Doctor Strange

Marvel continue l’expansion de son univers cinéma avec un héros peu connu et porté par des effets visuels renversants – littéralement. NEW: plus d'images et de CG progressions des studios VFX!

Depuis l’an dernier, Marvel a entrepris d’étendre son univers cinématographique en introduisant progressivement de nouveaux personnages : Ant-Man l’an dernier, Doctor Strange cette année, et Black Panther l’an prochain. Tous devraient retrouver les Avengers dans un film en deux parties qui sortira en 2018 et 2019. Doctor Strange est un cas à part dans le monde des superhéros. L’immense majorité d’entre eux repose sur des pouvoirs qui impliquent un affrontement physique avec l’adversaire. Strange est totalement différent dans la mesure où il utilise l’univers de l’occulte pour terrasser ses ennemis. Avec lui, les problèmes ne se règlent pas à coups de poings, mais dans des univers parallèles où la logique de notre monde ne s’applique plus.

Cette particularité a fait du film sans doute le projet le plus difficile à ce jour en termes d’effets visuels pour Marvel Studios. Que ce soit Iron Man, Hulk, Thor, ou Captain America, ils évoluent dans un univers réel où les lois de la physique s’appliquent. Les effets visuels consistent donc à intégrer des éléments fantastiques dans notre monde quotidien (excepté quelques rares scènes de la saga Thor). Dans Doctor Strange, c’est le monde lui-même qui devient un effet visuel ! Pour superviser cet aspect du projet, Marvel a fait appel au Français Stéphane Céretti qui avait déjà fait ses preuves en la matière en créant des mondes entiers pour Les Gardiens de la Galaxie, avec le succès que l’on sait. Le film avait même décroché une nomination à l’Oscar des meilleurs effets visuels.

Pour Ceretti, la première chose a été de visualiser la magie et les univers parallèles, un défi considérable dans la mesure où il s’agissait de concepts très abstraits. “Ces choses étaient totalement inédites dans l’univers Marvel au cinéma,” commente Ceretti. “Nous partions vraiment de zéro. Cela s’est traduit par un gros challenge au niveau de la recherche visuelle et de la conceptualisation. Comme il ne s’agissait pas de recréer la réalité, mais d’en inventer une nouvelle, tout se prêtait à interprétation. Personne dans l’équipe n’avait le même avis sur comment les choses devraient être… Du coup, ça a pris beaucoup de temps pour mettre les choses en place et trouver le bon équilibre. Nous avons commencé par faire une recherche autour de tout ce qui concerne les illusions d'optique, les kaléidoscopes, les fractales, les illusions photographiques, le light-painting aussi (qui consiste à créer des « peintures » avec de la lumière en longue exposition). Ensuite, nous avons essayé d’analyser tous ces éléments pour que ça fasse sens avec le script, et pour trouver des moyens de les intégrer dans le film.”

Dimensions parallèles psychédéliques
L’une des séquences les plus abstraites est celle où le personnage interprété par Tilda Swinton projette le Docteur Strange dans une succession rapide de dimensions parallèles, lesquelles se révèlent être de vrais délires visuels. Au départ, la séquence devait durer pas moins de sept minutes, mais elle a été réduite à deux minutes pour le montage final. “C’était vraiment très psychédélique, avec des dizaines d’éléments en mouvement, des concepts franchement déroutants, si bien qu’il a fallu tout prévisualiser dans les moindres détails. La prévisualisation comprenait une représentation très précise des lieux de tournage, du placement de la caméra, de la focale utilisée, etc. C’était indispensable pour développer la méthodologie des prises de vues, car certains plans étaient vraiment très compliqués sur le plan technique.”

Une partie de ces effets visuels fait intervenir des mouvements de caméra complexes qui ne peuvent fonctionner qu’avec des prises de vues en motion control. Ainsi, lorsque Strange passe d’une dimension à l’autre, il se retrouve dans des miroirs. Pour réaliser l’effet, l’acteur Benedict Cumberbatch a été filmé avec un système de motion control qui a permis d’obtenir des images où il était vu sous des angles différents, mais dans un même mouvement de caméra.

