Ben Hur

Un remake contestable revisité par la culture YouTube et dopé aux images de synthèse. Avec une vidéo making-of de la course de chars du studio MrX !

Ben Hur version 2016 fait partie de ces films au sujet desquels on se demande ce qui a bien pu passer par la tête des producteurs. Le classique de 1959 est l’un des plus grands films de tous les temps et détient toujours (à égalité) le record du plus grand nombre d’Oscars décernés à un film. Autrement dit, un authentique monument du Septième Art. Pourtant, certains ont pensé qu’il était possible de faire encore mieux… Et pour succéder au prestigieux William Wyler, rien moins que le peu subtil Timur Bekmanbetov dont personne n’a oublié le… Abraham Lincoln, Chasseur de Vampires.

Au vu de la filmographie du cinéaste, nul doute que le mythe Ben Hur allait passer à la moulinette numérique avec une relecture façon clip MTV. Une idée de cauchemar pour un critique de la vieille école, un projet de rêve pour l’équipe des effets visuels, chargée de recréer la Judée du premier siècle, la bataille navale, et la course de chars. À la tête de cette équipe, on retrouve Jim Rygiel, titulaire d’un Oscar pour Le Seigneur des Anneaux. Il a réparti les plans au sein de trois studios principaux : Mr. X, Scanline VFX et Soho VFX.

Bataille navale
La première grande séquence à effets visuels est la bataille navale au cours de laquelle le destin de Ben Hur bascule. Pour se démarquer de l’approche de William Wyler, Bekmanbetov a décidé de filmer l’action presque exclusivement depuis le point de vue des rameurs, au cœur de la galère romaine.

Le décor de galère a été construit en trois exemplaires. La première version représente le pont entier avec les rameurs à leur poste et le panorama marin incrusté au-delà des ouvertures latérales. La seconde version est une réplique partielle, montée sur un système d’airbags qui permet de l’incliner à volonté de façon à simuler le tangage. Pour l’éperonnage, un éperon et des débris 3D ont été intégrés dans le décor, combinés avec un effet de destruction réel sur la paroi et une onde de choc provoquée par des vérins hydrauliques. Enfin, une troisième version représente une section encore plus petite du décor : elle était destinée à être suspendue au-dessus d’un bassin pour y être immergée, simulant le navire en train de couler.

Scanline s’est occupé de cette séquence, mettant à profit la versatilité de son moteur de simulation de fluides Flowline. Ce dernier a la capacité de gérer simultanément plusieurs simulations qui devraient normalement être réalisées séparément : corps rigides pour les projections de débris, fluides pour la vague jaillissant dans le navire et les gouttelettes, fluides pour les torches, etc.

Le Cirque romain
Toutefois, le gros « morceau » du film a été réservé à un autre studio, Mr. X, société canadienne de moyenne envergure. Longtemps cantonné aux effets visuels classiques de type compositing, le studio est passé au stade supérieur avec la création de la fantastique course de chars. La séquence du Ben Hur de 1959 est considérée comme la matrice du cinéma d’action moderne. Autant dire que Bekmanbetov était attendu au tournant avec cette nouvelle version. Comment cette séquence pouvait-elle être réinventée avec l’apport du numérique ?

Premier élément de réponse, le Cirque romain, construit en un décor de 200 mètres de long qui ne représente qu’une partie de la longueur du site à l’écran. Sur un côté, quelques gradins, de l’autre un simple muret pour délimiter la piste. La séquence est donc presque entièrement constituée de plans à effets visuels au niveau de l’environnement. Plan par plan, Mr. X a ajouté les gradins de part et d’autre, intégré les structures décoratives sur le terre-plein central, et enfin, ajouté le paysage à l’arrière-plan. L’équipe a même créé de toutes pièces l’ombre des gradins projetée sur la piste. En effet, faute de hauteur suffisante, le décor du Cirque ne projetait aucune ombre, ce qui a nécessité un très gros travail de mise en lumière.

L’ensemble du décor a été réalisé en full 3D car la caméra de Timur Bekmanbetov est constamment en mouvement – certains plans ont d’ailleurs été filmés à partir d’un drone. Pour ce travail, les capacités de Nuke en termes de compositing 3D se sont avérées indispensables.

