. Nous avons conçu cinq niveaux de détérioration pour les textures : plus on avance dans la bataille, plus l’armure est abîmée.

Pixelcreation : L’une des scènes les plus étonnantes du film est celle où Tony Stark se fait retirer l’armure Mark VI par un système automatique sans cesser de marcher…
Jeff White : Cette scène a été très difficile à réaliser car l’animation de l’armure devait suivre à la perfection les mouvements de Robert Downey, Jr. Il fallait créer l’illusion que toute cette agitation mécanique ne constituait pas une gêne pour lui, le personnage se contentait de marcher comme si de rien n’était… On a donc beaucoup travaillé le timing pour que le costume puisse être démonté de manière crédible sur une personne en mouvement. Chaque Iron Man a permis d’introduire une nouveauté : dans le premier, on découvrait le système robotisé de pose et de dépose de l’armure ; dans le second, il y avait l’armure « light » cachée dans une valise ; cette fois, c’est ce dispositif de « dépose mobile » qu’on découvre. On essaie toujours de surprendre les fans avec des choses qu’il n’a jamais vues. Cette scène dans Avengers présentait un autre défi : il fallait calculer l’animation par rapport au nombre de plans. Nous sommes partis d’une scène déjà montée sur laquelle on devait se caler, et dans chaque plan, il devait se passer quelque chose d’intéressant. C’était un vrai défi. On a dû ajouter des couches à l’armure pour que le processus de démontage dure jusqu’à la fin de la scène…

Pixelcreation
 : De quelle manière les plans d’Iron Man sont-ils tournés ?
Jeff White : Pour cette scène, Robert Downey, Jr. a été filmé sans armure en train de traverser le décor, puis nous avons filmé un cascadeur vêtu de l’armure réelle afin d’avoir une référence lumière pour l’animation 3D. En revanche, aucune armure n’a été construite pour la version Mark VII, tout a été fait en animation 3D. Le studio a vu notre capacité à générer de nouveaux plans très rapidement, et ils ont estimé qu’il n’était pas nécessaire d’investir dans la fabrication d’une armure réelle. Dans le dernier tiers du film, Iron Man est donc 100% numérique. Malgré tout, chaque fois que c’était possible, on filmait l’armure Mark VI dans le décor, afin de fournir à nos graphistes une bonne référence visuelle sur la lumière et les surfaces.

Pixelcreation : Parlez-nous de Hulk à présent…
Jeff White : ILM l’avait déjà créé pour le film de 2003, puis c’est Rhythm & Hues qui s’est chargé de la version 2008. On est reparti à zéro pour Avengers. Cette fois, la production a eu la très bonne idée d’intégrer le visagede l’acteur Mark Ruffalo, et notamment ses yeux, dans celui de Hulk. Le résultat est plus réaliste. Dans les deux films précédents, on perdait le lien avec le personnage humain chaque fois que celui-ci devenait le géant vert. Nous nous sommes donc basés sur Mark Ruffalo pour modéliser Hulk. On l’a photographié sous tous les angles, avec le plus de détails possibles : ses dents, ses gencives, et même le bout de peau entre ses doigts ! Plus on retrouvait d’éléments de Mark dans Hulk, et plus celui-ci serait accepté par le public. La texture de peau de Hulk est vraiment celle de Mark. Si vous comparez les pores sur le dos de la main, ce sont les mêmes…
Parallèlement, nous avons beaucoup travaillé sur la manière d’éclairer Hulk. La première étape a été de faire ce qu’on appelle une « light cage capture ». Le procédé consiste à placer l’acteur dans une sorte de dôme sur lequel sont fixées 611 lumières. Elles sont déclenchées individuellement de manière à créer un éclairage toujours différent. À chaque fois, on prend une photo en haute résolution, ce qui nous donne à l’arrivée toutes les configurations possibles de lumière sur l’acteur. Ensuite, parmi ces éclairages, on choisit ceux qui correspondent aux sources de lumière présentes sur le plateau dans chaque plan, et on les applique à Hulk. De cette manière, le personnage 3D est éclairé exactement de la même manière que l’acteur réel, ce qui renforce d’une part son réalisme, et d’autre part l’identification avec son alter ego humain. Quelle que soit la manière dont Mark Ruffalo était éclairé sur le plateau, on avait l’éclairage correspondant pour Hulk.

