Men in Black III

Le retour des hommes en noir avec toujours autant d’extraterrestres délirants, un humour toujours aussi pince sans rire, et en prime, un délicieux voyage dans le temps vers les années 60. Sans oublier quelque 1200 effets visuels.

Un concept astucieux (les aliens partagent notre quotidien en secret sous le contrôle des Hommes en Noir), deux acteurs parfaitement complémentaires (Will Smith en jeune chien fou, l’agent J ; Tommy Lee Jones en vétéran blasé, l’agent K), un humour omniprésent, et bien sûr, une pléiade d’extraterrestres aux formes les plus folles qui soient : la saga Men in Black a su dès le début marquer le genre de son empreinte iconoclaste.

Pour justifier le retour des Hommes en Noir dix ans après le deuxième opus, il fallait une histoire qui se démarquât des deux précédentes. Dans le premier Men in Black, Will Smith découvrait l’existence des aliens grâce à Tommy Lee Jones ; dans le deuxième Men in Black, c’est l’inverse qui se produisait, le personnage interprété par Jones ayant eu la mémoire effacée. Comme une impression de déjà vu… Cette fois, les scénaristes ont fait preuve d’imagination puisque l’agent J doit remonter dans le temps jusqu’en 1969 afin de sauver la vie de K, victime d’un paradoxe temporel. L’ambiance des années 60 donne au film un ton unique et permet de renouveler la saga, tout en conservant cet humour pince-sans-rire qui a fait son succès.

Le projet a démarré avec un nombre jugé « raisonnable » de plans à effets visuels, soit 600, ce qui est très peu pour une grosse production de ce genre. Mais comme souvent, les ambitions du réalisateur ont été revues à la hausse en cours de tournage, et ce chiffre a quasiment doublé pour atteindre 1200 plans à VFX! Plus de la moitié d’entre eux ont été confiés aux bons soins de Sony Pictures Imageworks. Normal, ce studio d’effets spéciaux fait partie du même groupe que le studio Columbia qui produit le film. À la barre, l’un des vétérans les plus respectés de la profession,le Superviseur VFX Ken Ralston, dont la carrière multi-oscarisée remonte au premier Star Wars. Pour le seconder dans cette tâche, le Superviseur des effets visuels Jay Redd. Ils nous racontent leur aventure sur ce film.

Pixelcreation: Vous avez réalisé 700 plans sur les 1200 que compte le film. De quels types d’effets vous êtes-vous occupés chez Imageworks ?
Ken Ralston : Nous avons réalisé tous les plans qui faisaient intervenir des animations de personnages en images de synthèse, les environnements virtuels, ainsi que la poursuite en monocycles, ces motos futuristes. Quand le réalisateur Barry Sonnenfeld est passé dans nos bureaux, j’étais en train de finir Alice au Pays des Merveilles. Il voulait voir la manière dont on gérait la 3D stéréoscopique au niveau des effets visuels. J’avais travaillé avec lui sur Men in Black 2, juste deux mois pour donner un coup de main à finir le film. Nous nous étions très bien entendus. Et là, de but en blanc, il m’a demandé : « Tu veux faire le film ? ». J’ai sauté sur l’occasion parce que j’adore cette saga et le style de Barry. Je n’imaginais pas que ce serait si compliqué.

Pixelcreation: À quel niveau ?
Ken Ralston: La production s’est arrêtée pendant plusieurs semaines en plein milieu du tournage. Il y avait des problèmes de script et ils n’avaient pas été résolus au moment où on devait tourner les scènes. Ça a décalé tout le planning et on s’est retrouvé avec une période de postproduction inhabituellement longue. Le tournage s’est terminé en juillet 2011… pour une sortie en mai 2012.
Jay Redd : On pensait qu’avec tout ce temps, on allait pouvoir peaufiner les effets tranquillement, mais les plans n’ont pas arrêté de changer jusqu’à la fin, ce qui fait qu’on a malgré tout terminé avec une pression maximale !

