Chasseurs de Dragons : le film

De preux chevaliers, des créatures magiques, des décors grandioses… Pour son premier long métrage en 3D, le studio parisien Mac Guff Ligne signe un film au visuel époustouflant. Une réussite dont Pixelcreation vous invite à découvrir les coulisses.

Cette aventure commence il y a douze ans, lorsque l’association des mots « chasseur » et « dragon » donne naissance à une histoire dans l’esprit d’Arthur Qwak. Celui-ci développe le look des personnages avec Valérie Hadida, puis parvient à intéresser suffisamment de monde pour décliner le concept en bande dessinée, puis en série TV, puis, aujourd’hui, en film. Un film dont il est devenu le coréalisateur avec Guillaume Ivernel.
L’histoire raconte les aventures d’un roi de l’arnaque, Gwizdo, et son compagnon d’aventures, le géant Lian-Chu. Leur spécialité ? Faire semblant de combattre de terribles monstres afin de soutirer de l’argent aux personnes crédules. Un jour, ils tombent sur la petite Zoé, nièce du Seigneur Arnold qui vit dans la hantise d’un dragon, authentique celui-là. En rencontrant Gwizdo et Lian-Chu, elle croit avoir trouvé les perles rares qui vont débarrasser la région de cette terrible menace. Mais les deux escrocs veulent seulement empocher la prime et filer à l’anglaise…

Les références d'Arthur Qwak et Guillaume Ivernel
Un peu à la façon de 1001 Pattes de Pixar, le scénario repose sur l’opposition souvent cocasse entre les espoirs que Zoé place en ceux qu’elle considère comme des sauveurs, et la réalité de ces deux antihéros. “Chasseurs de Dragons est une connexion,” explique Arthur Qwak. “D’un côté, des dragons et tout l’univers fantastique qui va avec, et de l’autre, le métier de chasseur et tous les problèmes liés au fait d’avoir un boulot : les contrats, les problèmes d’argent, les factures impayées... Pour Gwizdo, le prince charmant est le pire ennemi du chasseur parce qu’il casse le métier en bossant à l’œil. J’aime bien les personnages qui ne sont ni Jedi, ni chevalier ou guerrier ou magicien, mais des gens comme vous et moi. On s’y attache immédiatement parce qu’ils sont proches de nous.”
Lorsque Chasseurs de Dragons est mis en chantier, les deux réalisateurs bénéficient de plus d’une décennie de développement visuel. Les personnages sont déjà dessinés, leur univers aussi. Cependant, pour transposer cette esthétique sous forme de long-métrage, il faut pousser la recherche visuelle bien plus avant. “J’avais en tête un mélange de romantisme allemand à la Gaspard Friedrich et d’orientalistes pour la lumière,” raconte Ivernel. “Et puis les illustrateurs anglo-saxons des années 70 comme Roger Dean ou encore Moebius en France. Et, bien sûr, l’animation japonaise.” De son côté, Arthur Qwak lorgne vers d’autres références : “Il y a les vieux Disney comme Blanche-Neige et les Sept Nains, ou encore Les Dents de la Mer ou Bandits Bandits, mais aussi l’époque « Métal Hurlant » et des auteurs comme Moebius, Giger ou Corben. En fait, on voulait faire un film drôle et flippant à la fois. J’aime bien entretenir l’idée du contraste dans une histoire, c’est ce qui peut en faire sa richesse. Pour résumer, l’idée était d’imaginer quel serait le look d’une aventure de Tom et Jerry chez Le Seigneur des Anneaux !”

