Horton le film

Quand le très grand (un éléphant) rencontre l’infiniment petit (les êtres microscopiques), cela donne un nouveau petit bijou des studios Blue Sky, auteurs de L’Âge de Glace. Le scénario est ingénieux, mais la technique l’est encore plus !

Dr. Seuss. Ce nom vous dit quelque chose ? Pas vraiment, n’est-ce pas ? Pourtant, il est l’auteur pour enfants le plus célèbre des États-Unis, l’équivalent américain d’un Andersen ou d’un Grimm. Cet auteur illustrateur (1904-1991) a pondu une quarantaine d’ouvrages remarquables, tous écrits en vers et basés sur un vocabulaire volontairement limité pour être accessible aux plus petits. Parmi ses livres, trois ont déjà été adaptés en long métrage, Le Grinch, Le Chat Chapeauté, et aujourd’hui, Horton.
Alors que les deux premiers étaient des films en prises de vues réelles, les auteurs d'Horton ont choisi de le réaliser en animation 3D. Typique du Dr. Seuss, l’histoire met en scène des personnages fantastiques, mais très attachants. L’éléphant Horton mène ainsi une vie paisible jusqu’au jour où il découvre l’existence d’une ville entière, Zouville, sur un grain de poussière à la dérive. Invisible à l’œil nu, cette cité est celle des Zous (les Who en anglais), des êtres humanoïdes qui n’obéissent pas aux mêmes lois de la physique que nous. Horton va alors s’évertuer à mettre le précieux grain de poussière et ses passagers microscopiques à l’abri. Pas simple, dans la jungle…

 

Pour Blue Sky Studios, le célèbre studio d'animation 3D fondé par Chris Wedge, le livre était un support idéal pour étendre son image à autre chose que la série desÂge de Glace. Le studio a bien réalisé Robots en 2005, mais ce film est loin d’avoir connu le même impact que la saga préhistorique. De plus, Horton se prêtait à différents développements techniques et artistiques intéressants, notamment au niveau de la fourrure et de l’animation.
Pour en savoir plus, Pixelcreation a rencontré Robert Cavaleri, Superviseur 3D, et Stephen Unterfranz, Superviseur Technique des Personnages.

Pixelcreation : Combien de temps a duré la réalisation du film ?
Robert Cavaleri : L’histoire et les personnages ont été développés pendant assez longtemps, mais la réalisation proprement dite a duré 18 mois environ, dont la moitié pour l’animation. C’est la durée standard de production de nos films. Notre équipe comprenait un peu plus de 300 personnes, dont une moyenne de 45 animateurs – mais nous sommes montés jusqu’à 60 animateurs en période de pointe [ndlr – chiffres à comparer à ceux de Mac Guff Ligne sur Chasseurs de Dragons…].
Pixelcreation : Sur quel type de logiciel travaillez-vous chez Blue Sky ?
Robert Cavaleri : La modélisation, le rigging et l’animation, y compris les scènes de foule, sont effectués dans Maya. Puis, Maya est utilisé comme interface graphique de notre logiciel interne de création de matières. Ensuite, le rendu est assuré par notre moteur de rendu maison, CGI Studio, et le compositing final est réalisé dans Shake.
Pixelcreation : Quels ont été les principaux défis du film comparé à votre film précédent, L’Âge de Glace 2 ?
Robert Cavaleri : Sur L'Age de Glace 2, la grande difficulté avait été la simulation de l’eau, car l’élément liquide occupait une place centrale dans l’histoire. Pour Horton, la gamme de difficultés était beaucoup plus vaste. Par exemple, nous devions créer une jungle très dense et détaillée, et aussi peupler Zouville de dizaines de milliers de personnages. Cela implique de travailler sur des axes très différents.


