La Planète des Singes: les Origines

Deux ans après Avatar, Weta Digital crée de nouveau la sensation avec des effets visuels d’un réalisme bluffant. Les singes animés en 3D sont plus vrais que nature et constituent un nouveau record à égaler. Cerise sur le gâteau, le film lui-même s’avère excellent !

Une fois n’est pas coutume, c’est la France qui a donné naissance à l’une des plus célèbres sagas du cinéma américain. La Planète des Singes est né de l’imagination du Français Pierre Boulle (1912-1994), également auteur du non moins célèbre Le Pont de la Rivière Kwai. Publié en 1963, le roman est porté à l’écran par Franklin Shaffner en 1968. D’emblée, le film marque l’histoire de la science-fiction, notamment par le choc de la révélation finale. Le succès est tel que quatre suites seront mises en chantier.
La saga s’arrête en 1973, mais redémarre un an plus tard à la télévision sous la forme d’une série en prises de vues réelles, puis en animation. Suivront ensuite plusieurs téléfilms, avant que Tim Burton n’en fasse un remake en 2001. Dix ans plus tard, c’est un nouveau départ avec un film qui se propose de raconter les origines de la saga, à savoir l’avènement des singes devenus intelligents grâce au génie génétique.

Le pari du tout numérique pour les singes
Dans tous les films précédents, les primates avaient été créés de manière traditionnelle, avec des acteurs portant des maquillages prosthétiques. Problème, ce look est déjà vu et revu : pas moins de six films l’ont popularisé, et le studio aimerait bien repartir sur des bases neuves. Les producteurs optent donc pour une solution autrement plus ambitieuse : réaliser les primates en animation 3D. La Fox ayant eu des rapports très positifs avec Weta Digital sur Le Jour où la Terre s’arrêta, elle confie au studio néo-zélandais la tâche de réaliser un test d’animation de quelques secondes sur César, le chimpanzé surdoué au cœur de l’histoire. Si le test est 100% convaincant, Weta créera tous les effets d’animation. Le studio fondé par Peter Jackson remporte le pari haut la main. Et Andy Serkis reprend du service en interprétant magistralement le personnage principal, le chimpanzé César, en motion capture bien sûr.

Il faut dire que Weta sort de l’expérience Avatar et que la masse de connaissances acquises au cours des trois années de production de ce film vont s’avérer être un atout essentiel pour La Planète des Singes : Les Origines. Plusieurs membres de l’équipe oscarisée vont d’ailleurs se pencher sur le défi posé par le film de Rupert Wyatt : créer et animer des singes photoréalistes dans plus de 800 plans et ce, en l’espace de huit mois seulement. Un challenge tellement insensé que certains le pensent infaisable…
D’autant que le travail d’animation n’était pas la seule mission de Weta. L’équipe dirigée par Joe Letteri et Dan Lemmon devait également créer l’ensemble des effets visuels du film, soit 400 plans supplémentaires non liés aux singes. “La séquence finale se déroule sur le pont Golden Gate de San Francisco, mais nous ne pouvions pas tourner sur place,” explique Lemmon. “Le décor de la chaussée a donc été reconstitué à ciel ouvert sur environ 100 mètres, puis nous avons ajouté l’environnement : les piliers, les câbles, la chaussée prolongée de chaque côté, etc. Au fur et à mesure que l’action progressait le long du pont, on ajoutait la partie correspondante de l’environnement.”

