Le Jour des Corneilles

Un premier film qui place d’emblée son réalisateur parmi les grands de l’animation française.

La force de  l’animation française est de se positionner à l’opposé des blockbusters américains, de réaliser avec des techniques traditionnelles et des moyens réduits des histoires où transparaissent rêve et poésie. Le Jour des Corneilles, premier film réalisé par Jean-Christophe Dessaint, s’inscrit avec brio dans cette lignée. Synopsis : un enfant de dix ans, le fils Courge, vit isolé dans la forêt avec son colosse de père et avec les esprits des disparus (dont sa mère) qu’il est seul à voir. Quand son père se blesse, le fils Courge se risque jusqu’au village où il fera la connaissance du Docteur et de sa fille  Manon qui lui fera redécouvrir le sens du mot amour.

Jean-Christophe Dessaint, issu des Gobelins en 1997 et ayant fait ses armes sur Lucky Luke : Tous à l’Ouest comme directeur d’animation et sur le Chat du Rabbin comme assistant réalisateur, utilise dans Le Jour des Corneilles un peu les mêmes ingrédients que chez Les Triplettes de Sylvain Chomet : une ambiance poétique et doucement nostalgique de la France des années 30-50, des héros enfants  issus de notre quotidien et une  animation « à la main » soignée. Et il y rajoute  des décors superbes de forêt et de campagne  où la lumière joue avec les couleurs comme dans un tableau impressionniste.

Doté d’un budget de 6,5M €, Le Jour des Corneilles compte 1020 plans  essentiellement dessinés et animés à la main. Le numérique intervient pour les effets (feu, fluides et leurs interactions avec les personnages), réalisés avec les outils Flash (animation du feu, de l’eau, des corneilles) ou After Effects (pluie) et pour le compositing, utilisé extensivement avec After Effects pour donner leur richesse aux décors.  Sept studios dispersés en France, Belgique (Walking the dog), Canada (Max Films) Luxembourg (studio 352) et Asie se sont partagés le travail pendant les 2 ans et demi de fabrication du film, sous la houlette du studio Finalement à Montreuil (93). Nous y avons rencontré Jean-Christophe Dessaint qui a rouvert ses cartons à dessins et son ordinateur pour nous détailler leur travail :

De l’importance de la lumière…
« L’histoire du Jour des Corneilles se passe dans la nature, nous voulions que les décors donnent l’impression de nature, et nous avons choisi pour cela un traitement pictural à la manière des impressionnistes. Pour la même raison, nous n’avons pas dessiné les décors à partir de photos ou de peintures, mais à partir de souvenirs.
Nous avons beaucoup travaillé sur la lumière pour donner une atmosphère chaleureuse, même dans les moments durs, et pour que le spectacle soit beau et impressionnant. Cela passe par des modifications de la luminosité générale, des éclairages pour souligner l’animation. Les DA ont dû sur ce film « casser » leurs habitudes en harmonisant la lumière, en composant les couleurs, plutôt qu’en les harmonisant entre elles. On désature les couleurs pour augmenter la luminosité, et on sature au contraire pour les ombres»

… et du compositing
« Nous avons dû penser le compositing très en amont. Jimmy Audouin, directeur du compositing, y a passé un an. Lui-même une équipe de 2-3 compositeurs ont fait la moitié du compositing à Finalement, en particulier les séquences avec effets (tempêtes, feux, neiges, corneilles). Pour pouvoir animer à la main des scènes compliquées (tempête, vent) avec des décors fouillés (forêt), il faut de nombreux calques où positionner les éléments qui vont être animés séparément avant d’être fondus en une seule image. Le compositing, ce n’est pas seulement empiler des couches mais surtout analyser des éléments pour les transposer et les répartir. »
 