Pixelcreation : De quelle façon les personnages ont-ils été conçus ? Leur look est très stylisé, très cartoon, comparé à un Âge de Glace
Robert Cavaleri : Nous devions respecter l’esprit des illustrations originales du Dr. Seuss et le look général qu’il avait établi pour les personnages. Bien sûr, nous avons effectué beaucoup de modifications. Par exemple, les Zous du Dr. Seuss ressemblaient un peu à des insectes. Nous voulions qu’ils soient beaucoup plus humanoïdes. Quant à Horton, nous avons largement agrandi sa bouche par rapport à la version initiale. Lorsqu’on a vu Jim Carrey à l’œuvre sur les vidéos de l’enregistrement de la voix du personnage, on s’est dit qu’il fallait augmenter la taille de cette bouche afin de pouvoir retranscrire au mieux toutes ces incroyables mimiques. [ndlr – Jim Carrey avait déjà interprété le rôle titre dans Le Grinch, premier film adapté d’une œuvre du Dr. Seuss].
Pixelcreation : L’une des caractéristiques du film est l’utilisation très prononcée de la technique du "Squash and Stretch" où le corps des personnages se compresse et s’étire de façon très exagérée.
Robert Cavaleri : C’était le choix des réalisateurs. Cette technique est normalement utilisée, de façon discrète, pour ajouter de l’élasticité aux personnages. Cette fois, le monde fantaisiste dans lequel les personnages évoluaient nous permettait d’aller beaucoup plus loin dans les déformations. Ainsi, les Zous ont un corps bien plus élastique que le nôtre.
Stephen Unterfranz : Certains Blend Shapes étaient vraiment extrêmes. D’ailleurs, lorsque nous avons découvert à quel point les personnages devaient se déformer, ça nous a un peu inquiétés au début. D’autant plus que mon équipe était très réduite : à peine une dizaine de personnes pour mettre au point l’aspect technique des personnages. Le rig de ces derniers comportait un set-up qui autorisait des déformations des membres et du corps entier. Pixelcreation : S’agissait-il d’un rig de type "Sqash and Stretch" ?
Stephen Unterfranz : Oui, ce rig était assez élaboré. Nous pouvions le « brancher » sur n’importe quelle partie du corps, ce qui s’est avéré essentiel pour l’animation de la trompe d’Horton, par exemple. Dans le film, on la voit s’étirer démesurément ou bien se comprimer. Il y avait aussi la scène du pont suspendu dans laquelle Horton gonfle sa trompe comme un ballon afin d’alléger son corps. Pour ce cas de figure, nous avons spécialement créé un Shape à partir d’une pose définie par l’équipe d’animation et approuvée par les réalisateurs. Enfin, pour des plans très particuliers, nous avons conçu un système qui permettait aux animateurs de brancher un moteur de cinématique inverse où ils le voulaient sur la trompe. Par exemple, si Horton devait aplatir sa trompe sur le sol, mais avoir la pointe en l’air, les animateurs pouvaient travailler en cinématique inverse sur le corps de la trompe, tout en conservant la cinématique directe (Forward Kinematics) sur la pointe.
Robert Cavaleri : Horton présente un défi unique dans la mesure où il doit être capable de se mouvoir sur deux pattes et sur quatre pattes. Or, nous ne voulions pas avoir deux rigs différents pour un seul personnage. Cela aurait été beaucoup trop compliqué à gérer : chaque modification sur l’un des deux rigs aurait dû être reproduite sur le second…
Stephen Unterfranz : Notre solution a consisté à développer un seul rig pour les deux types de locomotion, ce qui n’a pas été simple. Le plus difficile a été les scènes dans lesquelles Horton passe de la station verticale à la station horizontale et retour ! Il nous a fallu intégrer beaucoup de contrôles supplémentaires dans le rig pour y parvenir.
Pixelcreation : Parlez-nous du travail sur les textures
Robert Cavaleri : Blue Sky Studios utilise un système unique en son genre dans le monde de l’animation 3D. Nous ne peignons quasiment jamais nos textures et nos matières. Notre solution est d’utiliser une technique entièrement procédurale qui a été mise au point pour notre film Robots. Cette approche procédurale nous avait permis d’obtenir des surfaces métalliques variées et des interactions complexes entre elles. À la base, il s’agit d’utiliser et de déplacer des bruits de façon créative. En les superposant, on obtient des matières à la richesse exceptionnelle. Celles-ci sont ensuite référencées dans une banque de données dans laquelle les artistes peuvent piocher pour créer les combinaisons de matières qui leur conviennent. Le degré de détail est automatiquement ajusté en fonction de la distance du personnage par  rapport à la caméra. C’est un système remarquablement puissant.
Pixelcreation : Quelle technique avez-vous utilisée pour le rendu ?
Robert Cavaleri : Notre moteur de rendu est basé sur le ray-tracing. Nous n’utilisons pas de polygones, ni de technique de rendu par scanline. C’est plutôt un système d’illumination par scène globale, sans être de la vraie illumination globale. Nous avons aussi employé le sub-surface scattering, en particulier pour les plans où les oreilles de Horton sont éclairées par transparence. Et quand le personnage se déplace dans la forêt, la radiosité nous a permis de réfléchir la couleur verte de l’environnement sur la peau du personnage. Mais je crois que notre plus grand développement sur ce film a été l’intégration de l’outil de création de fourrure dans notre pipeline. Il était essentiel de mettre au point un outil aussi efficace que possible car quasiment tous les personnages sont recouverts de fourrure ou plume, et la végétation dans la jungle est elle aussi basée sur le même principe.

