Marc Caro et Buf Compagnie

Pour réaliser son trip spatial, Marc Caro a fait appel à ses vieux complices de Buf Compagnie. Au programme, 360 plans à effets visuels qui ont nécessité pas moins de 15 mois de travail. Retour sur des effets spéciaux mystiques et planants…

Le film en a dérouté plus d’un et agacé beaucoup. Il raconte l’arrivée d’un nouveau prisonnier, Saint Georges (Lambert Wilson), dans un pénitencier spatial en orbite autour d’une étrange planète appelée Dante 01. Dès son arrivée, les événements vont se succéder, le nouvel arrivant faisant preuve d’aptitudes inexplicables. Qui est vraiment Saint Georges ?
Ce conte philosophique et métaphysique a été plutôt mal accueilli par les médias, mais s’il y a une chose sur laquelle tout le monde est tombé d’accord, c’est bien la qualité technique et la recherche graphique des effets visuels de Buf Compagnie. Reconnue mondialement pour ses effets éthérés et immatériels (Matrix Revolutions, Batman Begins, Silent Hill…), la société a eu fort à faire avec les plans imaginés par Marc Caro. Parallèlement aux effets visuels, l’équipe s’est aussi chargée d’assurer l’étalonnage numérique qui donne au film son esthétique si riche, si particulière.
Pixelcreation a rencontré Nicolas Chevallier, superviseur des effets visuels pour Buf Compagnie. Il nous raconte cette aventure décidément pas comme les autres.

Pixelcreation : Comment se présentait le projet lorsque vous avez commencé ?
Nicolas Chevallier, Superviseur VFX : Au début, le scénario ne prévoyait que 30 ou 40 plans truqués, à savoir des effets de vision et quelques plans d’exposition dans l’espace. Toute l’action devait se dérouler en huis clos à l’intérieur de la prison. Nous avons commencé à préparer le film en avril 2006, puis le tournage s’est déroulé en mai, juin et juillet de la même année. Tous les effets d’écrans, d’animations sur moniteur vidéo dans le décor, ont été préparés en amont du tournage. À la fin de 2006, la production s’est arrêtée pour une réécriture complète du scénario. Lorsque le projet avait redémarré, le nombre de plans à effets visuels avait considérablement augmenté. De 40 environ, nous étions passés à plus de 300 ! Sur ce volume global, il y avait une centaine de plans assez simples – incrustations d’écrans vidéo, etc. – et environ 150 à 200 plans assez complexes.

Pixelcreation : En quoi consistaient ces plans ?
Nicolas Chevallier : Il y avait quatre grandes catégories d’effets « créatifs » si l’on peut dire : les scènes spatiales, les visions, la visualisation de l’intérieur du corps humain, et l’entité qui apparaît à la fin. Les trois dernières ont demandé un énorme travail de recherche car leur nature très abstraite nous a amenés à réaliser une multitude de tests avant de parvenir au résultat souhaité. Marc Caro aime bien voir les choses pour se décider. Il ne veut pas valider un plan sur la base d’une prévisualisation 3D. Il lui faut voir un résultat animé, avec de vraies images au rendu réaliste. Autrement dit, nous devions à chaque fois effectuer des tests assez poussés, y compris sur le plan du rendu, pour lui montrer à quoi allait ressembler l’image finale. Parfois, c’est ce qu’il voulait, mais souvent, il fallait recommencer à zéro. De ce fait, chaque concept a dû être exploré quasiment jusqu’au rendu final, ce qui a impliqué une quantité très importante de déchets. En réalité, la majeure partie du temps de production a été consacrée à définir le look des effets, et non pas à les réaliser concrètement. Cela explique pourquoi il nous a fallu 15 mois pour créer 150 plans « créatifs ».

Pixelcreation : Le défi résidait dans la nature très particulière des effets que le scénario requérait…
Nicolas Chevallier : Tout à fait. L’entité finale, en particulier, était tellement vague, elle pouvait ressembler à tellement de choses, qu’il nous a fallu des mois pour finaliser son apparence. Avec la navette ou l’espace, c’était plus simple. On avait affaire à des objets solides, concrets, avec de vraies surfaces. Mais pour l’entité ou les visions, il s’agissait de superpositions de dizaines de couches d’animation à base de fractales, d’un effet d’irisation au rendu, et de passes de transition entre chaque niveau. Les possibilités de combinaisons et de réglages étaient infinies, et cela prenait énormément de temps de les tester avec à chaque fois un rendu quasi final.

