Frankenweenie

Animation somptueuse, personnages lunaires, poésie macabre, relief stéréo remarquablement exploité, noir et blanc envoûtant, Tim Burton revient en grande forme avec un hommage très personnel aux grands classiques du cinéma fantastique.

Tim Burton a toujours éprouvé une grande affection pour le cinéma d’horreur des années 30 et 40, celui des Frankenstein, Dracula et autres Loup-Garou. Les ambiances gothiques, le noir et blanc expressionniste, les histoires macabres, les créatures fantastiques, les personnages plus grands que nature… tout un univers qu’il n’a cessé de revisiter de film en film, à des degrés divers. Dans le genre, Frankenweenie est sans doute sa réalisation la plus aboutie, celle où son univers personnel s’intègre le mieux dans celui du film.

Frankenweenie, c’est un projet de très longue date. Burton avait déjà filmé, dès 1984 dans un court-métrage, l’histoire de ce jeune garçon qui ramène son chien adoré à la vie. Pour cette version définitive, il a choisi de travailler en stop motion, un genre qu'il porte à bout de bras depuis 20 ans, avec des films comme L’Étrange Noël de Monsieur Jack ou Les Noces Funèbres. Issu du cinéma d’animation (il a débuté chez Disney), Burton n’a jamais cessé d'affectionner ce genre où l’on donne vie à un personnage à partir d’une marionnette inerte. “J’adore la stop motion,” explique-t-il. “C'est un moyen d’expression très peu utilisé, une forme d'art qui se perd un peu, même s’il y a aujourd’hui plus de films avec cette technique que par le passé. Je trouve qu’il y a une sorte de beauté dans cet art. Le simple fait de pouvoir toucher et sentir les marionnettes et les faire bouger, c’est magique à mes yeux. Dans Frankenweenie, il est question du pouvoir de créer quelque chose à partir de rien, et dans la stop motion, on fait la même chose… Le parallèle était évident.”

Le choix du Noir & Blanc

Alors que les films d'animation sont traditionnellement très colorés, Tim Burton a opté pour la voie opposée. Frankenweenie sera sans doute le film par lequel la jeune génération va découvrir le noir et blanc ! Pour le réalisateur, ce choix stylistique était la solution idéale pour mettre en images ce conte macabre. Par contre, l’équipe technique a dû apprendre à travailler avec le noir et blanc. Chaque pan de mur, chaque accessoire, chaque costume a dû être étudié par rapport à son rendu en noir et blanc. À la grande époque, les chefs décorateurs et les costumiers savaient exactement que tel ton de vert ou de rouge dans la réalité allait donner telle nuance de gris à l’écran. Un savoir-faire qu’il a fallu réapprendre en s’aidant des outils modernes. Les décors et costumes étaient ainsi photographiés en noir et blanc et la photo imprimée afin que l’équipe puisse juger du rendu final et faire les ajustements nécessaires.
L’une des particularités du noir et blanc, c’est qu’il renforce toutes les textures. Ainsi, la peau des marionnettes devenait beaucoup plus artificielle en l’absence de couleurs. Un « défaut » totalement assumé par Tim Burton : “Quand nous avons fait Les Noces Funèbres, les marionnettes étaient si réussies que beaucoup de gens pensaient que c'était l'animation par ordinateur. Ce qui n’était certes pas le but recherché ! J'ai donc décidé de revenir en arrière pour Frankenweenie, de jouer un peu plus sur le low tech, de sorte que l'on sente vraiment qu’il s'agit de marionnettes animées à la main. Je voulais un film en stop motion où la stop motion se voyait.”
Autre innovation, la stéréoscopie, une première sur un film en noir et blanc, réalisée en conversion en post-production et non en tournage, mais en y mettant le temps voulu insiste Tim Burton. “Beaucoup de gens critiquent le fait que la stéréo génère des images trop sombres et sans définition, j'ai saisi cette occasion pour travailler le look du film avec des images très nettes et des ombres bien noires. J'ai cherché à renouer avec la lumière un peu expressionniste de ces vieux films d'horreur, quand les décors étaient traversés par de grandes zones d'ombre. Les personnages passent de la lumière aux ténèbres, et avec l’effet de profondeur généré par la 3D, le résultat est fascinant !”

