Frozen

Disney renoue avec la comédie musicale animée, dans une ambiance hivernale au réalisme inégalé.

Quoi de plus irrésistible qu’une bonne vieille histoire de princesse ! Depuis Blanche-Neige et les Sept Nains, les studios d’animation Disney ont bâti leur réputation sur les adaptations de contes de fées, souvent sous forme de comédie musicale animée, jusqu’à ce que le genre tombe en désuétude dans les années 90 et que les héroïnes de Disney se transforment en femmes d’action. La Reine des Neiges, avec de nombreuses scènes chantées, marque un retour à cette tradition et marque une volonté d’enchantement musical autant que visuel qui démarque nettement le film par rapport à ceux de Pixar.

Les princesses inoubliables sont légion chez Disney: Blanche-Neige, Cendrillon, La Belle au Bois Dormant, La Belle et la Bête, Raiponce… sans oublier les héroïnes issues de cultures plus « exotiques » comme dans La Petite Sirène, Pocahontas, ou Mulan. Dans La Reine des Neiges, le personnage central est la princesse Elsa qui dispose du pouvoir de générer la glace, mais faute de parvenir à le contrôler, elle précipite un hiver éternel sur son royaume et prend la fuite. Sa sœur Anna va tenter de la retrouver…

La nature de l’histoire a permis à l’équipe de visualiser un univers comme jamais le cinéma d’animation nous en avait montré : un monde totalement enneigé, des palais de glace, des lacs gelés, des tempêtes de neige, etc. Un univers fascinant pour lequel les créateurs se sont fortement inspirés des paysages et de la culture norvégienne. Ainsi, les personnages portent des costumes et des coiffures typiquement norvégiens. Les cheveux ont d’ailleurs représenté un vrai défi technique : la princesse a sur la tête pas moins de 420.000 cheveux, soit quatre fois plus qu’un personnage classique de Disney. À titre de comparaison, Raiponce n’avait « que » 27.000 cheveux. En plus des personnages humains, il fallait aussi créer les poils des loups et ceux des chevaux. Une somme de défis qui a incité le département technique de Disney à développer un nouveau logiciel de simulation de poils baptisé Tonic.

Mouillée, poudreuse, glacée : la neige…
Mais le vrai challenge du film, celui qui a mobilisé le département R&D pendant des mois, c’était bien sûr la neige. Il s’agit d’un phénomène naturel qui reste très difficile à simuler en 3D car sa texture peut être très variée : elle peut aller de l’effet mouillé à de la poudreuse. Depuis quelques années, la communauté infographique sait parfaitement gérer l'accumulation et le rendu de la neige statique.

En revanche, l’animation de la dynamique de la neige reste un domaine à explorer, faute de projets qui ont nécessité le développement des outils adéquats (contrairement à l’eau, par exemple). Le fait est que les techniques existantes pour les solides et les liquides ne donnent pas de résultats convaincants pour la neige. La grande difficulté, c’est de simuler les propriétés à la fois solides et fluides de cet élément pas comme les autres. La neige n’est pas vraiment un liquide, ni un solide, elle se brise facilement tout en pouvant être comprimée en boule… Il a fallu aussi chercher à la représenter au mieux lorsqu’elle se trouve en contact avec les vêtements ou qu’elle s’enfonce sous les chaussures.

Pour relever ce défi, l’équipe de Disney a mis au point un nouveau système basé sur la méthode Euler/Lagrange. Ils l’ont baptisé Matterhorn, du nom original du célèbre Mont Cervin en Suisse. Sa nature hybride permet d’automatiser les fractures et les collisions entre objets. Pour créer des empreintes ou des blocs de neige, l’équipe a utilisé un autre outil appelé « Snow Batcher » et fait appel à des scientifiques experts de la neige, dont Ken Libbrecht de Cal Tech, qui étudie les flocons dans un environnement protégé. Ce dernier leur a expliqué le processus de ramification et de plaquage expliquant pourquoi il n’y a pas deux flocons identiques. Son expertise a aidé l’équipe à créer 2000 flocons différents !

… et une neige toujours réaliste et esthétique
Les développeurs avaient un challenge supplémentaire à relever : il fallait non seulement simuler une neige parfaitement réaliste dans tous les types de météo, mais aussi et surtout être capable de modifier son look final pour obtenir la plus belle image possible. Autrement dit, la simulation devait produire un résultat parfaitement contrôlable de manière à s’adapter aux besoins de la direction artistique. C’était notamment le cas dans les plans où la princesse Elsa fait étalage de son pouvoir et génère de la glace par le biais d’un tourbillon spectaculaire.

L’effet a d’abord été visualisé de façon très traditionnelle, c’est-à-dire avec des poses clés dessinées sur papier. Ensuite, les techniciens effets visuels (plus d’une quarantaine sur ce film) se sont efforcés de reproduire ce look en 3D. Les courbes que dessine la glace étaient soigneusement « sculptées » de manière à présenter des formes de rosemaling, véritable motif populaire de la Norvège. Ce motif apparaît tout au long du film, sur les vêtements comme dans l’architecture, ainsi que dans les créations de glace d’Elsa. Il fait figure de fil conducteur graphique qui assure la continuité visuelle de l’œuvre.

L’idée maîtresse de l’effet était que le jaillissement de neige était directement lié à l’état émotionnel de la princesse. Il ne s’agissait pas de montrer Elsa en train de pointer du doigt et de faire jaillir la neige, l’effet devait correspondre à ses émotions. De fait, les réalisateurs se sont rendus compte que le projet allait nécessiter une interaction inédite entre le département d’animation et celui des effets visuels. En temps normal, les effets visuels sont souvent indépendants de l’animation, mais dans La Reine des Neiges, les deux domaines étaient totalement imbriqués : l’animation de la glace complétait celle de l’héroïne, les pas s’enfonçaient dans la neige, entraînant une démarche hachée, etc. Les deux équipes ont appris à travailler en pleine collaboration, tout ce que faisaient les uns ayant un impact sur le travail des autres. Il a aussi fallu inventer un langage commun, en particulier un « code » pour définir l’état de la neige dans chaque plan.

Un palais de glace féérique
Parallèlement, les ressources du studio ont également été mobilisées pour la scène du palais de glace, un bâtiment fantastique construit par la princesse grâce à son pouvoir. Afin de visualiser le résultat à obtenir, l’équipe s’est rendue à l’Hôtel de Glace de Québec, un hôtel saisonnier entièrement taillé dans la glace pour quatre mois seulement chaque année. La structure est constituée de 15.000 tonnes de neige et de 500.000 tonnes de glace. L’équipe a été littéralement fascinée par les effets de transparence des parois, avec notamment la lumière solaire qui se réfracte à travers la glace.

Pour l’équipe, la grande difficulté était de restituer la nature spécifique de la glace, car en infographie, il est facile de la confondre avec du verre ou du plastique. Les jeux de lumière étaient si complexes qu’il fallait jusqu’à 30 heures pour calculer une seule image !

Le réalisateur Chris Buck conclut : “Notre équipe a mis la barre très haut pour tout ce qui concerne la neige et la glace. Nous avons fait des recherches très poussées et a mis au point une technologie révolutionnaire pour obtenir le style visuel souhaité. Au final, nous avons obtenu quelque chose d’absolument magique qui ne ressemble en rien à ce qui a pu être vu au cinéma jusqu’à présent.”

ALAIN BIELIK, Décembre 2013
(Commentaires des visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 21 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.