Parallèlement, les gradins ont été peuplés de quelque 60.000 figurants animés par ordinateur dans Massive. Pour ce faire, le studio a filmé en motion capture des figurants en train de mimer les actions typiques d’un spectateur dans une arène sportive : assis, debout, encourageant, applaudissant, réagissant, etc. Leurs vêtements ont été animés en simulation de tissu dans Massive.

Course de chars
Une fois l’environnement finalisé, Mr. X s’est attaqué à la course elle-même. Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, les acteurs ont vraiment conduit un char sur la piste – il ne s’agit pas d’un tournage sur fond vert en studio. Jack Huston (Ben Hur) et Toby Kebell (Messala) ont suivi plusieurs semaines de formation afin d’apprendre à manier quatre chevaux à pleine vitesse. Dans les plans serrés, le char est tiré par une voiture caméra, sans les chevaux. Lorsque l’action est risquée, le char est piloté par un conducteur caché aux pieds de l’acteur, avec un autre jeu de rênes qu’il a fallu effacer de l’image.

Tous les plans de la course ont été filmés sur de la terre battue humidifiée de façon à éviter tout nuage de poussière. La présence de poussière en suspension aurait en effet grandement compliqué le compositing. Les nuages de poussière et projections de terre et de sable ont été réalisés dans Houdini, puis intégrés dans l’image derrière chaque char.

La course est rythmée par des accidents plus spectaculaires les uns que les autres. Tous reposent exclusivement sur les effets visuels – aucune cascade n’a impliqué un vrai cheval. Les plans les plus difficiles ont été ceux qui faisaient intervenir des chevaux créés par ordinateur. Pour ce faire, Mr. X a dû sortir le grand jeu. L’équipe n’avait jamais réalisé d’animation 3D de ce type. La production a donc demandé avant toute chose à voir un test d’animation. Le résultat s’est avéré tellement convaincant que les producteurs se sont rendus directement dans les locaux de Mr. X pour s’assurer que le test avait bien été réalisé en interne et pas sous-traité…

Cavalcade numérique
L’avantage, c’est que le studio a bénéficié des images réelles des vrais chevaux au galop pour caler l’animation et la lumière sur les répliques. Les animateurs et TD ont pu ainsi réaliser des plans spectaculaires, comme ceux où Ben Hur se fait traîner par ses chevaux et manque d’être piétiné par ceux de Messala. Les chevaux de Ben Hur sont réels, pas ceux de Messala. Jack Huston a été filmé en train de se faire traîner sur le sol tout en faisant mine d’éviter les sabots. En postproduction, les chevaux ont été intégrés dans l’image juste au-dessus de Huston.

Pour les scènes de chevaux s’effondrant ou heurtant un obstacle, l’équipe a pu baser l’animation sur des images d’archives extraites de vieux films datant d’une époque où le bien-être des animaux n’entrait pas en considération à Hollywood. Les chevaux 3D ont été modélisés autour d’un squelette parfaitement réaliste, et dotés d’un système musculaire très élaboré, le tout recouvert d’une couche de fascia. L’animation du cheval, réalisée dans Maya, déclenche des sous-animations simulées dans nCloth.

L’un des plans les plus étonnants est celui où un cheval, rescapé d’un crash violent, s’échappe dans les gradins au milieu du public. Étonnamment, cette scène – à commencer par l’animation – est calquée sur un événement réel survenu lors d’une corrida en Espagne en 2010. Excepté qu’il ne s’agissait pas d’un cheval, mais d’un taureau ! Bekmanbetov a demandé aux figurants de se comporter exactement comme les spectateurs en Espagne, et les animateurs ont intégré le cheval 3D au milieu de cette foule.

Nul doute que le travail de Mr. X sur cette scène est impressionnant, mais cela n’a pas suffi à convaincre les spectateurs de se rendre dans les salles obscures. Le film connaîtra sans doute une belle carrière en DVD, mais dans l’immédiat, William Wyler et Charlton Heston peuvent reposer en paix : leur chef-d’œuvre n’a rien à craindre…

Alain BIELIK, Septembre 2016
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 25 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.