 

Pixelcreation : Quel était le concept initial pour l’Entité ?
Nicolas Chevallier : C’était très flou au départ. Marc voulait quelque chose qui soit à la fois fractal, aquatique, hypnotique, et qui émerge du corps de Saint Georges… Vous imaginez que ça ouvre la porte à pas mal d’interprétations ! Marc était particulièrement intéressé par le look des bulles de savon et par l’irisation de l’essence, deux phénomènes que nous devions intégrer dans le design. Cette entité était tellement abstraite qu’on ne pouvait pas la modéliser de façon traditionnelle. Il était même impossible de visualiser dans l’interface ce que cela allait donner au rendu. D’ordinaire, les shaders donnent une bonne idée du résultat final, mais là, il fallait sortir un rendu pour pouvoir juger l’animation et procéder aux ajustements. L’entité a été modélisée de façon fractale afin d’obtenir un côté répétitif, mais aussi une mise en abîme [ndlr – procédé consistant à incruster une image à l’intérieur d’elle-même]. C’était tellement compliqué qu’on arrivait à quatre heures de rendu par image, ce qui ne facilitait pas le processus de rendu/modification.

Pixelcreation : Parlons à présent des scènes spatiales. Comment ont-elles été conçues ?
Nicolas Chevallier : Marc Caro voulait un espace qui soit très vide. Il y avait la planète, la station, la navette et c’était tout. Il s’agissait de souligner le fait que cette planète était complètement isolée, loin de toute civilisation. Pour la station, Marc a une nouvelle fois privilégié une approche fractale. La structure devait présenter des formes répétitives et une symbolique de croix. Pour le look général, nous sommes partis d’un croquis fourni par Marc qui nous a servi à modéliser la station. Ensuite, les surfaces ont été habillées à l’aide de scripts qui automatisaient cette fonction, tout en autorisant un contrôle manuel. Ces scripts mathématiques plaçaient des objets et des structures de façon aléatoire, mais dans le cadre de suites logiques. Les textures n’étaient pas appliquées totalement au hasard.

Pixelcreation : Ces scripts vous permettaient de travailler plus vite ?
Nicolas Chevallier : Oui, sur ce projet, nous avons essayé d’automatiser un maximum de taches. C’était le seul moyen de réaliser tous ces effets très différents et très compliqués avec le budget dont nous disposions. Pendant que l’ordinateur construisait une scène, nous pouvions travailler sur autre chose. Nous écrivions des lignes de commandes pour créer les plans de façon automatique, puis on retouchait le résultat à la main. Ces scripts étaient intégrés dans notre pipeline interne basé sur des logiciels maison. Seul le rendu a été assuré par un logiciel issu du commerce, à savoir Mental Ray.

Pixelcreation : Justement, comment avez-vous géré le rendu d’un objet aussi complexe que la station spatiale ?
Nicolas Chevallier : Le fichier était très lourd. Quand vous avez un objet de plusieurs millions de polygones et que vous ajoutez là-dessus des animations, ça devient très difficile à gérer. Qui plus est, certains plans duraient plus de 2000 images… Au début, ces plans saturaient complètement notre réseau ! On n’arrivait même plus à travailler. Il a donc fallu alléger les plans au maximum, les découper en morceaux à l’aide de scripts. Pour faciliter les choses, nous avions plusieurs versions de la station avec des degrés de modélisation et de textures différentes. Côté modélisation, nous avons beaucoup travaillé à partir d’instances. Lors du rendu, Mental Ray effectuait son parsing uniquement sur les objets réels et ne calculait pas les instances. Plus l’objet était éloigné dans le plan, plus on retirait des éléments lorsque ceux-ci n’étaient plus visibles à l’image.

Pixelcreation : Et sur le plan des textures, aviez-vous plusieurs degrés de résolution ?
Nicolas Chevallier : Oui, il y avait trois niveaux de maps. La résolution était ajustée en fonction de la distance de l’objet par rapport à la caméra. On essayait de ne pas dépasser une heure de calcul par image, ce qui était déjà beaucoup pour des plans de 2000 images… Avec l’entité, nous sommes arrivés à quatre heures par image, mais il y avait beaucoup d’éléments très complexes à calculer : transparence, réflexion, réfraction, diffraction… bref, tout ce qu’il y a de pire pour un moteur de rendu !