Mac Guff Ligne principal studio
Pour concrétiser cette vision, les deux réalisateurs font appel au studio Mac Guff Ligne, gros producteur d’animation 3D (voir notre galerie L’Odyssée de la Vie). 150 personnes au total participent au projet pendant plus de quatorze mois, avec une moyenne de 90 artistes en permanence. Parmi l’équipe de supervision, Bruno Chauffard, Chef de Projet 3D, et Nicolas Brack, Superviseur des personnages et de l’éclairage.
Première étape, s’adapter aux besoins d’un film entièrement généré en 3D, ce que le studio n’avait encore jamais fait. “Nous avions déjà entièrement réalisé les personnages d’Azur et Asmar, mais les décors avaient été dessinés à la main,” raconte Bruno Chauffard. “Les personnages étaient tous en 3D avec un rendu 2D. Cela dit, Chasseurs de Dragons était un projet d’une autre envergure car il fallait cette fois tout créer.”
 Pour gérer le projet, Mac Guff développe un outil d’asset management baptisé InK. “Ce logiciel nous permettait de suivre en détail le processus de création de chaque plan, tâche après tâche,” poursuit Bruno Chauffard. “Les artistes pouvaient directement accéder à un modèle, un shader, un fichier d’animation, un rendu, etc. InK a également permis à deux prestataires extérieurs d’avoir accès à une base de données constamment réactualisée.”
L’animation proprement dite demandera six mois de travail à une équipe de 25 animateurs. Un chiffre relativement modeste en comparaison des standards des géants américains comme DreamWorks, Blue Sky et Pixar. “C’était la même chose au niveau des processeurs,” confirme Nicolas Brack. “Certains studios américains travaillent avec des render farms de 4000 processeurs ! Nous n’en avons utilisé que 650 au maximum – la moyenne était plutôt de 200 à 300…” Et Bruno Chauffard de préciser : “Comme on n’a pas les mêmes moyens humains et logistiques, on compense par une optimisation très poussée du processus de fabrication. On s’efforce de régler tous les problèmes en amont par une réflexion intense. Nous avons aussi bénéficié du fait que les réalisateurs savaient exactement ce qu’ils voulaient, que ce soit sur le plan du scénario ou du design. Ça nous a permis d’être beaucoup plus productifs.”
Sur le plan technique, Chasseurs de Dragons est réalisé principalement avec des outils développés en interne – Symbor pour la 3D, MGLR pour le rendu, Trukor pour le compositing – et avec Maya. Au sein de Mac Guff, la chaîne de production est très segmentée – modeleurs, riggers, animateurs, etc. – mais elle est dirigée par des superviseurs de séquence qui, eux, maîtrisent les techniques employées à chaque étape.
Pour assurer une transposition correcte des personnages dans le monde 3D, l’équipe préfère d’abord passer par une étape de maquette en volume. Une sculpteuse réalise un prototype de référence pour chaque personnage, puis ceux-ci sont modélisés en 3D. “Les personnages ne présentaient pas vraiment de difficultés techniques, à l’exception du chien et du Bouffe Monde,” précise Nicolas Brack. “Le premier devait pouvoir être déformé dans tous les sens, façon Tex Avery, ce qui posait certains problèmes. Avec le Bouffe Monde, la difficulté était que ce dragon mesurait 150 mètres de haut ! On devait le voir en plan large, mais aussi dans de très gros plans. À la fin du film, les personnages escaladent son corps et celui-ci s’avère tellement grand qu’il devient un décor à part entière. Cela posait de gros problèmes de shading, car on ne voulait pas devoir utiliser différents modèles : un pour les vues lointaines, un pour les cadrages à la taille, etc. Nous avons donc mis au point un shading unique qui fonctionnait quelle que soit la distance à laquelle le dragon se trouvait par rapport à la caméra.”