De King Kong à César
L’équipe en charge des singes commence par modéliser à haute résolution six primates destinés à interpréter les rôles principaux, puis un groupe de six ou sept chimpanzés « anonymes » destinés à rester au second plan, ainsi que quatre orangs-outans et quatre gorilles. Chacun de ces singes bénéficie d’une géométrie et d’un rig d’animation spécifiques. En outre, trois textures et shaders sont créés pour chaque modèle, ce qui permet au final de composer une « foule » de 70 singes environ.
Les modelers et riggers bénéficient du savoir-faire acquis sur King Kong. “Nous avions investi beaucoup d’efforts sur ce film, en particulier sur le plan de l’animation comportementale, du système musculaire, et de la simulation de poils,” explique Lemmon. “Tout cela a payé pour La Planète des Singes. On était conscients de ce qui avait marché, ce qu’il fallait revoir, etc. On savait dès le départ où l’on allait, alors que pour King Kong, on partait de zéro. La première chose que nous avons faite a été de repenser notre simulateur de poils, Barbershop. Nous l’avons complètement optimisé pour qu’il soit beaucoup plus efficace et simple d’usage. Sur King Kong, trois personnes ont passé un an et demi à « coiffer » la fourrure de Kong. Sur La Planète des Singes, nous avons fait le même travail avec six personnes en huit mois seulement… et sur trente singes ! Ça vous donne une idée des progrès qui ont été accomplis, à la fois sur le plan humain (nos graphistes sont de plus en plus efficaces) et technologique (les outils sont bien plus simples à utiliser).”
Weta Digital utilisera Maya pour le modeling, le rigging, le skining, la simulation des muscles et l’animation, avec un peu de Mudbox pour la modélisation fine. Le plug-in nCloth a servi pour les simulations de tissu (les vêtements portés par César) et une partie des simulations de poils. Le rendu a été réalisé dans RenderMan et le compositing dans Nuke. “Depuis Avatar, nous avons intégré dans Nuke un outil spécifique qui nous permet de travailler en profondeur : nous savons à chaque instant à quel endroit un pixel se situe dans l’espace en trois dimensions de la scène. Cela nous permet de régler le compositing littéralement en 3D, ce qui se traduit par une précision bien plus grande. Les fonctions 3D de Nuke ont également été mises à profit pour les environnements. C’était important car nous avions un travail considérable à réaliser sur les décors. Il fallait constamment reconstruire l’arrière-plan après avoir effacé Andy Serkis de l’image, ce qui se faisait par copier/coller ou bien par projection en 2D ½.”

Performance Capture nouvelle génération

Après avoir interprété Gollum dans Le Seigneur des Anneaux et Kong dans King Kong, Andy Serkis incarne le chimpanzé César grâce à la technologie de la performance capture. “Nous avons développé un système qui a bien fonctionné sur Avatar, et nous voulions passer au stade supérieur,” commente Lemmon. “Jusqu’à présent, lorsqu’on travaillait en performance capture, nous filmions les acteurs « réels » dans le décor réel, puis les interprètes des personnages 3D séparément dans un studio dédié. C’était assez contraignant car la même scène devait être tournée en deux parties, parfois à plusieurs mois d’intervalle, ce qui empêchait toute spontanéité. Cette fois, notre objectif a été de filmer les deux en même temps, acteurs réels et personnages numériques. Cela impliquait de réussir à enregistrer le jeu d’Andy (et des autres interprètes de singe) dans n’importe quel décor, en intérieur comme en extérieur, de jour comme de nuit, au milieu des arbres, des voitures, des personnages humains, etc. ! C’était un très gros défi, car nous ne voulions perdre aucune nuance du jeu des interprètes.”
Dans chaque plan de singe, l’action a été filmée deux fois : une première prise avec Andy Serkis, et une seconde sans lui. Ensuite, Weta a décidé plan par plan quelle était la meilleure prise. La version avec Serkis était forcément plus intense, plus spontanée, avec de vrais regards entre les personnages, mais elle impliquait de l’effacer de l’image pour intégrer César à sa place, ce qui est très laborieux. À l’inverse, la prise sans Serkis était idéale pour l’intégration de César, mais il n’y avait pas le même échange avec les acteurs… Une décision à prendre au cas par cas en fonction de l’importance de la scène et de la difficulté de l’effacement. Au final, environ 80% des plans de La Planète des Singes: les Origines sont issus de la prise avec Andy Serkis à l’image, en particulier tous ceux qui présentent un contact physique entre le singe et les humains.
Pendant les prises de vues, Serkis portait le costume de performance capture qu’il avait déjà revêtue pour Gollum et Kong. Cette fois, les marqueurs de tracking étaient constitués par des LED au lieu d’être de simples sphères réfléchissantes. Cette évolution technique permettait au costume d’être « repéré » en extérieurs, quelles que fussent les conditions de lumière. Il faudra des dizaines de caméras de tracking pour suivre l’action sur le décor du pont, sans doute le plus grand espace de motion capture jamais créé. Weta utilise pour l’occasion plusieurs logiciels spécialisés, dont Motion Analysis et Giant Software. Comme dans Avatar, le dispositif est complété par une petite caméra portée par l’acteur et braquée en permanence sur son visage. Objectif : compléter la « mocap » en filmant les petits mouvements du visage, particulièrement les mouvements des yeux, pour que les animateurs puissent affiner après coup l’animation faciale du personnage.