Les contraintes de la stop motion
Comme tous les procédés d’animation, la stop motion nécessite beaucoup de temps de tournage. Là où un film en prises de vues réelles est bouclé en trois ou quatre mois, un long-métrage animé image par image peut facilement nécessiter un an et demi de tournage. En moyenne, un animateur parvient à produire cinq secondes de film par semaine. Pour que les délais soient raisonnables, il faut multiplier le nombre d’animateurs et fabriquer les personnages et les décors en plusieurs exemplaires. De cette manière, comme sur un film d’animation traditionnelle, un personnage peut être animé par plusieurs animateurs en parallèle. Toute la difficulté consiste alors à obtenir une animation homogène pour chaque personnage, bien qu’elle soit créée par plusieurs personnalités différentes. Sur Frankenweenie, il y avait 18 marionnettes de Victor, le garçon, et 15 de Sparky le chien.

33 animateurs se sont partagés le travail, chacun s'occupant seul de la totalité des personnages dans les plans qu'il avait en charge.
Pendant le tournage, plus de 150 personnes étaient affectées à l'entretien, à la réparation, et à la préparation des marionnettes. La peau en silicone ou en mousse de latex nécessitait de fréquentes retouches, tout comme les cheveux, fabriqués à partir de vrais cheveux humains. C’est la firme anglaise Mackinnon & Saunders qui a fabriqué l'ensemble des marionnettes. La société est numéro 1 sur ce secteur très pointu, elle avait déjà fourni les personnages de Fantastic Mr. Fox et de Les Noces Funèbres.

Par rapport aux marionnettes des Noces Funèbres, les personnages de Frankenweenie étaient nettement simplifiés, une volonté de Tim Burton de se démarquer du look « images de synthèse ». Mais cette simplification s'est soldée par une réduction du nombre d’articulations dont les animateurs disposaient pour exprimer des émotions. Faute de pouvoir exploiter toutes les finesses des expressions faciales, l'équipe devait renforcer l'interprétation des personnages par des attitudes, le port de tête, le langage corporel.

Marionnettes XXL
Personnage clé du film, le chien Sparky a servi de mètre étalon pour fabriquer toutes les marionnettes. Tim Burton voulait qu'il bouge, saute, et coure comme un vrai chien. Or, il s’est avéré impossible de fabriquer une marionnette aussi versatile à une taille inférieure à 10 cm. Sparky comportait en effet plus de 300 articulations. Le problème, c’est qu’il fallait fabriquer tous les personnages à la même échelle. En temps normal, les marionnettes de stop motion mesurent 25 cm environ. Mais si on fabriquait les personnages adultes à cette taille, le garçon ne mesurerait plus que 15 cm et le chien… 5 cm ! Comme Sparky ne pouvait pas mesurer moins de 10 cm, la marionnette du garçon a été agrandie en proportion à 30 cm, ce qui a amené les personnages adultes à… 42 cm. Un record dans le genre !
La taille minimum de Sparky a donc eu un impact sur toute la production, obligeant les animateurs à travailler avec des marionnettes largement surdimensionnées. Mais les décors, eux aussi, ont dû être agrandis en conséquence. Finis les petits décors basés sur des personnages de 25 cm, il fallait cette fois construire d’énormes maquettes pour héberger des marionnettes 50% plus grandes que la normale. Or, l’étude des plans dressés par le chef décorateur Rich Heinrichs, collaborateur clé de Tim Burton, a montré que les studios de tournage ne seraient pas assez grands pour les héberger tous. Seule solution, n’en fabriquer qu’une partie et créer le reste des décors par ordinateur.
Du coup, Frankenweenie est devenu un énorme film à effets visuels : plus de 1200 plans ont été traités par ordinateur. Un nouveau record en la matière pour de la stop motion.
Sparky, à lui seul, a nécessité plusieurs centaines d’interventions, car sa morphologie très particulière lui interdisait de tenir debout sur ses pattes. La marionnette devait être soutenue par un support extérieur qui lui permettait de bondir à droite et à gauche. Il fallait ensuite retoucher chaque image pour l’effacer afin que Sparky semble se mouvoir sans aide extérieure.

Décors virtuels
Les effets visuels ont été créés par une équipe de 40 graphistes qui ont travaillé sur le projet pendant deux ans. Dans plus de 800 plans, les personnages ont été filmés devant des fonds verts qui occultaient les perspectives dans le décor. Il s’agissait essentiellement des décors extérieurs, comme ceux du quartier résidentiel où vit le jeune héros. Des enfilades de maisons américaines typiques, avec leur gazon bien taillé et leur boîte aux lettres au bord du trottoir. Les maquettes partielles des maisons principales ont été complétées par ordinateur, puis l’équipe a prolongé la rue en ajoutant de nouvelles maisons à partir d’une base de données de 18 modèles.

