Ballerina

Un nouveau challenger français à l’assaut des grands studios américains.

Le succès international du Petit Prince nourrit les ambitions des producteurs français d’aller chasser sur les terres des grands studios d’animation américains : les contes et autres histoires à vocation universelles, qui peuvent séduire un public familial dans tous les pays. Le trio Nicolas Duval-Adassovsky, Laurent Zeitoun et Yann Zenou de Quad Productions vise exactement cela : challenger en ce Noël 2016 Vaiana, la dernière surproduction Disney avec Ballerina, leur histoire d’une jeune orpheline montant à Paris pour devenir une danseuse étoile à l’Opéra de Paris. Un combat un peu inégal quand on dispose d’un budget de $30 millions plutôt que les $200 millions d’un blockbuster américain, mais le succès mondial d’Intouchables (2011) leur a donné des ailes.

Quad Productions s’est vraiment saisi en 2013 de cette histoire proposée par les réalisateurs Eric Warin et Eric Summer. Une fois le scénario finalisé et les financements réunis, ils se sont entourés de spécialistes pour développer les aspects créatifs de Ballerina. Le directeur artistique Florent Masurel a reconstitué le Paris haussmannien de 1879 au prix de plusieurs mois de recherche iconographique : l’Opéra Garnier juste achevé, la Tour Eiffel en chantier, le palais du Trocadéro ancienne version (1878) sur la colline en face, … Sans oublier la Statue de la Liberté en cours de construction par le sculpteur colmarien Bartoldi dans les ateliers de Gustave Eiffel. Un décor mythique, rendu de façon réaliste, plus que les personnages qui sont d’un réalisme plus stylisé, moins distinctif.

La danse classique est le sujet principal de Ballerina, il fallait la sublimer à l’écran. Le couple de chorégraphes et danseurs étoiles Aurélie Dupont et Jérémie Bélingard ont fait vivre l’expérience de la danse classique dans le film. « On a commencé par tester la « motion capture », avoue Laurent Zeitoun, en habillant une danseuse, en l’occurrence Aurélie Dupont, avec des capteurs qui transmettaient à l’ordinateur les points de mouvement. Etrangement, les premiers rendus offraient une sensation d’inertie alors que c’était le calque fidèle de ce que faisait la danseuse. On a rapidement abandonné cette option ». Plus de tournage sur fond vert, place à l’animation classique en keyframe !

Mais avec de vraies chorégraphies comme l’explique Aurélie Dupont : « Jérémie et moi avons choisi des rythmiques et imaginé la chorégraphie jusqu’au plus petit détail, comme l’assiette que l’héroïne Félicie  fait valser dans la cuisine de l’orphelinat ou le coup de balai qu’elle passe sur la scène en faisant une pirouette ! J’ai dansé toutes les scènes, tous les personnages. Félicie ou sa rivale Camille ont le même âge mais ne s’expriment pas de la même façon : la première est instinctive, passionnée ; la seconde est technique, froide, parfois sans respiration ». Et l’animation s’appuiera sur ces références pour sublimer la chorégraphie, et accentuer la dramaturgie en exagérant les mouvements. « Il y a des mouvements irréalisables dans la vie, souligne Jérémie Bélingard. Par exemple, le pas extraordinaire de Félicie n’existe pas et le tour sur elle-même qui se termine en grand écart ne peut être exécuté que par un garçon. On a dynamisé des mouvements en les accélérant ou on a ralenti des sauts pour qu’ils prolongent l’impression d’être suspendus.  Dans la grande scène d’affrontement entre Félicie et Camille, il est physiquement impossible de sauter d’un siège à l’autre ou au-dessus des marches du grand escalier de l’Opéra ».

En septembre 2014, la phase de fabrication de Ballerina commence sous la direction de Ted Ty. Diplômé de Cal Arts, Ted Ty a accumulé quelque 20 ans d’expérience en animation chez Disney (Le Roi Lion, Pocahontas, Mulan, etc.) et chez Dreamworks (les Madagascar, Kung Fu Panda, Pingouins, etc.). Contacté par Quad Productions. Ted Ty est séduit par l’émotion qui émane de l’histoire, et propose d’utiliser son propre studio à Montréal, l’Atelier Animation, pour produire un film fort, avec un rendu digne d’un grand studio. Les défis ne manquent pas : il faut monter un pipeline de production de zéro et directement pour un long métrage. Et aussi modéliser ce Paris de 1879 de façon authentique. Et surtout s’inspirer des références filmées d’Aurélie Dupont pour pousser l’animation et susciter l’émotion.

Jusqu’à 200 personnes, dont une trentaine d’animateurs, ont travaillé sur Ballerina en l’espace de deux ans. Le travail a été entièrement fait sur place, avec les logiciels Maya, Guerilla Render et Nuke pour le compositing. Les contraintes budgétaires exigent quelques astuces, comme de réduire le nombre de simulations de chevelures ou d’habits réalisées après l’animation. Du coup, Félicie danse plus souvent en habit qu’en tutu ! Idem pour les simulations de foules. Pour modéliser Paris, l’Atelier Animation a créé un système d’immeubles multiples qu’on pouvait assembler. Il y a surtout des façades et des toits, pour reconstituer les rues de Paris en combinant des immeubles haussmanniens et des immeubles plus vieux, avec un choix de détails fournis par la direction artistique pour authentifier le look. Ballerina est finalement livré en septembre 2016, mais l’Atelier Animation reste opérationnel pour de nouveaux projets. En vue peut-être d’un Ballerina 2 si le succès est au rendez-vous ?

Paul Schmitt, décembre 2016