La tempête dans la forêt
« C’est le premier plan du storyboard, le dernier réalisé en fait car il fallait trouver le moyen d’animer la forêt dans la tempête. Les éléments sont très nombreux : le ciel, les éclairs, les arbres, les ombres dans les arbres, les ombres au sol, les débris qui volent, la pluie.
Les arbres ont été dessinés branche par branche avec leur feuillage (voir dessins dans la galerie ci-contre). Au total, plus de mille feuilles papier ont été scannées dans Photoshop puis animées dans After Effects par l’équipe de Jimmy Audouin et moi-même. Jimmy a développé des scripts pour simuler des mouvements désynchronisés, chaque branche sur son calque a sa ligne de calcul. Après, au rendu, on sélectionne la partie de mouvement adéquate, cad avec le bon timing et poids des trajectoires.
La pluie est aussi animée dans After Effects, sauf quand elle entre en contact avec le sol où nous l’animons à la main, mais aussi dans Flash.
Dans cette scène, le Père Courge est attaché sur une tour en bois qui bouge dans la tempête. Il a fallu animer le personnage en anticipant les mouvements de la tour, animer la tour et la compositer avec le personnage, et finalement animer dans Flash les cordes qui interagissent avec le Père Courge et la tour. »

Décors et rendu impressionniste
« Notre DA Patrice Suau est peintre et a créé ses brosses dans Photoshop pour retrouver sa méthode de travail en plein air. Le premier niveau est aquarellé, avec des cercles de peinture qui posent ombres et lumières dans l’image et donnent la tonalité de la scène. Ce niveau est posé sur un aplat de base, en couleur, qui sert aussi à poser les personnages : cet aplat colorie le trait noir du personnage, ce qui intègre mieux le personnage dans la scène en évitant un contraste trop brutal avec le décor.
Après, on fait un traitement avec  un script pour obtenir  le rendu souhaité, et on retravaille à la brosse pour estomper, etc.  On retravaille aussi la couleur dans Photoshop et les détails sont rajoutés à la fin auprès des personnages. Un bon exemple est la neige : on n’a pas voulu d’aplats blanc simples dans Le Jour des Corneilles, on a traité la neige  d’abord au crayon avec plusieurs nuances de gris avant de la passer dans Photoshop. »

La rivière et son interaction avec les personnages

« Le fonds donne le lit de, la rivière, sur lequel on pose deux calques pour la lumière et l’ombre. En les déplaçant, on obtient déjà un effet caustique sur le fonds sans avoir l’eau. Au compositing, on assemble cela avec des animations « organiques » faites dans Flash qui donnent  du détail comme les filets d’eau autour des rochers, etc. Et aussi  plusieurs niveaux pour les effets de flou, de trouble dans l’eau, plus des animations de particules se déplaçant dans l’eau.
Pour les cascades, c’est un peu différent, on utilise des textures animées en sus des couleurs et de 2-3  niveaux de transparence.
L’interaction de la rivière avec des personnages graphiques, cad dessinés en aplats, pose plusieurs problèmes. Il faut anticiper au niveau du décor et des reflets avec un colorscript pour sélectionner les bons tons. On découpe la scène pour savoir où on va mettre de la vie, cad où on va peindre les splashs et les remous du personnage dans l’eau. Dans le décor en grand format (cinémascope), on dessine les éléments qui apparaissent en cours de scène (ex : traces de pas) puis on intègre les personnages. On scanne, et quand le décor est mis en couleur, on dessine à la main sur palette graphique les détails, localisés et animés (ex : des bulles dans l’eau). »

Le mot de la fin
«  Le Jour des Corneilles a posé des problèmes plus artistiques que dans les précédents films où j’ai travaillé, et du coup j’ai pu y amener plus de choses personnelles et j’ai trouvé des solutions nouvelles pour que la magie opère. Et j’aimerais à l’avenir développer ces nouvelles techniques pour les personnages aussi »

Paul Schmitt, octobre 2012

Autres galeries à voir sur le même sujet:

Films sur lesquels a travaillé Jean-Christophe Dessaint:

> Le Chat du Rabbin

> Lucky Luke: Tous à l'Ouest