Dans les plans larges ou aériens, la portion de rue de base était dupliquée afin de fournir le matériau pour agrandir le quartier. Comme il fallait éviter un effet de clonage trop évident, des intersections étaient ajoutées dans le décor, ainsi que des courbes au niveau de la chaussée. Les rues étaient ensuite différenciées par l’ajout d’arbres variés, de boîtes aux lettres, de voitures garées, etc. Toutes les géométries ont été modélisées dans Maya et texturées soit à partir des maquettes réelles, soit à partir d’éléments fournis par la direction artistique. Le compositing a été assuré dans Nuke.

D'une manière générale, la technologie numérique a bouleversé la manière dont travaillent les animateurs stop motion. Jadis, l'animateur devait enregistrer image par image la totalité du mouvement, puis faire développer la pellicule, et c'est seulement à ce moment-là, souvent une ou deux semaines après avoir commencé le plan, qu'il pouvait vérifier si la scène était réussie ou non. En cas d'échec, il fallait tout recommencer. Aujourd'hui, les plans sont photographiés par des appareils numériques Canon 5D qui permettent de visionner en permanence la progression du plan. À chaque instant, l’animateur peut se repasser le plan depuis le début et voir s'il est sur la bonne voie. Au lieu d'avoir un contrôle final après coup, il bénéficie d'un contrôle en temps réel. Dans le cas où un changement s'avère nécessaire, il est toujours possible de corriger l'action par retouches numériques, par exemple en effectuant un morphing entre deux images différentes.

VFX : le numérique au secours de la stop motion
L’une des choses impossibles à animer en stop motion, ce sont les fluides : l’eau, le feu… Aussi, chaque fois qu’une scène faisait intervenir un fluide, l’animation numérique était utilisée. En la matière, la séquence finale était un vrai défi puisque les personnages évoluent dans un vieux moulin en feu. Après différents tests, les flammes ont été créées par simulation de fluides dans Maya. L’équipe a ensuite ajouté des chutes de débris, du bois qui éclate, et beaucoup de fumée. Pour cette dernière, aucune solution purement numérique ne s’est avérée satisfaisante. Les graphistes ont donc employé un mélange de fumée réelle et de simulation de fluides. Dans une autre scène, ils ont ajouté les flammes sur les torches tenues par les marionnettes. Un gros travail de tracking et de match-moving car les flammes devaient suivre image par image la position de chaque torche.
Le plan le plus complexe a sans doute été celui où le jeune héros éclaire avec sa lampe-torche l’intérieur d’un aquarium afin de révéler la présence d’un poisson invisible. La difficulté tenait en ce que l’eau devait être aussi stylisée que les personnages, il ne pouvait pas s’agir d’une simulation 100% réaliste comme pour un film en prises de vues réelles. L’équipe a choisi d’utiliser RealFlow pour générer la simulation liquide. Celle-ci a ensuite été largement retouchée manuellement afin d’acquérir un look plus conforme au style de la stop motion : des images ont été interverties, d’autres images fondues en une seule afin d’obtenir une saute d’image, etc.
Parfois, c’est le maillage polygonal lui-même qui était modifié à la main, l’idée était de débarrasser la simulation de sa perfection toute numérique. Cette approche a également été employée sur les effets de foudre et de décharge électrique, très nombreux dans le film. Les éclairs ont été générés dans Maya, mais animés à main, image par image, afin de coller au look du film.

Le résultat, c’est sans doute la visualisation la plus authentique de l’esprit Tim Burton. L’Étrange Noël de Monsieur Jack était déjà une parfaite illustration de son univers personnel, mais avec l’ajout du noir et blanc, et la dimension supplémentaire offerte par la stéréoscopie, Frankenweenie s’impose comme le film burtonien ultime. Le cinéaste a trouvé dans la stop motion le vecteur parfait pour porter à l’écran ses histoires les plus personnelles. “Avec la stop motion, je peux vraiment avoir ce que je veux à l'image, jusque dans les plus petits détails. Ce n'est pas le cas sur un film en prises de vues réelles où il y a toujours des impondérables et des impératifs techniques ou logistiques qui vous empêchent d'avoir exactement ce que vous voulez. Il faut constamment faire des compromis. Avec l'animation image par image, vous y parvenez. Il y a une sorte de pureté là-dedans…”

ALAIN BIELIK, octobre 2012
(Commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 21 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.