La légende des Gardiens

Zack Snyder réalise un film d’animation pour enfants ? Oui, mais une épopée, avec une qualité d'image rarement atteinte en animation grâce au studio australien Animal Logic.

Loin du côté rigolo des productions actuelles, ce film d’animation propose une véritable aventure épique, façon Le Seigneur des Anneaux. Avec un visuel d’une ampleur et d’une complexité inégalées dans le genre : les héros sont des chouettes, et les séquences de vol sous la pluie valent leur pesant en simulations de plumes et gouttes liquides. Sans oublier la séquence de bataille finale dans une forêt en flammes (voir la videoprogression ci-contre). Le tout comme il se doit, en relief stéréoscopique.

Dans le monde du cinéma d’animation 3D, il y a les géants reconnus, Pixar et DreamWorks. Il y a aussi les concurrents qui se battent pour se tailler une place dans ce créneau très convoité, comme Sony Imageworks, Blue Sky, ou bien le nouveau venu Industrial Light and Magic dont le premier long métrage, Rango, sortira l’an prochain. Et il y a enfin les discrets Australiens de Animal Logic. Fondé en 1991 et surtout spécialisé dans les effets visuels (sur la saga Harry Potter, notamment), Animal Logic fait en 2006 une entrée fracassante dans le film d’animation avec le remarquable Happy Feet, une histoire de pingouins chanteurs et danseurs. Coup d’essai, coup de maître, puisque le studio remporte l’Oscar du meilleur film d’animation.
Dès ce premier film, le studio se fait remarquer par un ton nettement plus adulte que la moyenne du genre, à l’exception des productions Pixar, et par des images au réalisme sans équivalent. Quatre ans après ce coup de tonnerre artistique, Zareh Nalbadian , cofondateur d’Animal Logic et producteur d’Happy Feet, revient en force avec un long-métrage tout aussi original sur le fond que splendide sur la forme : une histoire de chouettes qui vivent dans un monde de paix et d’harmonie où le Mal s’impose soudain avec force. Un jeune héros un peu timide va alors s’engager dans une longue quête pour sauver les siens et leur monde… On pense à Frodon et Gandalf, mais le film est en réalité adapté d’une série de livres pour enfants écrits par Kathryn Lasky.
Après avoir travaillé avec George Miller pour Happy Feet (dont la suite sortira en 2011), le studio a, cette fois encore, collaboré avec un réalisateur « poids lourd » en la personne de Zack Snyder. Animal Logic est le seul studio d’animation à faire appel à des cinéastes issus du cinéma en prises de vues réelles. Une manière de marquer leur différence et d’exploiter la vision bien particulière de ces réalisateurs. Habitués aux tournages en direct, ils apportent au cinéma d’animation une énergie et une dynamique différentes de celles que pourrait amener un spécialiste de l’animation. Le résultat est évident : les films de Animal Logic se démarquent nettement de la concurrence.

Animal Logic fait alliance avec Zack Snyder
Zack Snyder est le réalisateur de 300 et de Watchmen. Il est considéré comme l’un des cinéastes des plus « visuels » d’Hollywood. Sa collaboration à un film comme Le Royaume de Ga’Hoole peut surprendre. Le genre et le format semblent très éloignés de son univers habituel. Un film d’animation ? Pour les enfants ? Ce n’est pas vraiment là qu’on attendait l’auteur du sanglant L’Armée des Morts. Mais bon, après tout, cet hiver, on a bien vu le très cérébral Spike Jonze signer, lui aussi, un film pour enfants avec Max et les Maximonstres. Zack Snyder, en quête de changement, a été fasciné par l’univers visuel mis en place par l’équipe artistique d’Animal Logic, des images à la beauté surréaliste qui l’ont incité à franchir le pas.
Dès le départ, Zack Snyder impose un univers totalement réaliste. Pas de stylisation, ni de caricature. Le monde de Ga’Hoole doit avoir l’air aussi réel que celui d’Avatar. Les décors et les paysages seront basés sur les environnements que l’on trouve dans l’île de Tasmanie, au large de l’Australie, un monde sauvage remarquablement préservé.
Pour Animal Logic, le film représentait un virage à 180° par rapport à ce qui avait été fait sur Happy Feet : oubliés la banquise bien blanche et les pingouins bien noirs de Happy Feet. Cette fois, il faut créer des forêts entières, d’immenses panoramas montagneux, sans oublier le plumage excessivement complexe des personnages, avec en prime, le défi posé par l’image stéréoscopique, une première pour le studio. Le Royaume de Ga’Hoole s’annonçait infiniment plus complexe que Happy Feet.