Le même principe a prévalu pour la scène finale où les deux héros se retrouvent dans une rue où tous les gens marchent à reculons. Il s’agit en l’occurrence de la manifestation d’une réalité parallèle où le temps est inversé, mais sans affecter les personnages principaux. Pour réaliser ces plans, l’équipe a tourné à chaque fois deux prises en motion control : une passe avec les acteurs principaux, puis une autre avec les figurants, lesquels marchent normalement. En postproduction, le sens de défilement de l’action dans la passe « figurants » a été inversé, puis ces images ont été combinées avec celles des acteurs qui, eux, marchent normalement.

New York en caoutchouc
Sur le plan de la déformation d’un univers réel, on pensait avoir tout vu avec Inception, mais Doctor Strange va beaucoup loin : les gratte-ciel de Manhattan se tordent comme du caoutchouc, d’autres basculent comme des dominos, certains se retrouvent à l’envers… et le tout, au beau milieu d’une scène de poursuite effrénée. “Quand on arrive à ce degré-là de déformation, on est un peu en dehors des lois de la physique… Le concept du réalisateur pour tout ce qui touchait à la magie dans le film, c’était d’utiliser des objets ordinaires et de les faire réagir de façon extraordinaire. Donc, prendre des immeubles et faire qu’ils se déforment comme s’ils étaient mous.”

Pour visualiser ces plans d’anthologie, l’équipe a utilisé plusieurs références très connues, dont le travail de Maurits Escher sur les architectures impossibles, les montres molles de Salvador Dali, et aussi Monument Valley, un jeu sur iOS qui joue sur les fausses perspectives. “C’est grâce à la prévisualisation que nous avons pu faire fonctionner ces illusions dans le cadre d’un film. Le problème avec les images d’Escher, par exemple, c’est qu’elles fonctionnent parfaitement en image fixe, avec un point de vue unique. Mais quand vous faites une poursuite dans New York avec la caméra qui bouge tout le temps, c’est infiniment plus compliqué de maintenir l’illusion… Notre idée a donc été de créer des illusions d’optique où l’on a l'impression que tout est bien agencé sous un certain angle, et dès qu’on fait bouger la caméra, on s’aperçoit que le monde est déformé d’une façon totalement différente de ce qu’on croyait.”

L’un des aspects les plus intéressants du projet a été l’effort délibéré de reproduire certains concepts psychédéliques de la bande dessinée d’origine. Rappelons que celle-ci est née en 1963, à une époque à la jeune génération commençait à s’adonner aux drogues les plus diverses et à se passionner pour le mysticisme oriental. Le Docteur Strange, version BD, est le reflet de son époque, et le film rend hommage à cet héritage « sous acide ». Toujours à l’affût du moindre clin d’œil, les fans vont adorer retrouver à l’écran certaines images hallucinatoires directement issues de l’œuvre d’origine.

Quatre studios se sont partagés les 1450 plans à effets visuels du film : ILM, Framestore, Method Studios et Luma Pictures. ILM a traité les deux séquences les plus ambitieuses, celle de New York et celle de Hong Kong, pour un total de 600 plans environ. Framestore s’est occupé du combat dans le repère du Docteur Strange, et de la séquence où le personnage sort de son corps pour entrer dans le monde astral, soit un total de 400 plans. Enfin, Method et Luma ont travaillé sur environ 200 plans chacun.

“Dans tout ce projet, notre priorité a toujours été de ne pas perdre le fil de l’histoire,” conclut Ceretti. “Avec de tels délires visuels, il était facile de se laisser griser par les effets spéciaux, et de voir les personnages passer au second plan. Aussi, il nous est arrivé de réduire la complexité visuelle de façon à ce que les décors ne prennent pas le dessus. Il fallait que le Docteur Strange reste au centre du film, pas les effets spéciaux…”

Alain BIELIK, Octobre 2016
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 25 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.