Dragons 2

DreamWorks révolutionne son pipeline technique et livre un film visuellement très riche et proche d’un film live par les lumières. Avec une animation magnifiée par la 3D relief, surtout pour les nombreuses séquences aériennes.

Il fallait oser et DreamWorks l’a fait : pour Dragons 2, suite du premier Dragons, le studio d’animation a décidé d’implémenter un pipeline logiciel totalement inédit. C’est bien simple, tout a changé : paint, animation, lighting, rendu… une véritable révolution interne. D’ordinaire, les studios préfèrent étaler de tels changements dans le temps afin de répartir les risques, mais DreamWorks a préféré une approche radicale. Cette mutation est le fruit d’un processus qui avait débuté cinq ans auparavant. À cette époque, l’informatique dématérialisée (cloud computing) et les architectures de calcul en parallèle s’imposaient comme les technologies d’avenir. De quoi inciter les ingénieurs de DreamWorks à faire entrer le pipeline maison dans le XXIe siècle.

Apollo,  nouveau pipeline logiciel de Dreamworks

Le résultat, ce sont trois nouvelles suites logicielles entièrement développées en interne : Premo pour l’animation, Torch pour le lighting et Moonlight pour le rendu, le tout étant réuni dans un ensemble cohérent baptisé Apollo. Celui-ci comprend également un nouvel outil de simulation de poils, mais il n’était pas opérationnel pour la réalisation de Dragons 2.

L’avènement de Premo marque un changement considérable pour l’équipe d’animation, comme l’explique le réalisateur Dean DeBlois : “Par le passé, les animateurs devaient utiliser un clavier numérique et jongler avec toutes sortes de tracés et de courbes. Désormais, ils peuvent faire bouger le personnage à l’aide d’un simple stylet. Cela leur offre la possibilité d’être beaucoup plus spontanés dans leurs choix.”

Premo, ou comment animer de façon plus intuitive et plus rapide

Avec Premo, l’animateur travaille ses poses-clés en 12 images par seconde et le logiciel calcule la scène en 24 images par seconde et la diffuse en haute résolution en temps réel. Au quotidien, le fait d’être limité à 12 images par seconde n’est pas contraignant, car le travail se fait en poses-clés. Tout au long du processus, Premo affiche les personnages en haute résolution.

Jusqu'à présent, les animateurs avaient toujours travaillé sur des modèles basse résolution, puis devaient attendre une vingtaine de secondes avant d’avoir le résultat en haute résolution. Avec Premo, c’est une toute nouvelle expérience qui s’offre à eux. Le personnage s'affiche en haute résolution et peut être manipulé directement avec un stylet sur une tablette graphique. “Quand nous travaillons sur un plan, nous n’avons plus besoin d’attendre que l’ordinateur nous montre le résultat,” confirme le superviseur effets visuels David Walvoord. “On peut s’en rendre compte en temps réel, par nous-mêmes, tandis qu’il fait ces choix sous nos yeux.”

L’animateur a le choix entre différents niveaux de rigging, depuis le squelette proprement dit jusqu’aux surfaces extérieures. L'ensemble est hiérarchisé de façon à ce que chaque intervention se répercute de manière organique tout au long de la chaîne.

Totalement intuitive, cette nouvelle approche a enthousiasmé les animateurs. Pour la première fois, ils pouvaient manipuler en temps réel le personnage tel qu'il apparaissait à l'écran. Cela leur a permis de travailler beaucoup plus à l'instinct et de produire une animation plus subtile et plus riche. Le personnage est palpable, presque solide (« comme un personnage de stop motion » ont trouvé certains).

L'animation se déroule en flux continu, sans ces arrêts rendus nécessaires par la technologie et qui freinent l’inspiration. Cerise sur le gâteau, le lancement du playback se fait automatiquement, sans commande de l’animateur : il suffit que ce dernier lève son stylet et ne touche plus au personnage pour que le logiciel lance un playback du plan animé. Difficile de faire plus simple.

Un processus simplifié au service de l’animation

Grâce à cette nouvelle ergonomie, l’équipe a pu nettement accélérer le processus d’animation, en particulier pour un personnage comme Krokmou, le dragon du héros Harold. Avec ses quatre pattes, sa paire d’ailes, ses oreilles en plateau, sa queue, ses ailerons, etc., il nécessitait quatre fois plus de manipulations que les personnages humains. Le travail à la palette graphique sur le modèle HD a permis de traiter les plans de manière bien plus intuitive.

Le film n’a pas été réalisé plus rapidement pour autant car l’équipe a préféré investir ce temps supplémentaire dans l’animation. On peut le voir dans des scènes émouvantes comme celle des retrouvailles entre Stoïk et son ex-épouse, dont le réalisateur est très fier, ou celle où Harold découvre en gros plan l’incroyable repère de sa mère. Cette dernière scène exploite d’ailleurs à merveille la stéréoscopie avec un ballet aérien des dragons qui occupe toute la profondeur de l’écran.