Pixelcreation : Parlez-nous de la création des extraterrestres.
Ken Ralston : Je connais Rick Baker, le responsable des maquillages, depuis plus d’une trentaine d’années. Nous nous sommes rencontrés à l’âge de 17 ans… C’est lui qui a conçu tous les aliens du film. Dès le départ, nous avons décidé ce qui pouvait être fait avec du maquillage par son équipe, ce qui devait être réalisé en animation 3D par Imageworks, et ce qui pouvait être une combinaison des deux.
Jay Redd : Par exemple, il a été décidé de ne pas créer de système mécanique pour animer les petits mouvements des aliens, comme les clignements d’yeux ou les antennes. C’est extrêmement complexe à faire sur un masque, mais très facile à réaliser par ordinateur. On a donc beaucoup travaillé de cette manière : Rick créait le masque et le costume, et on ajoutait des animations numériques sur certaines parties du corps, ou bien on animait un membre de plus, etc.
Ken Ralston : Dans certains cas, on avait un alien interprété par un acteur maquillé dont le corps était en partie visible. On effaçait l’acteur de l’image, de manière à ne laisser que l’alien dans le décor, ce qui créait un effet très réaliste. Malgré sa morphologie bizarre, le personnage bougeait de manière naturelle sans qu’on ne voie d’interprète. Parmi les aliens entièrement créés en 3D, il y a les « vers de terre sur pattes » qu’on avait découverts dans les deux premiers films, ils sont très populaires…
Jay Redd : Il faut aussi citer le poisson géant dans la scène du restaurant chinois. On a choisi de filmer l’action sans rien pour représenter l’alien sur le plateau : Will Smith se débattait face à du vide. Dans ce type de situation, il est d’usage d’avoir un cascadeur avec lequel l’acteur puisse interagir physiquement, mais le problème, c’est qu’on est ensuite bloqué pour l’animation. En filmant Will seul, on était libre de réaliser l’animation qu’on voulait pour l’alien. Une fois les mouvements approuvés, on a ajouté tous les effets sur le poisson : le slime sur la peau, les brillances, les reflets, le relief des écailles, etc. C’était une scène très drôle à réaliser.
Ken Ralston : Nous avons également remplacé plusieurs aliens de Rick Baker par une animation numérique. Non pas que les maquillages aient été ratés ou quoi que ce soit, mais c’est juste que, au cours de la postproduction, l’action a été modifiée dans plusieurs scènes, et ce qui avait été filmé avec ces aliens ne collait plus avec la nouvelle version. Du coup, on effaçait le ou les personnages et on intégrait les mêmes aliens ré-animés par ordinateur. Nos logiciels de prédilection sur ce film ont été Maya, Houdini, Katana et Arnold pour le rendu.

Pixelcreation: Contrairement à la plupart des extraterrestres qui sont plutôt drôles, le personnage de Boris l'Animal est lui franchement inquiétant…
Ken Ralston : Oui. Rick a imaginé un concept où la tête et d’autres parties du corps ressemblent à une espèce de main fermée. Et lorsqu’il est stressé ou en colère, tous les doigts s’ouvrent et l’on peut alors découvrir la monstruosité de cet être. Rick a fabriqué la créature et nous avons beaucoup discuté des différentes manières d’améliorer son travail en numérique. Il y avait une marionnette mécanique de la petite créature qui sort de sa main et une version numérique pour les déplacements. Le look a été très travaillé pour obtenir le bon degré de transparence de la peau : il fallait que la créature soit répugnante, mais pas au point de choquer le grand public. Il y avait un contraste amusant entre l’apparence hideuse de cette chose et son comportement semblable à celui d’un animal familier.

