Harry Potter et le Prince de Sang Mêlé

Nouveau film, nouveaux effets visuels, mais même équipe pour raconter une histoire davantage centrée sur les personnages. Retour sur le travail de magicien des VFX des studios londoniens et d’ILM.

Un jour, les historiens du cinéma se pencheront peut-être sur l’exploit remarquable qu’a représenté la réalisation de la saga Harry Potter au cinéma, saga toujours aussi populaire puisque ce sixième film, Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé , a rapporté près d’un demi milliard d’euros en deux semaines seulement !
Bien que chaque film soit d’une extrême complexité technique et logistique, les producteurs ont réussi à sortir en moyenne un épisode tous les 18 mois. Quand on sait qu’il faut en général deux ans pour monter de A à Z une grosse production, ou trois ans pour faire un Star Wars, on prend conscience de l’ampleur de la performance. Les observateurs sont encore plus admiratifs lorsqu’ils réalisent que tous les rôles principaux sont tenus par des enfants, c’est-à-dire des acteurs mineurs qui doivent être obligatoirement scolarisés, même en tournage. Trois heures par jour, les interprètes sont donc absents du plateau pour suivre des cours particuliers dans l’enceinte du studio. Résultat, le réalisateur voit quotidiennement son plan de travail amputé du tiers de son temps par rapport à un processus de production normal. On comprend mieux pourquoi les tournages des Harry Potter sont tellement longs : huit mois pour ce sixième opus ! Une sorte de record du genre…
Malgré ce handicap, les producteurs parviennent à sortir un film tous les 18 mois en moyenne. Pour y arriver, ils ont mis en place un flux de production quasiment continu : il y a toujours trois films simultanément en production. Tandis que le film 1 sera en postproduction, le film 2 sera en tournage, et le film 3 en préparation ou en écriture. Malgré les apparences, chaque épisode bénéficie donc de délais de production confortables, ce qui se traduit à l’écran par des films toujours parfaitement léchés et jamais bâclés. Cet enchaînement de tournages permet aussi à la production de réaliser de belles économies en conservant certains décors d’un film à l’autre. Le grand hall de Poudlard et le bureau de Dumbledore sont en place depuis maintenant neuf ans !
Pour certains techniciens, la saga Harry Potter est devenue un véritable emploi à plein temps. Ainsi, le chef décorateur Stuart Craig travaille en continu sur ces films depuis l’été 2000. Même chose pour le superviseur des maquillages spéciaux et effets de créature Nick Dudman, et le coordinateur des effets de direct John Richardson : ils n’ont quasiment rien fait d’autre depuis le premier film…
C’est encore plus vrai sur le plan des effets visuels. Depuis le second film, cet aspect essentiel de la saga est supervisé par le Britannique Tim Burke, souvent en association avec un autre superviseur. Burke travaille uniquement sur les films de la saga depuis 2002. On l’oublie souvent, mais ces derniers ont largement contribué à l’extraordinaire essor de l’industrie britannique des effets spéciaux. Lorsque la Warner Bros. a décidé en 2000 de baser la production à Londres, plus précisément aux studios de Leavesden, c’était surtout pour bénéficier de déductions fiscales substantielles – à condition de faire appel en majorité à des prestataires locaux.
Ce glissement des États-Unis vers la Grande-Bretagne s’est fait très progressivement. Sur le premier film, les effets les plus importants ont tous été réalisés en Californie par des sociétés comme Sony Pictures Imageworks, Rhythm & Hues et Industrial Light and Magic. Mais au fil des épisodes, les prestataires britanniques sont montés en puissance, décrochant de plus en plus de scènes, et acquérant ainsi un savoir-faire sans équivalent en Europe. Un savoir-faire qui leur a depuis apporté les plus grosses productions américaines. Avant Harry Potter, MPC, Double Negative et Framestore n’étaient que des prestataires anecdotiques pour Hollywood. Aujourd’hui, ils rivalisent avec ILM et Imageworks, et réalisent les 4/5 des plans sur les films de la saga.