Indéniablement, Dragons 2 s’impose comme le film le plus ambitieux de l’histoire du studio en terme de subtilité de l’animation faciale et de complexité physique des personnages (le costume alambiqué des héros : fourrures, étoffes et pièces métalliques montées ensemble).

Repenser le lighting avec Torch
Autre outil révolutionnaire pour DreamWorks, le bien nommé Torch qui gère désormais tout l’éclairage. Jusqu’alors, l’équipe devait travailler avec des lignes de code et jongler avec différents outils qui ne communiquaient pas entre eux. Avec Torch, ils ont découvert un logiciel intuitif à partir duquel l’ensemble du processus pouvait être géré, y compris la sélection des zones pour un rendu partiel dans les scènes de foule. “Avec Torch, notre lighting est devenu beaucoup plus raffiné,” commente DeBlois. “Nous pouvons partir de ce monde, caricatural et fantaisiste, et le rendre si vraisemblable que le film semble transcender les films du genre pour se retrouver à la croisée inhabituelle du cinéma d’animation et du cinéma en prises de vues réelles.”

De fait, Dragons 2 présente un look qui se démarque agréablement du style visuel des films d’animation hollywoodiens. Dans ces derniers, la tradition veut que tout soit éclairé, l’équipe jouant sur les couleurs pour créer les contrastes. Avec ce nouveau film, Dean DeBlois a voulu repousser les limites du genre et explorer de nouveaux horizons. Pour ce faire, il a demandé au chef opérateur Roger Deakins (dix nominations à l’Oscar, rien moins) de superviser la lumière. Il s’agissait d’oublier les réflexes du cinéma d’animation et d’utiliser un vrai langage filmique. L’idée maîtresse a été de sculpter l’image avec la lumière et non pas avec les couleurs, comme cela se faisait traditionnellement.

Cela se traduit par une image très contrastée, infiniment plus naturelle que le style habituel d’un film d’animation. Par exemple, sous l’impulsion de Deakins, l’équipe a osé surexposer ou sous-exposer certains éléments. Par exemple, lorsque les dragons passent devant un bout de ciel inondé de soleil, ils sont laissés sous-exposés, là où sur un autre film, ils auraient été artificiellement ré-éclairés.

Cette approche innovante et audacieuse est particulièrement visible dans la séquence de la bataille. “Chacun a l’habitude de voir des films d’animation chatoyants et joyeux,” fait remarquer David Walvoord, “mais dans cette scène, l’image est presque intégralement en noir et blanc. Pas complètement, bien sûr, mais les personnages sont très sombres sur fond de neige blanche et nous avons vraiment joué sur les silhouettes pour les rendre aussi visuellement parlantes que possible.”

Eclairer la glace
Torch a aussi été mis à contribution pour réaliser un effet que DreamWorks n’avait encore jamais eu l’occasion de créer : la glace. L’une des surprises du film, ce sont les Ice Beasts, des dragons blancs géants qui ne crachent pas du feu, mais de la glace. Ce concept étonnant a conduit le studio à s’aventurer en terrain inconnu.

“La glace est un élément incroyablement difficile à restituer,” explique Walvoord. “Ce n’est pas un de ces éléments qu’on a l’habitude de créer, comme la peau ou les poils. Ils sont certes compliqués à élaborer, mais on en a l’habitude. Pas la glace ! Nous n’avions aucune idée de l’allure qu'elle devait avoir. Il a fallu beaucoup de recherches et de tentatives avant de parvenir à un résultat crédible.” Pour un effet optimal, les sources de lumière ont été placées à l’intérieur de la glace au lieu d’être situées frontalement, une astuce qui a permis d’obtenir – grâce à Torch – des transparences et de reflets dignes de ce que Disney avait accompli sur La Reine des Neiges.

Parallèlement, les ingénieurs ont ajouté dans le pipeline un nouveau logiciel de texturing et de peinture 3D, celui-ci issu du commerce. Techniquement dépassé, le logiciel maison avait fait son temps et l’équipe a trouvé dans MARI une alternative idéale. Son apport paraît évident au vu de la richesse remarquable des textures sur le nouveau film, en progrès considérable par rapport au précédent. Certains gros plans sur les écailles noires de Krokmou ou le cuir de l’armure de Harold sont saisissants de densité. Avec Houdini (effets visuels) et Nuke (compositing), MARI est aujourd’hui l’un des rares logiciels du commerce utilisé par DreamWorks Animation.

Dragons 2 a ainsi été l’occasion pour le studio de remettre à plat tout son pipeline pour une nouvelle génération de films, et aussi pour des spectateurs de plus en plus exigeants. “Cela faisait près de 18 ans que nous utilisions les mêmes outils !” conclut le directeur du lighting Pablo Valle. “Il était grand temps que ça change si nous voulions rester dans la course et relever de nouveaux défis.”

Alain BIELIK, Juillet 2014
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 23 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.