Pixelcreation : Est-ce que Mark Ruffalo interprétait Hulk sur le plateau ?
Jeff White : Seulement jusqu’au point de transformation de l’humain à la créature. Ensuite, on avait une tête de Hulk montée sur une tige fixée sur un sac à dos qu’un technicien promenait sur le plateau. Ça nous servait de référence pour la hauteur du personnage : Hulk mesure environ 2,50 mètres dans le film. Après le tournage, on faisait une session de motion capture avec Mark Ruffalo. L’acteur interprétait cette fois le rôle de Hulk, et on récupérait ses mouvements pour les appliquer sur le personnage 3D. Cela nous permettait de retrouver dans Hulk les attitudes et les maniérismes de Mark, une fois encore pour renforcer le lien entre les deux. Nos équipes ont fait un énorme travail de targeting pour transposer les mouvements de Mark, car les proportions du corps et du visage ne correspondaient pas du tout ! Les animateurs se sont particulièrement attachés à soigner la sensation de masse de Hulk, il fallait qu’on sente les 500 kilos du personnage. Cette fois, Hulk a un peu de graisse sur le corps, comme un catcheur au repos. Il n’a pas ce corps « ultra sec » avec les muscles bandés qu’on voyait dans le deuxième film. On faisait apparaître les muscles et les veines seulement lorsqu’il était en action. Cela renforçait son réalisme, et ça le rendait visuellement plus intéressant.

Pixelcreation : Dans les deux films précédents, la couleur verte du personnage a causé des problèmes considérables aux équipes des effets visuels. Qu’en a-t-il été pour vous ?
Jeff White : [Soupir…] On a eu les mêmes difficultés. En démarrant le projet, je ne m’attendais pas à ce que ce soit tellement difficile. On intégrait le personnage en gris dans le décor et tout était impeccable, mais dès qu’on mettait le vert, d’un seul coup, il « sortait » littéralement de la scène. Il n’avait plus l’air réel. Il y a beaucoup de psychologie là-dedans : l’esprit humain a juste du mal à accepter l’idée d’un géant tout vert… Pour réussir à le rendre réaliste, nous avons dû désaturer sa couleur de peau de manière considérable. Les plans les plus difficiles étaient ceux dans lesquels Hulk se trouve à côté des autres Avengers. Le contraste avec le ton de peau « normal » des acteurs était si extrême que Hulk jaillissait littéralement de la scène. Il fallait quasiment enlever tout le vert pour que le personnage s’intègre dans les plans…

Pixelcreation : La dernière partie du film présente des scènes de destruction de grande ampleur de New York. Comment avez-vous procédé ?
Jeff White : Le décor de Manhattan a été reconstitué en studio, avec un bout de rue construit en dur et le reste créé par ordinateur. Il n’y a pas un seul plan du vrai New York avec les acteurs dans le film ! Pour ce faire, nous avons envoyé une équipe de quatre photographes à Manhattan pour référencer le centre ville. Pendant huit semaines, ils ont tout photographié à 360°, d’abord au niveau de la rue, puis à 35 mètres de haut en utilisant des plates-formes suspendues aux façades, puis à partir des toits. Les photos étaient ensuite juxtaposées par ordinateur pour créer des sphères virtuelles qui nous servaient à la fois de décor pour la scène, et de source d’éclairage pour les personnages animés en 3D. Ça fonctionnait très bien lorsque la caméra faisait un panoramique à partir d’un point fixe. Par contre, dans les plans en mouvement, comme ceux où l’on suit Iron Man en vol, il fallait reconstituer l’environnement en trois dimensions. Nous avons créé une gigantesque banque de données de Manhattan. Tout a été modélisé en 3D : les façades, les véhicules, les bouches de métro, les panneaux, les feux de signalisation, les stands de hot-dogs, les kiosques à journaux, les arbres, les bouches d’incendie, les poubelles, etc. Nous avions aussi des dizaines d’appartements à intégrer derrière les fenêtres pour qu’il y ait un changement de perspective sur les intérieurs. Une fois ce travail terminé, nous étions en mesure de « filmer » l’action dans n’importe quelle partie de la ville, parfois sur une distance de plusieurs blocs. Ensuite, nos équipes ont méthodiquement créé les impacts, les effondrements, les pluies de débris, etc. Entre Hulk qui s’accroche aux immeubles, et le vaisseau alien qui est trop large pour passer entre les buildings, les simulations de débris se comptaient par centaines ! Nous nous sommes vraiment amusés avec ça…

Alain Bielik, avril 2012
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 20 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.