Ghost in the shell

Le manga culte devient un film majeur porté par des effets visuels futuristes signés MPC. Framestore intervient aussi dans une scène culte reprise de l'anime: Major méditant sous l'eau.

Ghost in the Shell est l’une des œuvres les plus mythiques de l’histoire de la science-fiction. Au départ, il s’agit d’un manga japonais publié en 1989. Sa popularité est surtout due au succès planétaire de l’adaptation animée qui en a été tirée en 1995. Cette œuvre fondatrice du genre « cyberpunk » a ensuite inspiré des œuvres comme Matrix, Le cinquième élément, ou encore Ex Machina. Adapter cette œuvre très touffue en un film en prises de vues réelles présentait une multitude de défis, et il faudra dix ans de projets avortés et de faux départs pour que Ghost in the Shell version USA voie enfin le jour. Le casting, éclectique, inclu aussi bien la star hollywoodienne Scarlett Johansson en Major, l'héroïne du film, que l'artiste japonais Takeshi "Beat" Tikano.

Étonnamment, malgré son cadre futuriste, le film n’a requis « que » 1250 plans à effets visuels, un chiffre très modeste quand on le compare à celui d’un Logan (1700 plans) ou de Les Animaux fantastiques (1500 plans). Cet aspect du projet a été supervisé par le français Guillaume Rocheron. Ancien de Buf Compagnie, celui-ci a supervisé pour le studio MPC les effets de films comme Godzilla, Batman vs Superman ou encore L’Odyssée de Pi qui lui a rapporté un Oscar. Sur Ghost in the Shell, MPC a traité environ 850 plans, le reste a été réparti entre Atomic Fiction et Iloura Studio.

Le film comporte deux grandes catégories d’effets. La première est la création des environnements futuristes, la seconde concerne les cyborgs. Pour ces derniers, l’idée était de créer des robots au look partiellement humain, ou bien des personnages qui révélaient leurs entrailles cybernétiques – ce qui était le cas de l’héroïne, Major (Scarlett Johansson). “Les interprètes ont été filmés avec des trackers sur le corps, puis nous avons remplacé certaines parties du corps par des éléments robotiques créés par ordinateur,” précise Rocheron. “Ces éléments reproduisent toute la structure interne des robots avec leur squelette et les muscles synthétiques. Le personnage le plus intéressant à ce niveau là est Kuze, une sorte de version antérieure de Major. Son corps n’est pas terminé, ce qui nous a donné l’occasion de créer un hybride d’acteur et d’animation 3D. Nous avons beaucoup soigné les points de jonction entre ce qui était réel et ce qui était virtuel. Autrement dit, la ligne de séparation réel/virtuel est toujours placée là où on ne l’attend pas.”

Le costume thermoptique de Major
L’héroïne Major, en plus de disposer d’une force et d’une agilité surhumaine, possède une combinaison à effet caméléon qui lui permet de se rendre invisible car elle reflète son environnement. Dans une scène appelée à devenir culte, elle affronte un homme dans un bassin, tout en étant invisible, si bien que seules les gerbes d’eau trahissent sa présence. “Nous avons tourné dans un grand bassin entouré d’un fond vert de tous les côtés. Chaque plan a été tourné en deux passes : d’abord, l’acteur jouait l’action avec une doublure cascade de Scarlett Johansson, celle-ci était revêtue d’une tenue de motion capture ; puis, il rejouait la scène, mais cette fois seul, en reproduisant les gestes qu’il avait accompli avec la cascadeuse. Ensuite, la première passe était utilisée pour animer le corps transparent de Major à partir des mouvements de la cascadeuse. Suivant les cas, l’animation était intégrée dans la deuxième passe, ou bien on effaçait la cascadeuse et on la remplaçait par le corps transparent – ça dépendait du contact physique entre les deux.”

La grande force de la scène tient au traitement visuel des gerbes d’eau. Avec des ralentis extrêmes (jusqu’à 600 images par seconde), les jaillissements liquides dessinent de véritables arabesques. “Nous sommes partis de l’animation 3D de Major pour déclencher des animations secondaires au niveau des interactions avec l’eau. Chaque pas était souligné par une simulation de fluides très travaillée. À la base, il y avait les vraies gerbes d’eau provoquées par la cascadeuse, mais les simulations de fluides nous ont permis de créer des gerbes d’eau beaucoup plus contrôlées afin d’obtenir des images les plus graphiques possibles. Le réalisateur voulait un véritable ballet…”

La publicité du futur : les « sologrammes »

Ghost in the Shell propose une vision originale du futur. Ce monde nest pas basé sur l’évolution probable de la technologie actuelle ; il est purement fictif. On y trouve des technologies totalement futuristes, comme tout ce qui concerne les robots ou les rues verticales, mais en même temps, il y a encore des voitures et des armes semblables aux nôtres. C’est aussi un monde saturé d’informations, avec des annonces omniprésentes et d’énormes publicités intrusives. Mais au lieu d’avoir de simples affiches ou des écrans vidéo, les messages publicitaires sont faits ds projections en trois dimensions parfois aussi grandes que des immeubles.