 

Stephen Unterfranz : Pour le plumage du vautour Vlad, la partie centrale de chaque plume fait partie du rig, mais la plume elle-même pousse par-dessus. Les animateurs avaient la possibilité de faire bouger le plumage dans son ensemble, ou bien d’animer manuellement certaines plumes. L’animation des plumes bénéficie aussi d’une fonction de « follow through » qui nous permet de prolonger un mouvement généré de façon manuelle. C’est une fonction que nous avons beaucoup utilisée sur ce film, d’ailleurs.
Pixelcreation : Vous aviez déjà acquis une bonne expérience dans le domaine de la fourrure avec les personnages de L’Âge de Glace
Robert Cavaleri : Oui, mais notre technique a complètement changé depuis. Sur le premier Âge de Glace, la fourrure avait été créée en projetant la texture sur des millions de cartes attachées sur le corps des personnages. Pour le second, nous sommes passés à une méthode dans laquelle la fourrure était rendue sous forme de voxels. Une technique prolongée et appliquée, à bien plus grande échelle, sur Horton. La jungle entière a ainsi été générée avec notre outil de fourrure : le feuillage, mais aussi les plantes individuelles et les troncs d’arbre.
Pixelcreation : Avec une telle complexité au niveau des textures, quels étaient vos temps de rendu ?
Robert Cavaleri : Nous étions à 20 heures par image en moyenne… Certains plans ont demandé beaucoup plus, d’autres se sont contentés de 8 ou 9 heures. Bien entendu, nous avons utilisé toutes les astuces possibles et imaginables pour réduire les temps de calcul au maximum. Lorsqu’un plan arrivait au rendu, on s’y mettait dessus à plusieurs pour essayer de déterminer ce qui pouvait être retiré de l’image, ce qu’on pouvait simplifier, etc. Parfois, on arrivait à diviser par deux le temps de rendu initial !
Pixelcreation : Si le rendu prend 20 heures par image en moyenne, et que le film comporte environ 120.000/130.000 images, on arrive à un total astronomique. Comment parvenez-vous à tenir les délais avec des temps de calcul pareils ?
Robert Cavaleri : C’est bien simple, nous avons une render farm de près de 2000 processeurs. À cela, il faut ajouter les 350 stations de travail des graphistes qui assurent également le calcul des images pendant la nuit. Ça nous permet d’avoir un très gros débit d’images. Sur Horton, il y avait des semaines où l’on sortait 4500 images et d’autres où c’était jusqu’à 10.000 images. Il faut préciser que les machines ne sont pas uniquement affectées au calcul du rendu final. Elles sont aussi utilisées par les directeurs techniques pour réaliser les fourrures, les textures, les effets visuels, les éclairages, etc.
Pixelcreation : D’accord, mais lorsque vous aviez Horton tout seul devant deux bouts de rocher et le ciel, ça ne prenait tout de même pas 10 ou 12 heures pour le rendu ?!
Robert Cavaleri : Non, ça demandait encore plus que ça ! [Rires] Il faut bien comprendre que Horton est un personnage exceptionnellement détaillé, même si ça ne se remarque pas au premier regard. Il a l’air très simple, parce que sa peau est apparemment lisse, mais la surface de son corps est en réalité très élaborée. Plus on s’approche, plus on découvre des nuances, des rides, des plis, des taches, etc. Le problème avec Horton, c’est qu’il s’agissait d’un personnage en un seul bloc avec une surface uniforme. Et la transparence de ses oreilles faisait tout de suite exploser les temps de calcul, surtout dans les gros plans. Au départ, lorsque nous avons vu ce qui nous attendait avec les scènes de jungle, nous nous sommes dit qu’il suffirait de placer un personnage comme Horton devant la partie de décor la plus dense, et donc la plus vorace en temps de calcul, pour accélérer le rendu. En cachant le décor, on simplifiait l’image, n’est-ce pas ? En fait, nous nous trompions complètement : très souvent, en plaçant Horton au premier plan, on rendait la scène plus « lourde » qu’avec le décor sans personnage ! C’est vous dire à quel point ce personnage était visuellement complexe.
Pixelcréation : Allez-vous être en mesure d’implémenter ces derniers développements technologiques sur votre prochain film ?
Robert Cavaleri : Absolument. D’ailleurs, je suis déjà au travail depuis plusieurs mois sur L’Âge de Glace 3. J’ai commencé Horton tout de suite après avoir fini L’Âge de Glace 2 et maintenant, je retourne sur la saga L’Âge de Glace !
ALAIN BIELIK avril 2008

Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue d’effets spéciaux S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 1991. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.

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