L'etrange histoire de Benjamin Button

Un nouveau film à succès pour David Fincher, mais aussi un grand pas en avant pour les effets visuels de personnages grâce à Digital Domain. Ou comment fusionner « mocap » et animation pour transformer Brad Pitt en vieillard plus que crédible. Le film est d’ailleurs nominé pour les Oscars 2009 dans 13 catégories, dont les VFX.

L’histoire de Benjamin Button est tiré d’une nouvelle écrite par Scott Fitzgerald en 1922 et elle-même inspirée d’une remarque  de l’écrivain humoriste Mark Twain : « La vie serait bien plus heureuse si nous naissions à 80 ans pour nous rapprocher ensuite de nos dix-huit ans ». Cette prémisse a inspiré David Fincher (Seven, Fight Club) à plutôt  faire un « film sur le chaos de l’existence », chaos que même l’amour ne peut vaincre.
Synopsis : à sa naissance en 1918, Benjamin Button (Brad Pitt dans le film) a tout  d’un vieillard de 80 ans. Sa mère morte en couches, son père l’abandonne devant un asile de vieux parmi lesquels il passera sa « jeunesse »  aussi handicapé qu’eux, mais en rajeunissant au fil des ans. Benjamin y fera aussi connaissance de Daisy, petite fille de 8 ans qui vient visiter son grand-père. Entre les deux naît une douce attraction qui ne pourra se muer en amour que quelques décennies plus tard, quand Daisy est alors une femme mûre (jouée par Cate Blanchett ) et que Benjamin devient un homme enfin jeune. Amour forcément tragique puisque le temps écarte les deux personnages  au lieu de les rapprocher…

Le projet a longuement mûri, jusqu’à ce que Digital Domain (studio 3D habituel de David Fincher) prouve en 2004 qu’il pouvait produire des doublures digitales à la hauteur de ce que voulait le réalisateur. Car Brad Pitt voulait  interpréter  Benjamin Button à tous âges, pas seulement comme homme jeune. Une gageure relevée par Digital Domain en inventant au passage un nouveau procédé.
Etape 1 : des modèles 3D de Benjamin Button à 80, 70 et 60 ans
Le studio s’est basé sur des moulages de buste de Brad Pitt ainsi que des acteurs qui interprètent Benjamin Button à 80,70 et 60 ans. Trois maquettes de tête de Benjamin Button à ces âges ont été ainsi réalisées à partir des moulages de Brad Pitt et ajustées aux moulages des épaules des autres  acteurs. Ces bustes ont été ensuite scannés pour obtenir des modèles 3D de Benjamin Button à ces âges.
Etape 2 : une librairie d’expressions faciales de Brad Pitt
Digital Domain s’est basé sur l’hypothèse maintenant classique en animation que nos expressions peuvent se composer à  partir d’une série d’expressions clés. A l’aide de la société Mova (San Francisco) et de son système Contour, ils ont scanné volumétriquement le visage de Brad Pitt dans une centaine d’expressions différentes, avec une caméra qui filme, sans marqueurs (juste un maquillage phosphorescent),  en 24 images par second en tournant autour du sujet. Ce procédé de scan volumétrique est plus précis que la capture de mouvement s classique où, même avec quelques centaines de marqueurs,  les modèles obtenus ont des « trous » dans le maillage qui dégradent la qualité de l’animation obtenue. Et Digital Domain a ensuite « découpé » les visages obtenus  en plusieurs milliers de sous-expressions faciales (sourcils, mentons, etc.) combinables pour créer des expressions photoréalistes de Brad Pitt.

Etape 3 :Tournage des scènes
Brad Pitt et les autres acteurs ont joué Benjamin Button en portant des cagoules bleues avec marqueurs pour tracker (avec Boujou) leur performance. Plus simple à dire qu’à faire : tracker le cou et le dos avec la tête s’est révélé délicat notamment en raison des distorsions de profondeur de champ  induites par l’objectif de la caméra.
Etape 4 : Brad Pitt rejoue la scène
Dans un studio, Brad Pitt visionne les scènes et les rejoue, immobile, mais  entouré de 4 caméras Viper qui filment son visage, toujours sans marqueurs. Digital Domain a utilisé ici une technique d’analyse  de l’image pour  synchroniser  les mouvements faciaux de Brad Pitt avec la scène enregistrée et en déduire le timing exact d’un mouvement de chaque partie de visage : sourcil, mâchoire, etc.
Etape 5 : Recomposer les mouvements faciaux sur la tête en 3D
Digital Domain a développé un soft spécifique pour relier cette information à la base de données d’expressions faciales et appliquer le mix adéquat de composants d’expressions au modèle 3D de  tête de Benjamin Buttton utilisé dans la scène pour qu’il reproduise fidèlement le jeu facial de Brad Pitt en complément des mouvements de tête capturés sur l’acteur ayant joué la scène.
Le résultat est époustouflant de réalisme, et surtout le spectateur ressent une continuité du personnage de Benjamin Button à travers les âges, ce qui est le but recherché. Alors que Brad Pitt  lui-même, maquillé pour paraître 50-60 ans,  n’arrive réellement dans le film qu’à la 53ème minute, dans la scène où Benjamin Button s’embarque pour l’URSS sur un remorqueur.

Le lighting est aussi un challenge important dans ce processus : la peau humaine et surtout les yeux sont  particulièrement  sensibles à l’éclairage, et Digital Domain a dû déployer tous les moyens possibles pour en  enregistrer fidèlement les paramètres sur les scènes de tournage : sphères de capture en HDR, etc. Ensuite, le studio a développé des shaders et outils spécifiques dans Mental Ray pour utiliser ces données pour éclairer le décor reconstruit en 3D ainsi que les visages des modèles de façon identique à la scène du tournage.
Par contre, le rajeunissement de Benjamin Button à la fin du film, ainsi que celui de Daisy au début, ont été traités par un autre studio, Lola, qui avait déjà développé un système de rajeunissement de personnages pour X-Men, l’affrontement final (2006). Leur procédé est semblable à de la chirurgie esthétique virtuelle, avec effacement de rides, etc. en utilisant des ratios et tables anatomiques et en les appliquant à l’aide de Flame (compositing) et Maya (3D). En tout, plus de 300 plans ont été traités, avec pour objectif de retrouver pour Brad Pitt le look juvénile qu’il avait dans Thelma et Louise, le film qui l’a révélé.

Au total , ce film marque une nouvelle étape dans l'utilisation d'effets « invisibles », cad d'effets dont le spectateur ne doit pas s'apercevoir, qui ne sont pas là pour faire le spectacle mais seulement en support de l'histoire. Et comme le résume David Fincher : « Ces effets sont là pour soutenir mon but, pour faire qu'une romance mise à l'écran ait plus de punch qu'autrement. » It's all about storytelling, comme on dit à Hollywood.

Paul Schmitt, février 2009