HP à la rescousse

Le défi principal tenait en la capacité du studio à traiter une quantité de données qui allait augmenter de manière exponentielle par rapport au premier film. Sur Happy Feet, Animal Logic disposait de 2000 serveurs de rendu. Mais à l’usage, cette quantité de serveurs s’avérait très lourde à manier et surtout, extrêmement coûteuse sur le plan énergétique par ses besoins en refroidissement. Pour Le Royaume de Ga’Hoole, le studio a donc complètement réorganisé sa ferme de rendu. Les 2000 serveurs d’origine ont été remplacés par 500 serveurs lame HP ProLiant BL2x220c à double densité. Cette structure de base a été doublée en fin de production par l’ajout de 500 serveurs additionnels de même type, ceci afin d’absorber les énormes besoins en puissance de calcul du rendu final des images.
Les responsables d’Animal Logic affirment avoir réduit leur consommation énergétique par trois avec ce système, tout en maintenant la puissance de calcul à un niveau identique. Le studio bénéficie maintenant d’une force de frappe de 4096 processeurs d’une capacité de traitement de 41000 gigaflops. Une performance qui classe cette ferme de rendu dans le Top 500 des superordinateurs les plus puissants de la planète.
Il fallait bien ça pour parvenir au niveau de réalisme exigé par Zack Snyder. Le cinéaste voulait que le décor et la lumière jouent à fond la carte du naturel. Du coup, Animal Logic doit appliquer le même traitement photoréaliste aux chouettes. Pas question de les styliser d’une façon ou d’une autre. L’équipe se met donc à observer de vraies chouettes, à étudier leur squelette, à analyser leur manière de bouger. Les personnages sont ainsi modélisés autour d’une ossature 3D qui reproduit celle du véritable volatile.
Ce souci de réalisme affecte aussi le processus de développement de l’animation. Les animateurs commencent par intégrer une bonne dose de « squatch and stretch » (le corps se compresse et s’étire) dans les mouvements des personnages, mais les premiers tests démontrent que cette approche ne fonctionne pas : dès que ces animations un peu cartoon étaient intégrées dans les décors réalistes, les effets tombaient à plat. Exit donc les animations « décalées ». Le réalisme des environnements impliquait naturellement un réalisme équivalent au niveau de l’apparence des chouettes et de leurs mouvements.

L’animation : donner vie aux chouettes
L’animation est confiée à l’un des spécialistes les plus réputés en la matière, Eric Leighton. Ce dernier a supervisé l’animation de films comme L’Étrange Noël de M. Jack,King Kong, ou le récent Coraline. Sa première mission consiste à définir les règles de base de l’animation des chouettes. Avec Zack Snyder, il met en place un concept à double facette. Lors des déplacements (vol, marche, etc.), les personnages doivent être animés de la manière la plus réaliste possible, en respectant ce qu’une vraie chouette peut faire dans les mêmes circonstances. Par contre, dans les scènes « dramatiques » où les personnages doivent exprimer quelque chose, on triche avec la réalité de l’animal, car à ce moment-là, c’est l’émotion qui compte, pas le réalisme. Les animateurs devaient jongler en permanence entre ces deux facettes, entre réalisme et expressivité, sans que cela n’affecte la cohérence des personnages. Un équilibre délicat à maintenir.

