Monstres contre Aliens

Le premier film entièrement en relief de Dreamworks, mais aussi un brillant film d’animation 3D en hommage au cinéma fantastique des années 50. Flashback sur le making-of avec le coréalisateur Conrad Vernon et le superviseur de l'animation William Salazar.

À la barre de Monstres contre Aliens, on retrouve Rob Letterman, coréalisateur de Gang de Requins, et Conrad Vernon, coréalisateur de Shrek 2. Ensemble, ils ont concocté un film étonnant dans lequel ils crient leur passion pour le cinéma de genre, et plus particulièrement, pour les films de monstres. Tous les films de monstres. C’est bien simple, les plus célèbres créatures du cinéma fantastique, surtout celui des années 50, y sont représentées : la femme de L’Attaque de la Femme de 50 Pieds, le Dr Cafard qui fait référence au savant fou de La Mouche et Frankenstein, Insectosaure héritier de Godzilla et autres Rodan, Le Maillon Manquant fils spirituel de L'étrange créature du Lac Noir (ndlr : film déjà en relief en 1954), Bob tout aussi flasque et gélatineux que Le Blob, ainsi que l’extra-terrestre de service…

Conrad Vernon, coréalisateur et auteur du film, nous donne sa vision.

Pixelcreation : Comment êtes-vous arrivé à ce concept mêlant monstres et aliens?
Conrad Vernon, coréalisateur : Après avoir coréalisé Shrek 2, j'ai lu pas mal de scripts dont un qui mêlait monstres et aliens. Le script ne m'a pas séduit, mais le concept si! Comment le mettre en oeuvre? J'ai finalement choisi une approche parodique, inspirée des films de science fiction des années 50, en particulier ceux d'Ed Wood (ndlr : cinéaste auteur de nombreux films sci-fi de série B dans les années 50, et dont la vie – et les déboires - ont fait l'objet d'un film de Tim Burton en 1994 avec Johnny Depp dans le rôle d'Ed Wood). J'ai commencé à écrire, à le développer visuellement en 2004. Rob Letterman a alors rejoint le projet à la suggestion de Jeffrey Katzenberg, avec l'idée d'un scénario similaire à celuin des 12 Salopards, et le concept était né!

Pixelcreation : Aviez-vous pris dès le départ la décison d'en faire un film en relief?
Conrad Vernon
: Non, la production a démarré en 2005-2006, et Jeffrey n'a décidé qu'un an plus tard de le faire en 3D  relief. J'étais méfiant au départ, je craignais l'effet « mal de tête » bien connu avec cette technologie. J'ai regardé beaucoup de films en relief, pour voir ce qui fonctionnait et comment en faire bénéficier l'histoire. J'y suis allé précautionneusement, en cherchant à quels moments placer des mouvements en jaillissement. Les scénaristes ont aussi contribué des idées, comme celle au début du film de la balle de « paddle tennis » qui va et vient en dehors de l'écran. C'est superflu par rapport à l'histoire, mais comique à souhait. A la fin du film, je me suis demandé: y a-t-il encore 10 endroits dans ce film où  placer des effets en relief qui amélioreraient l'histoire? J'en ai trouvé 6 ou 7, et je les ai faits. Mais au total, il y a seulement 10 à 15 séquences où la 3D relief jaillit spectaculairement; la plupart du temps, les effets sont plus subtils : une tête sort du cadre, les plans ont plus de profondeur, etc.

Pixelcreation : Et vos conclusions sur l'usage de la 3D relief dans les films?
Conrad Vernon : La 3D relief est parfaite pour l'animation. Certains la critiquent comme inutile, au mieux un effet de mode, mais l'introduction du son ou de la couleur au cinéma ont eu leurs opposants aussi. Il faut juste prouver la valeur de cette technologie pour raconter une histoire, et elle émergera. Il faut utiliser le relief avec goût et subtilité : par exemple donner plus de profondeur aux arrière-plans pour donner une impression d'endroit gigantesque. Et aussi faire attention à mieux refléter lumières et formes environnnantes.

Pixelcreation : La version 2D de Monstres contre Aliens est-elle différente de la version relief?
Conrad Vernon : Non, il n'y a pas de différences notables, juste quelques détails qui changent, comme la longueur de certaines plans.