1500 plans VFX en moyenne pour chaque Harry Potter
C’est que chaque film apporte son lot d’effets inédits qui constituent une formidable vitrine pour les sociétés. Il y a bien sûr les diverses créatures, mais aussi un énorme travail sur les environnements. Il faut savoir que depuis 2004, ces films sont entièrement tournés en studio, à l’exception d’une ou deux scènes ponctuelles. Lors du tournage de Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban, l’équipe avait subi d’énormes retards dû à la météo lors de prises de vue en Écosse. Cela avait coûté tellement cher que le studio s’était juré « Plus jamais ça ». Depuis, tout est construit en studio, que ce soit les décors intérieurs ou extérieurs. Une approche qui a fait littéralement exploser le poste « effets visuels ». Normal, puisque la moindre image de personnages devant un décor de montagne est un composite. Toutes les scènes présentant un paysage dégagé sont réalisées en combinant des prises de vues des acteurs filmés sur fond vert avec des images réelles, souvent retouchées en matte-painting, tournées par une seconde équipe. Ce parti pris se traduit par des projets VFX à l’ampleur considérable qui dépassent les 1500 plans à effets visuels.
Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé n’a pas dérogé à la règle puisque de la première à la dernière scène, les effets visuels se succèdent quasiment sans interruption. Même un simple plan de personnage lisant le journal nécessite un effet : les photos et illustrations sont animées, magie oblige ! Les décors, eux aussi, passent à la moulinette des effets visuels. Les plateaux de tournage à Leavesden ont une faible hauteur sous plafond, ce qui oblige l’équipe à augmenter en 3D la hauteur des plus grands décors, dont celui du grand hall avec toutes ses bougies. Et n’oublions pas tous ces portraits et peintures animés : des effets d’arrière-plan, souvent anecdotiques, mais qui nécessitent un gros travail de tracking. Une mission dont Cinesite s’est fait une spécialité depuis le premier film.

Double Negative revisite Londres en 3D
Leurs collègues londoniens de Double Negative, eux, avaient une séquence bien plus juteuse à se mettre sous la dent : celle qui ouvre ce Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé et où l’on voit les Mangemorts s’attaquer à Londres. La caméra débute sur le logo Warner Bros dans les nuages, puis avance sur celui de Harry Potter, descend au travers des couches nuageuses sur Londres, file au travers des rues et termine dans le quartier secret des magiciens. Un plan sans interruption et réalisé entièrement en 3D. Pour créer les nuages, Double Negative utilise son logiciel maison de rendu volumétrique déjà largement optimisé sur des films comme World Trade Center et Cœur d’Encre. Ce logiciel est en fait la combinaison du moteur de simulation de fluides de Maya et de DN Squirt, un ensemble d’outils développés en interne. DN Squirt permet à l’équipe de créer la Marque des Ténèbres, un sombre visage vaporeux qui se forme dans les nuages. Double Negative venait juste de réaliser un effet similaire pour la scène finale de Cœur d’Encre. La difficulté consiste à animer le visage 3D qui constitue la base de la créature, sans que la simulation de fluides qui le recouvre ne perde son aspect naturel et organique. Un processus qui nécessite de lents allers et retours entre l’animation et le rendu, très lent pour ce type de simulation.
Lorsque les Mangemorts et leur traînée de fumée noire atteignent Londres, Double Negative enchaîne sur un panorama réalisé en 3D à partir de vues par satellite. Les piétons et le trafic automobile sont reconstitués par simulation de foule, tandis que la végétation est modélisée et intégrée dans le décor de façon procédurale à l’aide d’un outil développé spécialement dans Houdini. Pour montrer la caméra parcourant les rues, l’équipe modélise un par un chaque bâtiment du parcours réel. Les géométries sont texturées à l’aide de centaines de photographies prises en HDRI. Le studio s’est bâti une solide réputation en matière de paysage urbain virtuel : son travail « indétectable » sur des films comme Batman Begins, The Dark Knight, Cloverfield, Anges et Démons ou World Trade Center en a fait le prestataire numéro 1 pour ce type d’effets.

L’expérience acquise sur Cloverfield est aussi mise à contribution pour la destruction du pont Millénium. En tourbillonnant autour de cette passerelle pour piétons, les Mangemorts entraînent un mouvement de torsion qui finit par faire se désintégrer le pont. Dans Cloverfield, l’équipe avait déjà reconstitué le pont de Brooklyn dans tous ses détails – avant de le détruire. La même approche est utilisée pour le pont Millenium. La grande différence, c’est que cet édifice est situé à quelques centaines de mètres des locaux de Double Negative, ce qui rend très facile le référencement photographique en HDRI.
Pour le modéliser, l’équipe bénéficie des plans réels en CAD fournis par l’architecte lui-même. Le travail prendra malgré tout plusieurs mois à une équipe de vingt modeleurs. Une fois modélisé, le pont est animé en key frame, comme un personnage, pour se tordre de façon spectaculaire : Double Negative avait d’abord essayé une simulation dynamique, mais celle-ci manquait nettement de « peps »… Or dans un film, surtout un Harry Potter, le spectacle doit l’emporter sur le réalisme… Le pont est donc animé à la main, puis les ruptures et débris sont animés en simulation dynamique (logiciel maison). L’équipe ajoute ensuite le panorama sur Londres, la Tamise générée en 3D (encore un logiciel maison), le ciel plombé par les nuages ensorcelés, ainsi que des figurants filmés sur fond vert ou animés en 3D.
L’approche purement 3D de la séquence permet au studio de générer à peu de frais un relief stéréoscopique pour les copies en IMAX 3-D. La scène d’ouverture et la séquence finale ont en effet été conçues pour être projetées en relief dans les salles équipées. Une fois la séquence bouclée, Double Negative effectue un second rendu pour chaque image en décalant la caméra virtuelle de quelques centimètres. Cela reproduit l’écartement des yeux humains et génère au final la sensation de relief.