Les yeux des chouettes
Dès les premiers tests d’animation, l’équipe doit revoir sa copie. Le fait est peu connu, mais il s’avère que les vraies chouettes sont incapables de bouger les yeux dans leurs orbites. Pour regarder quelque part, elles doivent tourner la tête. Les animateurs tentent d’intégrer cette particularité biologique dans leur travail, mais les scènes ne fonctionnent pas. L’équipe se rend compte que sans les mouvements oculaires, les personnages semblent dépourvus de vie. On le sait, les yeux sont le miroir de l’âme, et la fixité du regard des chouettes retirait toute vie aux personnages. Les gentils héros devenaient des créatures aux yeux vides et désincarnés. Difficile d’exprimer la moindre émotion dans ces conditions. Sans compter que les mouvements de tête permanents devenaient vite agaçants : les personnages étaient constamment en train de tourner la tête pour réorienter leur regard. En accord avec Snyder, l’équipe choisit de ne pas respecter cette réalité biologique du volatile, et de faire bouger les yeux dans leurs orbites. Des mouvements bien plus discrets que ceux des humains ou d’autres animaux, mais suffisamment prononcés pour qu’une étincelle de vie anime enfin ces regards.
L’équipe découvre aussi que les yeux des chouettes présentent la particularité de se fermer avec une double paupière, l’une étant plus grande que l’autre. Une originalité qui sera exploitée de manière subtile dans l’animation afin de souligner les différences entre les personnages. Ainsi, les gentilles chouettes se voient attribuer un clignement d’yeux quasiment humain, ce qui facilite l’identification du spectateur avec ces personnages. À l’inverse, leurs ennemis présentent un clignement beaucoup plus animal, plus authentique sur le plan biologique, ce qui leur confère une apparence plus inquiétante. L’équipe passera également beaucoup de temps sur la finition de ces yeux, ajoutant quantité d’imperfections et de détails subtils qui rendaient ces immenses globes plus fascinants à regarder.

Pattes, ailes et plumes
Une fois ces détails morphologiques réglés, les animateurs se penchent sur l’un de leurs plus gros défis sur le film. Il s’agit de développer des animations qui doivent permettre aux personnages de manipuler des objets de manière crédible. Car les chouettes de Ga’Hoole sont capables d’écrire un message, de transporter un objet, etc. Autant de mouvements pour lesquels il n’existe aucune référence dans le monde réel. Zack Snyder ne veut pas d’effets façon Disney ou autres dans lesquels des volatiles utilisent leurs ailes pour attraper des objets. Les ailes des chouettes étant constituées de plumes, elles ne peuvent pas intervenir dans la manipulation des objets. De fait, les animateurs doivent trouver une solution élégante et naturelle pour chaque cas de figure. À l’arrivée, les spectateurs ne doivent même pas penser au fait que tel personnage est en train d’écrire. La situation doit être acceptée d’emblée, ce qui pose un sacré défi d’animation.
Autre challenge de taille, celui des scènes de vol. Une bonne partie de l’action se déroule dans les airs et Zack Snyder tenait absolument à retrouver à l’écran toute la fluidité du vol des chouettes. Pour ce faire, l’équipe observe quantités de documentaires et d’images d’archives afin d’analyser le comportement des volatiles, le fonctionnement des muscles, le placement des os, et le rôle des plumes.
Ces dernières, en particulier, donneront du fil à retordre à l’équipe. Animal Logic développe pour l’occasion un logiciel spécifique de simulation de plumes. Le rigging se révèle particulièrement complexe : les plumes doivent glisser les unes sur les autres, s’entrechoquer entre elles, se plier sous l’effet du vent, s’écraser sous l’impact d’une goutte d’eau, et se frotter aux plumes d’un autre personnage. Autant de règles de fonctionnement qu’il faut établir au départ, puis affiner au fur et à mesure que les problèmes apparaissent. Les collisions entre personnages seront simplifiées par le recours à des modèles spécifiques au plumage moins élaboré.

Automatiser le rendu
Les responsables techniques d’Animal Logic mettent en place un nouveau système de rendu automatisé destiné à faciliter le travail de TDs. À n’importe quelle étape du processus, un graphiste peut demander un rendu total ou partiel sur une image donnée. Cette fonction permet de comparer rapidement différentes versions d’un même set-up, ou bien de juger du réalisme du rendu des plumes. Un atout crucial lorsqu’il s’agit de réussir des effets aussi complexes que les flocons de neige se collant sur les plumes en mouvement les unes par rapport aux autres… Comme pour Happy Feet, Animal Logic a basé tout le travail 3D sur les logiciels Maya et Softimage.
Un travail visuel exemplaire salué par la critique unanime, même si le grand public n’a pas entièrement suivi. Le film n’est pas encore rentré dans ses frais, ce qui ne saurait tarder après les dernières sorties à l’international, et le futur DVD. Animal Logic a créé un long-métrage complètement atypique, loin de l’univers croquignolet et rigolo tout plein de la moyenne du genre. Une vraie prise de risques que le studio est le seul à oser, avec Pixar, bien sûr, et qu’il convient de saluer comme il se doit.

Alain Bielik - Octobre 2010
(commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 19 ans

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