Kubo et l'armure magique

Ambitieux et innovateur, Studio Laika porte l’animation en volume à la hauteur d’une épopée. Avec une vidéo de making-of des monstres de l'histoire par Laika.

L’animation en volume (stop-motion) est une méthode d’animation dont le charme pourrait sembler désuet : des marionnettes avec un squelette en fil de fer, des visages en plasticine et des costumes en feutre sont photographiées pose par pose dans des décors bricolés sur de grandes tables en guise de plateaux. L’animation faciale se fait en changeant les visages des marionnettes photo après photo. Voilà un procédé fastidieux où on engrange seulement quelques secondes de prises de vue par jour, et qu’on croirait réservé à des comédies de genre comme Les Noces funèbres de Tim Burton ou Chicken Run d’Aardman.

Travis Knight, fondateur du Studio Laika basé à Portland (Oregon), voit les choses autrement. Depuis ses débuts avec Coraline en 2009, il accumule les innovations techniques au service de la stop-motion : les visages sont modélisés et fabriqués à la demande en impression 3D suivant les méthodes de rapid prototyping en cours dans l’industrie, les appareils photographiques sont positionnés sur des rails et pilotés à distance pour un meilleur « camera control », effets visuels et extensions de décors numériques, etc. Ces innovations plus la qualité d’animation de ses artistes font que les films de Laika sont régulièrement encensés par la critique et nominés aux Oscars. Et surtout, sans égaler les blockbusters style Disney, ils remportent assez de succès auprès du public ($100 millions de recettes en salles en moyenne, pour un budget de production de $60 millions) pour permettre à Laika de poursuivre sa progression.

Pour leur quatrième film après ParaNorman (2012) et Les Boxtrolls (2014), Travis Knight a visé haut avec Kubo et l’armure magique, voyage d’initiation d’un jeune garçon sur fond de mythologie japonaise : « Nous avons attendu d’avoir les moyens techniques et le savoir-faire pour nous attaquer à une fresque de cet acabit. Si les films en stop-motion ont toujours l’air de se passer sur une table, c'est parce que c’est vraiment le cas. Mais une fresque demande de l’ampleur, et un véritable souffle. Personne n’avait osé briser cette horizontalité, et c’est précisément ce qui m’a décidé à le faire ». Artistiquement, Kubo et l’armure magique est une véritable déclaration d’amour à la culture japonaise et à son esthétisme : art, artisanat, musique, et spécialement calligraphie et ses estampes gravées sur bois comme celles d’Hokusai. Travis Knight avoue être amoureux du Japon et de sa culture depuis un voyage sur place à l’âge de 9 ans avec son père Phil Knight, fondateur de Nike. Et comme Kubo et l’armure magique est son premier long métrage comme réalisateur plus d’être producteur, Travis Knight a pu donner libre cours à sa passion.

Le film stop-motion de tous les records
Quelques chiffres pour résumer l’ampleur du travail au Studio Laika. 35 animateurs ont travaillé sur 70 plateaux pendant presque 2 ans pour en retenir les 1359 plans du film (1h41mn). Le héros Kubo prend vie à travers 30 marionnettes différentes, dotées de 11 007 expressions de bouches, 4 429 expressions de sourcils et 23 187 impressions de visages. Soit plus de 48 millions combinaisons possibles ! Madame Singe, protecteur de Kubo, en a presque autant à son service : 8 171 expressions de bouches, 3 789 expressions de sourcils, 15 581 impressions de visages soit plus de 30 millions de combinaisons possibles. Et entre l’impression 3D et le tournage, il y a 4 heures et 10 étapes avant que le visage d’un personnage ne puisse être propre à l’usage, parmi lesquelles entre autres : le sablage, le vernissage, la magnétisation, la peinture à la main, le gloss pour les lèvres et pour les dents. Ces chiffres pharamineux sont au service de l’animation : faire bailler Madame Singe demande 117 parties différentes de visage… Mais le résultat est à la hauteur : l’animation de Kubo et l’armure magique est d’une finesse plus proche du numérique que de la traditionnelle stop-motion !

Au passage, Laika engrange de nouveaux records en stop-motion : la fabrication du mini-samouraï Hanzo, la plus petite figurine que la stop-motion ait jamais connue, faite en origami, ainsi que la plus grande, le Squelette Géant, de près de 5m. Un squelette qui fait référence à un grand classique de la stop-motion : la statue géante de Talos et les squelettes animés par Ray Harryhausen dans Jason et les Argonautes (1963).

Les décors
Les décors ne sont pas en reste : le Temple des Morts, où Kubo retrouve l’épée de son père et combat le Squelette Géant, est un plateau de 110 m2, couvert de 100 m2 de carrelage de résine peint à la main, pour imiter le jade, fabriqué avec 750 litres de résine pour des carrés de12 x 12 carreaux, soutenu par 192 pieds en aluminium à sa base. La mer déchainée de la scène d’introduction est faite de pans de verre ondulé, de bouts de papiers transparents, et des bouts d’étoffes attachées à des tringles de métal animées, les unes après les autres, une animation retouchée et fluidifiée en postproduction numérique.

La séquence la plus longue, celle du navire de Kubo sur le lac, a nécessité près de 19 mois de tournage à elle toute seule, avec deux navires de près de 4m en contreplaqué, plus une épave. Un navire est monté sur hexapode, pour avoir 6 axes de mouvement, recouvert de 250 000 feuilles Canson, découpées au laser, et équipé de six versions de voile : mouillée, sèche, gonflée par le vent, roulée, déchirée, puis finalement, en lambeaux. À part celle qui était roulée, elles ont toutes été animées pour un effet de flottage au vent. Cette séquence fait aussi intervenir au fond du lac d’étranges plantes sous-marines : des yeux géants se balançant dans l’eau au bout de leurs tiges. Le ballet de ce Jardin des Yeux a été réalisé avec une figurine unique, dupliquée ensuite numériquement. Haut de 3 mètres, avec un globe oculaire de la taille d’un ballon de plage, l’iris lui-même faisait 70 cm de diamètre, et était télécommandé avec une option de pré-programmation des mouvements, sur trois axes différents. La télécommande, sous forme de balle de bowling, fait appel à 42 circuits et moteurs indépendants. L’effet moiré des yeux a été obtenu grâce à des leds projetant leur lumière à travers des ampoules rotatives à luminosité diffuse, à l’extérieur et à l’intérieur de l’iris.

Mixer stop-motion et CGI
Une des marques de fabrique de Laika, et une des grandes réussites de Kubo et l’armure magique est le mélange d’animation CGI et stop-motion. Effets visuels et matte paintings numériques prolongent les plateaux, immergent les héros dans de grands espaces ouverts sans qu’on voie la transition avec plateau et figurines au premier plan.

Salué au festival d’Annecy, Kubo et l’armure magique est en passe de remporter son pari tant auprès des critiques que du public, malgré une période de sortie peu favorable (fin août aux US, septembre en France). De quoi permettre à Laika et à Travis Knight de continuer sur leur lancée et nous offrir d’autres merveilles d’animation en stop-motion !

Paul Schmitt, septembre 2016

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