Pixelcreation : Les visions de Saint-Georges sont très étonnantes. Quelle a été votre approche ?
Nicolas Chevallier : Ces visions devaient avoir un caractère très mystique et prendre l’apparence d’un tableau. Il fallait retrouver l’aspect d’une vraie peinture – on devait pouvoir faire un arrêt sur image, imprimer cette image, et avoir l’impression de se trouver devant un tableau peint à la main. Marc nous a demandé de nous inspirer des œuvres de l’artiste Alex Grey, un peintre qui travaille dans le symbolisme et le psychédélisme.

Pixelcreation : Pendant ces visions, on peut voir le corps d’un personnage en transparence…
Nicolas Chevallier : Marc avait eu l’idée de présenter un personnage comme un oignon, en révélant successivement les différentes couches de son corps : squelette, muscles, système nerveux, organes, et le réseau sanguin. À cela venaient s’ajouter des animations à caractère mystique, comme l’aura, les flux d’énergie, et même les points d’acupuncture. Pour ces effets, on jouait une nouvelle fois sur le look « bulle de savon » et sur l’irisation des surfaces, de façon à créer un parallèle avec l’entité. Chaque couche a été modélisée individuellement, même si on en voit très peu à l’écran. La moindre veine était un tube formé de polygones, un travail très précis, mais le réseau capillaire secondaire a été modélisé à l’aide de scripts. Comme chaque couche devait posséder son propre cache, on arrivait au total à une vingtaine de couches superposées. Très vite, la gestion individuelle de ces couches a été l’une de nos priorités, car l’ensemble atteignait vite un poids impossible. Nous avons passé beaucoup de temps à designer ces effets, à choisir les couleurs, à déterminer quand telle couche devait apparaître, à quel moment telle autre devait disparaître, etc. C’était très compliqué parce qu’il y avait des mouvements de caméra, des rendus spéciaux, des animations et tout un tas d’autres paramètres.

Pixelcreation : Vous avez aussi joué à faire un mini remake du Voyage Fantastique avec ces plans dans lesquels la caméra suit une nanomachine injectée dans le vaisseau sanguin d’un prisonnier
Nicolas Chevallier : L’idée est que la femme médecin injecte dans le corps des prisonniers une machine expérimentale qui libère des créatures qui viennent se fixer sur les globules. Le rôle de ces créatures est d’intensifier le Mal qui se trouve dans les prisonniers. Elles les rendent plus agressifs, plus mauvais encore qu’ils ne le sont déjà. Pour ces plans-là, une première mise en place à la main a été nécessaire. Ensuite, l’animation des globules, les surfaces à l’intérieur de la veine, les aspérités, les coudes, etc., tout ceci a été déformé avec un facteur de placement quasi aléatoire qui nous permettait de tester rapidement plusieurs configurations : nombre de globules, vitesse de rotation des globules, etc. Par exemple, un script gérait spécialement l’animation des créatures. Celles-ci avaient pour instruction de nager et d’aller s’accrocher sur le globule le plus proche. Cette animation était entièrement automatisée.

Pixelcreation : N’est-ce pas là quelque chose que vous faites systématiquement sur ce type de scène ?
Nicolas Chevallier : Oui, même si dans l’idéal, il faudrait tout placer à la main. Plus on a de contrôle sur un plan, mieux c’est. Une fois la simulation réalisée, on retouchait les plans à la main, en ajoutant des collisions entre globules, par exemple. Après, pour ce type de retouches, la question du budget se pose : plus un plan nécessite une intervention manuelle, plus il coûte cher…

Pixelcreation : Comment avez-vous ressenti l’échec commercial du film, le fait qu’il soit sorti dans un si petit nombre de salles ?
Nicolas Chevallier : Je trouve que c’est vraiment dommage pour le cinéma de science-fiction français. Les distributeurs ont toujours peur de ce genre de films. Il y a plein de talents en France, plein d’idées, des gens qui cherchent à faire de la SF grand public, des films de pur divertissement, pas seulement la SF qu’on pourrait qualifier de « cérébrale ». Le savoir-faire technique est là, mais les budgets ne sont jamais à la hauteur. Songez que nous n’étions qu’une dizaine pour faire tous les effets du film, des effets très différents les uns des autres ! En simplifiant les choses, on peut dire que le cinéma français met 1 euro en espérant en récolter 2, tandis que le cinéma américain en met 10 en espérant en récolter 25. Je suis très heureux d’avoir participé à cette expérience avec une équipe de graphistes vraiment exceptionnelle, mais il est vraiment difficile de rivaliser dans ces conditions…

Alain Bielik  –  janvier 2008

Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue d’effets spéciaux S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 1991. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.

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>> Dante 01

>> Astérix aux jeux olympiques

>> Spider-man 3

>> Arthur et les Minimoys