Ces projections ont été l’un des plus grands défis techniques du film. “Nous les appelions les « sologrammes », soit la contraction de « hologramme » et de « solide ». L’idée est que, dans le futur du film, cette technologie a éliminé l’aspect « projection » qui donne aux hologrammes leur côté artificiel. La grande difficulté de ces clips a été de les intégrer en volume dans des plans en mouvement. Pour y parvenir, il a fallu inventer un système de prise de vues totalement inédit. Je suis parti du système que l’on utilise traditionnellement pour reproduire en 3D la tête d’un acteur : on le place face à une centaine d’appareils photo synchronisés qui le cadrent sous tous les angles, on prend les photos, puis celles-ci nous permettent de reconstituer en 3D le volume de la tête par photogrammétrie. J’ai eu l’idée de remplacer les appareils photo par des caméras vidéo, le but étant d’avoir l’image de l’acteur sous tous les angles, mais en train de jouer la scène et non pas en tant que sujet statique. Autrement dit, je voulais de la photogrammétrie en 24 images par seconde, ce qui n’avait jamais été fait à ma connaissance pour un film.”

Chaque personnage de publicité a été filmé par 80 caméras vidéo synchronisées. Puis, MPC a converti ces 80 clips vidéo indépendants en un seul scan 3D de l’acteur à 24 images par seconde. Une fois le scan obtenu, le personnage en mouvement peut être montré sous tous les angles, à n’importe quelle distance, même avec une caméra mobile. Comme il est en volume, l’équipe peut le ré-éclairer, le manipuler, le transformer en voxels, etc. Au final, MPC a créé plus de 30.000 scans 3D de ce type…

Hongkong réinventé
Ces sologrammes ont ensuite été intégrés dans les environnements très complexes de la ville. “À la base, la mégapole qu’on voit dans le film, c’est Hongkong réinventé. Nous avons tourné de nombreux plans dans les rues de cette ville. L’environnement a été complètement changé, mais ce que nous avons essayé de conserver, c’est l’atmosphère d’une ville pleine de vie, avec sa texture très particulière, la saleté sur les trottoirs, les volutes de vapeur qui jaillissent d’un restaurant, etc. Ces petits détails imprévisibles donnent son caractère à une ville, et ils sont très difficiles à créer en 3D lorsqu’on doit partir de zéro. Chaque bâtiment d’avant-plan a été modélisé en 3D, puis intégré dans le paysage urbain. Là-dessus, nous avons ajouté les bâtiments d’arrière-plan, intégré des milliers de véhicules en mouvement – sur des rues horizontales et verticales, inséré des centaines de publicités très complexes, etc. En termes de rendu, pour calculer tout ça, c’était monstrueux ! D’autant plus que nous avions de très longs survols de la ville. Nous voulions que les gens aient vraiment le temps d’explorer cet univers, qu’ils puissent en voir bien plus qu’avec de simples plans d’exposition. Par exemple, le plan d’ouverture dure une minute trente, tout en full 3D ! Il a demandé des mois de travail. Pour vous donner une idée de la complexité des images, MPC a établi que si ce plan avait été calculé sur un seul ordinateur, le rendu aurait duré 32 ans !”

Alain BIELIK, mars 2017
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 25 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.


Le studio Framestore a aussi ce début avril publié un article sur son travail d'effets visuels sur la scène où Major médite sous l'eau la nuit dans le port de New City:

Cette reprise "live" d'une scène classique du film d'animation Ghost in the shell de 1995 a nécessité 10 semaines de travail à toute une équipe du studio: scan du jeu facial de l'actrice Scarlett Johansson pour mapper le visage de son double numérique sous l'eau; réfractions de la lune et des lumières de la ville sous l'eau; rigging et animation du corps des méduses; simulations de mouvements des appendices des méduses, des algues et de débris flottants. Une scène qu'on voit à peine tant elle est peu éclairée, mais pleine de défis pour Framestore!

Paul Schmitt, avril 2017