Animations et simulations
Côté animation, l’équipe de Kyle Balda et Laurent de la Chapelle utilise les méthodes traditionnelles. Pas de motion capture ni de performance capture, mais de bonnes vieilles poses clés. Pour les dialogues, la question se pose de savoir en quelle langue animer la bouche des personnages. Les répliques ont en effet été enregistrées en langue anglaise et en français (Chasseurs de Dragons nourrit de grandes ambitions internationales). Finalement, il est décidé que les animateurs caleront les mouvements de la bouche sur les dialogues anglais. En version française, il en résulte un décalage certain, mais le public français à l’habitude de ce phénomène avec les films doublés – ce qui n’est pas le cas des spectateurs anglo-saxons.
Parallèlement à l’animation en poses clés, Chasseurs de Dragons exige un important travail de simulation. “Le costume de chaque personnage comporte au moins un élément en fourrure, sans compter le chien, bien sûr,” raconte Nicolas Brack. “Nous avons pour cela utilisé un générateur de poils développé en interne autour de Symbor et MGLR, mais l’animation dynamique de ces éléments est restée discrète. Il fallait aussi faire onduler les tresses de Zoé, la queue-de-cheval et les moustaches de Lian-Chu, etc. La plupart du temps, il s’agissait d’une animation en poses clés avec une couche de dynamique par-dessus, ou bien le contraire. Les réalisateurs ne voulaient pas que ces mouvements attirent l’attention plus que nécessaire. À part la fin où il fallait ajouter du vent, il y avait assez peu de dynamique et de simulation sur les personnages en situation normale. Le film devait rester très graphique et centré sur l’animation.”
L’équipe a également recours à la simulation de corps souple pour l’animation du dragon en forme de chenille géante. Les masses graisseuses du mastodonte doivent en effet bouger comme sur un phoque. La simulation vient donc s’ajouter à l’animation principale du corps. Dans cette même scène, une simulation de fluides s’avère nécessaire pour créer le jaillissement et l’écoulement du « vomi » de ce même dragon – un effet réalisé dans RealFlow.
“Enfin et surtout, il y a eu un très gros travail de simulation de corps rigides et d’animations dynamiques sur les décors,” enchaîne Bruno Chauffard. “C’est bien simple, il n’y a quasiment aucun décor de Chasseurs de Dragons qui n’explose pas d’une façon ou d’une autre ! Par exemple, la séquence finale se déroule dans une ville de style « hindou-gothique » dans laquelle les bâtiments sont en ruine ou en démolition. Pour réaliser ces destructions, nous avons dû concevoir les modèles 3D à partir de débris prédéterminés, de sorte que l’éclatement de la structure révèle des sections entièrement texturées et réalistes. Si vous ajoutiez là-dessus le Bouffe Monde et les différents personnages avec leurs simulations respectives, vous obteniez des plans extrêmement complexes. C’était la séquence la plus lourde et la plus difficile de Chasseurs de Dragons.” Le décor de la ville est réalisé à partir d’une librairie de 50 bâtiments différents.
La scène impressionnante dans laquelle les personnages se retrouvent dans des ruines suspendues comme par magie dans un ciel infini nécessite une approche particulière. Les morceaux de ruines 3D sont accrochés à des particules, lesquelles sont alors animées en dynamique, ce qui génère un mouvement de flottement aérien. Quant au ciel lui-même, il s’agissait d’un matte-painting panoramique à 360° qui permettait de pointer la caméra dans n’importe quelle direction. Les nuages les plus proches de la caméra étaient générés en rendu volumétrique.

Maîtriser les temps de calcul pour le rendu
Étonnamment, malgré la complexité de ces scènes, l’équipe parvient à obtenir des temps de rendu tout à fait raisonnables. Dès le départ, Nicolas Brack demande à ce qu’aucun plan ne dépasse deux heures de calcul par image en moyenne : “C’était la limite que je m’étais fixée. Nous avons mis en place des systèmes d’éclairage qui nous permettaient d’avoir des temps de rendu constants quelle que soit l’image. Si un plan nécessitait beaucoup plus, c’est qu’il y avait un problème. Cela pouvait être un simple reflet qui traînait dans les yeux sans servir à quoi que ce soit, et qui faisait exploser le temps de calcul. On supprimait donc tous ces petits détails plus ou moins inutiles de façon à revenir à notre moyenne de deux heures par image.”
Cette maîtrise des temps de rendu était indispensable au respect des délais. “Pour accélérer le processus et avoir un meilleur contrôle sur le résultat final, on a travaillé en couches multiples,” ajoute Bruno Chauffard. “Il y avait une couche pour les personnages, une autre pour les poils, une autre encore pour le décor, etc. En additionnant tous ces layers, on devait arriver à un maximum de deux heures de calcul en moyenne. Le compositing a donc joué un rôle très important dans la création de l’image finale. Mais j’insiste sur l’importance de la réflexion qui a été menée au départ. Nous avons vraiment beaucoup travaillé en amont pour éviter de perdre du temps par la suite. C’est grâce à ce gros travail de filtrage des problèmes et des rendus inutiles que Chasseurs de Dragons a pu être mené à bien dans les délais et avec un résultat aussi spectaculaire.”

Alain Bielik, avril 2008

Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue d’effets spéciaux S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 1991. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.

Les galeries à voir sur les mêmes sujets :

Autres films du studio MacGuff Ligne:

>> Odyssée de la vie

>> Azur et Asmar