Le quidditch revu par MPC : nouveau stade et capture faciale pour les doublures 3D
Pour MPC, pas de stéréoscopie, mais une séquence qui fait monter le taux d’adrénaline des spectateurs. Le film renoue en effet avec les parties de quidditch des premiers épisodes. Le quidditch, c’est cette espèce de rugby aérien pratiqué sur des balais magiques dans une enceinte spéciale. Pour marquer le retour de la saga à ce type de scène, l’équipe décide de tout reprendre à zéro afin d’obtenir le résultat le plus réaliste possible. Pour commencer, des dizaines d’heures de retransmission d’épreuves sportives à grande vitesse sont analysées. L’équipe étudie le mouvement des caméras à longues focales et les hésitations des cameramen, lesquels sont parfois débordés par la vitesse de l’action. Ces caractéristiques sont intégrées dans le tournage de la scène afin de retrouver les sensations d’un événement sportif réel.
MPC choisit aussi de modifier l’environnement de l’épreuve : les tours du stade sont surélevées, et le site entouré de hautes montagnes qui bouchent l’horizon. L’idée est de toujours avoir un élément réel qui défile à l’arrière-plan. L’équipe a remarqué que lorsque les personnages évoluent sur un fond nuageux, le spectateur n’a pas une vraie sensation de vitesse, faute de repères familiers. Par contre, en cadrant les joueurs devant un fond de montagnes ou les tours du stade, la vitesse des personnages devient évidente. Autre innovation, seuls les gros plans font intervenir les acteurs réels, munis d’une cape animée en 3D dans Maya. Dans la quasi-totalité de la séquence, les joueurs sont des doublures virtuelles animées en 3D. Pour obtenir des doublures réalistes, les interprètes sont filmés en capture faciale, le visage équipé de 68 petits trackers. Quatre caméras vidéo synchronisées enregistrent leurs expressions sous des angles différents. Comme les acteurs sont éclairés de la manière la plus neutre possible, l’équipe obtient des images qui peuvent directement servir de textures. Les quatre images sont ensuite combinées en une seule image en mouvement. Cette image est alors aplatie dans un espace UV, ce qui permet d’obtenir des textures UV exploitables dans un shader. Les vêtements sont créés en simulation de tissu, tandis que la cape est animée séparément, non pas avec le mouvement du personnage dans l’environnement 3D, mais en utilisant un vent généré dans Maya – le résultat était bien plus esthétique. Au final, ces joueurs de quidditch sont, de loin, les plus réalistes depuis le début de la saga.

ILM tout feu, tout flamme
Seul prestataire américain à contribuer au film, ILM se voit offrir la séquence des Inferis, ces créatures qui gardent au fond d’un lac un objet essentiel à la survie de Voldemort. Les personnages sont modélisés en douze versions différentes dans Maya, avec une bonne dose de ZBrush pour les visages, ce qui se traduit à l’écran par plusieurs centaines d’Inferis, apparemment tous différents.
La scène nécessitait par ailleurs la combinaison très complexe de deux simulations de fluide : l’une pour les flammes générées par Dumbledore, et l’autre pour la surface de l’eau avec laquelle elles devaient interagir. L’eau n’était pas réellement un problème, ILM ayant déjà créé des simulations de référence pour Pirates des Caraïbes et Poseidon. Son moteur de simulation a été développé en collaboration avec des chercheurs de Stanford University, le fin du fin en la matière. Pour le feu, par contre, ILM doit innover. Une équipe de cinq développeurs travaille pendant huit mois à mettre au point une approche originale. Réaliser une simulation de flammes à telle échelle aurait nécessité des temps de rendu impossibles. Au lieu de cela, l’équipe génère d’abord une animation de particules, puis une seconde simulation la saisit et lui attribue la texture de flammes. Plusieurs simulations à deux niveaux sont ainsi réalisées, puis combinées à l’écran afin d’obtenir l’effet de masse recherché. L’originalité, c’est que l’équipe travaille alors en 2D : l’effet de flammes est intégré en deux dimensions sur la première couche de particules, c’est-à-dire uniquement la partie qui se voit à l’écran. Résultat, l’effet est obtenu très rapidement et, de plus, s’avère très rentable sur le plan du rendu. Dans le cas d’une simulation de fluide, une grande partie de l’effort est « gaspillée » par les parties en profondeur qui n’apparaissent pas à l’image.
Cette technique innovante va d’ailleurs faire l’objet d’une conférence spéciale au salon référence de la 3D, le SIGGRAPH. Ainsi, même si la communauté british des VFX a réussi à tirer la couverture à elle au fil des Harry Potter, ILM s’attribue tout de même le leadership en matière d’innovation technologique. Jusqu’au prochain épisode ?

Alain Bielik – Juillet 2009
(commentaires des visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik   est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 18 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.