Les défis de l’animation des singes
L’idée est de transposer l’interprétation originale sur les modèles 3D avec le moins de « déperdition » possible, mais cela s’avère bien plus compliqué que prévu. Sur le plan de la morphologie, les proportions du corps ne correspondent pas : les primates ont les bras bien plus longs que les nôtres, tandis que leurs jambes sont bien plus courtes. Les animateurs doivent donc adapter les mouvements des interprètes et retoucher les moindres gestes pour que les singes ne ressemblent pas à des acteurs en costume.
Le défi est encore plus grand pour les émotions. Il s’avère que, en dépit des apparences, le visage d’un chimpanzé est très différent du nôtre. “La structure osseuse n’est pas la même, ce qui fait qu’on ne pouvait pas transposer directement les mouvements faciaux d’Andy Serkis,” précise Lemmon. “Lorsqu’on le faisait, on observait un « glissement » de l’expression faciale, c’est-à-dire que l’émotion produite par le visage du singe ne correspondait plus à celle produite par Andy. On voyait une autre nuance d’émotion, ce qui était très gênant. Il fallait donc reprendre l’animation pour corriger ce glissement. Nous avons modifié les proportions du visage, la taille du nez et la structure des sourcils de César par rapport à un vrai chimpanzé afin de se rapprocher de la forme du visage d’Andy. Par contre, si on poussait trop « l’humanisation » de César, il finissait par ressembler à un acteur dans un costume de singe au lieu d’un chimpanzé ! C’était fascinant à observer…”
Les animateurs doivent également décider jusqu’à quel point il faut « humaniser » l’expression des émotions de César. Car il s’avère que les singes n’expriment pas leurs émotions de la même manière que nous. Lorsqu’un être humain exprime la joie, il montre les dents ; chez un chimpanzé, c’est un signe d’agressivité ou de peur. Tout le contraire… “Nous avons pris le parti de donner à César un comportement intermédiaire entre celui d’un chimpanzé et d’un humain. Le public, qui ne connaît pas forcément la vie sociale des grands singes, s’attend à ce que César sourie lorsqu’il est heureux, alors c’est ce qu’on a fait. Ces « libertés » avec la réalité se justifient par le fait que César grandit au milieu des humains, sans ses congénères. Il est donc plausible qu’il adopte le mode comportemental des seules références qu’il a sous les yeux.”

Un travail d’animation qui représente ce que Weta a fait de plus poussé et de plus subtil sur le plan comportemental. “Comme le personnage ne s’exprime pas par des dialogues, tout devait passer par le regard et les mimiques. C’était un défi insensé : d’un côté, on devait faire en sorte que le public croit à l’existence de César en tant que singe réel et vivant, de l’autre, on devait lui faire exprimer des émotions humaines. Qui plus est, c’était le personnage principal de La Planète des Singes: les Origines! On n’avait vraiment pas droit à l’erreur…”

Et on n’en a pas fini cette année avec le couple Weta Digital/Andy Serkis. Après La Planète des Singes: les Origines, Andy Serkis interprète, toujours en "mocap", le rôle du capitaine Haddock dans le prochain film de Spielberg, Les Aventures de Tintin : le secret de la Licorne, qui sort ce 26 octobre 2011.


Alain Bielik, août 2011
(commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 20 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.