Pixelcreation : L’une des scènes les plus étonnantes est le saut dans le temps depuis le sommet du Chrysler Building à Manhattan.
Jay Redd. : Oui, pour atterrir en 1969, l’agent J saute du 61e étage ¬– le building en compte 77. Pendant la préparation, Ken et moi avons grimpé sur le toit afin de prendre des photos. En contemplant la vue, nous nous sommes demandé combien de temps s’écoulerait avant que l’agent J ne touche le sol dans la réalité. Réponse : à peine une poignée de secondes… Or, il fallait que ça dure deux minutes dans le film ! En effet, on voulait montrer le temps qui recule au fur et à mesure que J descend. Ce n’est pas si facile de montrer un voyage dans le temps à l’écran. On peut afficher des dinosaures pour montrer que l’on est à l’ère préhistorique, mais comment savoir qu’on se trouve à l’époque de la Grande Dépression ou bien à celle de la Seconde Guerre mondiale ? Comment faire la différence ? Nous avions besoin de symboles forts et d’images reconnaissables et il fallait les laisser assez longtemps à l’image pour que le spectateur ait le temps de les identifier. Sachant cela, nous avons calculé de quel étage théorique il faudrait sauter pour avoir le temps de voir tout ça. Réponse : le 800e étage ! Autant dire qu’on a un peu triché avec la réalité et les lois de la physique… Mais bon, personne n’y prêtera attention. Notre job consiste à créer l’illusion que ce qui se passe à l’écran pourrait vraiment survenir dans le monde réel.

Pixelcreation: Comment avez-vous reconstitué le New York de 1969 ?
Ken Ralston : Nous avons commencé à modéliser la ville en numérique dès la fin 2010. C’est un projet qui nous a pris plus d’un an à lui seul. Les bâtiments les plus proches de la caméra étaient modélisés avec tous les reliefs, tandis que les structures à mi-distance étaient des projections de photos des vrais buildings sur des volumes 3D. Notre équipe a pris des milliers de photos des bâtiments de la ville. Le panorama lointain était réalisé à partir de matte-paintings. Au fil de la descente de J, les bâtiments ont été remplacés par leur version plus ancienne, reconstituée d’après des photographies d’archives. À la fin, tous les immeubles modernes ont disparu, de même que les véhicules d’aujourd’hui.
Jay Redd : Pour la chute de J, nous avons filmé Will Smith suspendu à des câbles devant un fond vert, mais pour la majeure partie du plan, en particulier chaque fois que la caméra ne montre pas le visage du personnage, il s’agit d’une doublure animée par ordinateur. Elle nous permettait d’avoir un meilleur contrôle sur les mouvements et la lumière. À certains moments, le personnage est un mélange de Will Smith et de sa doublure 3D.
Ken Ralston : L’un des projets les plus complexes a été la reconstitution du Shea Stadium, un complexe sportif historique qui était une vraie légende à New York et qui a été détruit en 2008. Nous l’avons entièrement recréé d’après des photos et des plans d’époque. Ensuite, nous l’avons peuplé de dizaines de milliers de figurants virtuels. Seuls les figurants situés au premier plan devant la caméra étaient réels.

Pixelcreation: De quelle manière la poursuite en motos monocycles a-t-elle été tournée ?
Jay Redd : Une partie de l’action a été filmée avec les acteurs chevauchant une sorte de quad sur lequel avait été fixée une structure futuriste. Ensuite, la partie « quad » a été effacée de l’image et remplacée par la roue géante animée. Mais ces plans ont été assez limités car la séquence se déroulait de nuit et il était difficile d’avoir une bonne lumière sur les acteurs sur d’aussi longues distances. C’était plus simple de les filmer en studio sur fond vert, puis d’ajouter la roue géante, et d’intégrer le tout dans des prises de vues filmées par une seconde équipe.
Ken Ralston : Plusieurs fois au cours de la poursuite, l’action devient réellement « extrême », et on essayait de la ramener à plus de réalité. Notre premier réflexe en tant qu’artistes effets visuels, c’est que l’animation réponde aux lois de la physique, qu’elle soit réaliste. Mais Barry nous arrêtait en disant : « Ne vous occupez pas de physique ou de logique dans ce film. C’est un univers de fantaisie, c’est le monde des Men in Black… Alors, laissez-vous aller ! »

ALAIN BIELIK, mai 2012
(Commentaires  visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 20 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.