Duet de Glen Keane

Après Disney, le célèbre animateur Glen Keane s’associe avec Google et crée Duet, un bijou d’animation interactive et de poésie.

Glen Keane, voilà un nom qui ne vous est pas inconnu si vous êtes fan d’animation. En 38 ans de carrière à Disney Animation, il a animé ou supervisé l’animation de nombre de grands films dont La Petite Sirène, Rox et Rouky, Pocahontas, La Belle et la Bête ou dernièrement Raiponce. Glen Keane a pris sa retraite en 2012 des studios Disney, mais n’a pas posé ses crayons pour autant. Il a poursuivi ses recherches et s’est lancé avec Google dans un projet d’animation, Duet, qu’il est venu présenter fin septembre 2014 à Paris, d’abord aux Gobelins, puis au Forum des Images à l’initiative de l’ACM Siggraph Paris. Ce court est visible sur Youtube et ci-dessous en bas de page.

« Drawing means expressing yourself inside out »
Son mentor chez Disney, l’animateur Ollie Johnston, voulait qu’on anime non pas ce que le personnage fait, mais ce qu’il pense. Pour Glen Keane aussi, cette notion d’empathie avec le personnage est primordiale : le personnage est la clé de l’animation, il existe avant même d’être dessiné. Dessiner, c’est aller le chercher en soi, ne pas hésiter à s’ouvrir, à exposer ses vulnérabilités. Et c’est pour cela que l’œil est la clé du personnage, elle le révèle : « La Bête a un front comme un gorille, des défenses de sanglier, et un corps comme un ours, mais à l’intérieur il y a un prince, et vous le voyez dans ses yeux » explique-t-il.

Glen Keane dessine et anime au fusain, à grands traits emmêlés qui  insufflent le mouvement, d’où cette fluidité de l’animation qui persiste même après « nettoyage » des dessins pour obtenir  un contour net pour le dessin final du film. Un résultat que l’image de synthèse a du mal à reproduire, avec ses personnages qu’on manipule comme des marionnettes grâce au « rig » qui leur est associé. Et les simulations le frustrent carrément avec leur manque de personnalisation du mouvement. Pour le personage de Raiponce, dont la longue chevelure est une partie essentielle du personnage, il redessine même à la tablette Cintiq les mouvements de chevelure par-dessus les résultats de la simulation pour guider les animateurs.

Reconnaissant néanmoins  le potentiel du numérique à élargir les possibilités de l’animation, Glen Keane se demande depuis longtemps comment rapprocher le dessin à la main des CG Graphics,  l’infographie par ordinateur : allier la souplesse du dessin, ses lignes organiques, avec la profondeur de champ,  les mouvements de caméra et de décors que permet le numérique. Il avait déjà essayé de numériser son animation du combat contre l’ours dans Rox et Rouky en gardant les traits de l’animation manuelle plutôt qu’en nettoyant le contour des personnages. Et après la sortie de Tron (1982), il avait avec John Lasseter fait un test d’animation sur le thème des « Wild Things » de Maurice Sendak, mais Disney n’avait pas voulu suivre. Une première tentative de mixer 2D et 3D avec La Planète au Trésor (2002) échoue, et les studios Disney ne passeront vraiment à l’image de synthèse qu’avec Chicken Little (2005) et surtout Raiponce/Tangled (2010). Depuis, le court Paperman (2012), où Glen Keane anime l’héroïne Megg, a aussi permis d’aller un pas plus loin dans cette réconciliation du dessin et du  numérique.

Duet, le dessin au service de la poésie

John Kahrs, réalisateur de Paperman, le met en contact en 2013 avec la division Google Advanced Technology and Projects qui développe des projets de réalité virtuelle pour mobiles sous la direction artistique de Jan Pinkava (réalisateur de Geri’s Game, court en images de synthèse oscarisé en 1998). Le brief de Google : « Repoussez vos limites créatives pour nous faire repousser nos limites technologiques » ! Glen Keane conçoit donc Duet, film court d’animation interactive avec deux personnages qu’on peut suivre individuellement : un garçon et une fille qu’on voit apparaître bébés, puis grandir jusqu’à se retrouver adultes et s’aimer.

Les deux personnages évoluent de façon autonome, mais se croisent régulièrement : une histoire comme une double hélice avec des passages entre les deux brins. Le tout dessiné à la main et subtilement rehaussé à l’ordinateur.

Duet pose défi  à plusieurs niveaux. Au niveau du storytelling : le spectateur manie la caméra, choisit quel personnage suivre et peut explorer une scène sur les côtés aussi bien qu’en haut et en bas : l’arbre où grimpe le garçon, la scène où danse la fille. Pour ne pas le perdre, il faut l’inciter à revenir à l’aide de personnages secondaires (papillon, etc.) qui  bougent dans la bonne direction. Et Duet est aussi une animation dessinée à la main par Glen Keane, sans personnages 3D.

Techniquement, les dessins des personnages sont placés sur des cartes et positionnés dans un espace à 3 dimensions avec le logiciel Maya. D’où l’importance du layout pour concevoir et positionner les éléments, l’arbre particulièrement. Enfin, Google demande à Glen Keane d’animer avec 60 dessins par seconde, lui qui a toujours animé au standard de 24 dessins par seconde !

Glen travaille avec sa petite équipe formée de sa productrice Gennie Rim et de son fils infographiste Max Keane qui fait la liaison avec l’équipe de développeurs de Google supervisée par Rachid El Guerrab. Tous travaillent dans la même pièce dans les locaux de Google. Pour les personnages enfants, Glen s’inspire des deux enfants de Max. Il se fait aussi briefer par le danseur Benjamin Millepied pour faire danser la fille. Et même les dessins à peine visibles des réflections de lumière dans l’eau ont été dessinés plutôt que simulés, Glen ayant été séduit par ce jeu de lignes carrées morphant en triangles, etc. Seuls quelques effets comme la chute d’eau sont réalisés numériquement. Duet est une célébration du dessin juste souligné par une aura bleue pour donner une impression de volume. Avec  une touche minimaliste de couleur réalisée par sa fille, l’illustratrice Claire Keane.

La réalisation s’étend de l’automne 2013 à l’été 2014. Duet est présenté en premier à la convention Google I/O en juin 2014 avant d’être montré à Paris. Mais il ne s’agit que de la version « filmée » de 3’44’’ ; la version interactive, en cours de calcul pour optimiser le débit sur mobiles, sera disponible gratuitement plus tard cette année, peut-être livrée avec les smartphones Motorola comme le précédent film réalisé par Jan Pinkava.

Duet ouvre selon Glen de nouveaux champs au storytelling pour y mettre plus de poésie, créer de l’empathie avec les personnages en un temps très court. Et Glen Keane développe déjà trois projets pour mettre ces idées à profit tout en explorant de nouveaux formats !

Paul Schmitt, octobre 2014