Pixelcreation : Quels autres challenges avez-vous rencontré dans Monstres contre Aliens?
Conrad Vernon : C'est un film avec de longues scènes d'action , bien au-delà des 30 secondes classiques. Du coup, nous avons eu jusqu'à 350 personnes, l'équipe la plus grande pour un film chez Dreamworks Animation. Mais grâce à notre pipeline de production, nous avons pu partager le travail entre nos studios de la Bay Area (ndlr : ex-PDI) et Los Angeles.
Certains personnages ont posé plus de difficultés que d'autres. Bob (ndlr : le tas de gélatine bleu) a été le plus difficile à modéliser et animer : sa forme bouge, se sépare en deux, son oeil jaillit en dehors, mais il doit quand même rester un personnage crédible. On a mis une équipe de 6 à 10 personnes pour faire en sorte que Bob fonctionne correctement. Le design de Susan a aussi évolué, entre réalisme et stylisation, et c'est Line Andersen , Lead Animator, qui a finalement redessiné et affiné le visage de Susan.

Pixelcreation : Votre prochain projet sera encore dans l'animation en relief?
Conrad Vernon :Pas tout à fait : j'essaie de développer un projet de film « live action », mais avec certains personnages réalisés en animation comme souvent maintenant. Et il se pourrait qu'on y utilise le relief aussi.

Pour animer cette ménagerie hors du commun de Monstres contre Aliens, le directeur de l’animation David Burgess a été épaulé par plusieurs superviseurs de l’animation, dont le Français William Salazar. Ce dernier a raconté à Pixelcréation son expérience très particulière sur ce projet.

Pixelcreation : Pourriez-vous nous rappeler le rôle du directeur de l’animation chez DreamWorks ?
William Salazar, Superviseur de l'animation : Bien sûr. Un film comme Monstres contre Aliens comporte de vingt à trente séquences qui sont réparties entre quatre à cinq superviseurs. Ceux-ci travaillent en collaboration avec le directeur de l’animation. C’est lui qui détermine le style d’animation, l’approche des personnages, etc., et qui relaie la vision des réalisateurs. Notre rôle consiste alors à mettre cette vision en images. Je me suis plus particulièrement occupé des scènes de Susan, la femme géante, et, dans une moindre mesure, de Gallaxhar, le chef des aliens. C’était un peu compliqué parce que je suis arrivé alors que le projet était déjà bien avancé, mais tout n’était pas encore en place. Par exemple, Susan était déjà sous sa forme définitive, mais certains monstres non. Du coup, avec les animateurs, on devait se concentrer sur ce qui était prêt. Parfois, on ne travaillait que sur la moitié d’une scène, d’autres fois, il fallait abandonner une scène en cours parce qu’un personnage avait changé, etc. Le processus a été assez chaotique…

Pixelcreation : Quel était le style choisi par les réalisateurs ?
William Salazar : Pour les humains, ils nous ont demandé du réalisme exagéré, tandis que les monstres étaient plutôt animés façon cartoon. La référence pour ces derniers était le style Chuck Jones, un style davantage fondé sur les poses que sur le mouvement.

Pixelcreation : De quelle façon avez-vous abordé le défi de l’image en relief ?
William Salazar : Monstres contre Aliens était le premier film en 3D stéréoscopique de DreamWorks. Nous avons dû apprendre à maîtriser les ficelles de cette technologie tout en réalisant le film. Ça s’est vraiment fait au fur et à mesure. Nous avions une bonne quinzaine de plans spécialement conçus pour avoir un impact maximum en 3D, le reste était réalisé sans qu’on se focalise sur le relief.

Pixelcreation : Comment pouviez-vous juger de l’effet de relief dans votre travail quotidien ? Vos moniteurs étaient en 2D, n’est-ce pas ?
William Salazar : Oui, mais nos locaux disposent d’une salle de projection équipée pour l’image 3D. On assistait chaque matin à la projection en relief des plans finalisés la veille. Cela nous permettait de juger de l’impact de tel ou tel effet stéréoscopique sur grand écran. Tous les superviseurs assistaient à ces projections avec les réalisateurs. C’est là qu’on voyait ce qui fonctionnait ou ce qui ne fonctionnait pas. On y assistait, même si on n’avait rien à montrer ce matin-là : ces séances nous permettaient de comprendre le film dans sa globalité et de bien saisir la vision des réalisateurs. Chacun de leurs commentaires était utile pour tout le monde. Ces projections étaient aussi l’occasion de corriger l’effet stéréoscopique. Par exemple, les réalisateurs  demandaient de pousser tel personnage ou tel objet vers l’avant ou vers l’arrière pour accentuer la sensation de relief. Il fallait aussi fréquemment ralentir le rythme de l’animation : lorsqu’un personnage situé au premier plan bougeait trop vite, cela donnait naissance à un effet stroboscopique qui le rendait quasiment transparent ! Nous devions donc revenir sur l’animation et corriger spécifiquement pour le relief. Grâce à ces projections, nous avons aussi remarqué que la stéréoscopie cesset de fonctionner lorsqu’un personnage ou un objet déborde du cadre : tant que le sujet reste en entier dans l’image, l’effet fonctionne à plein, mais si une partie sort de l’écran, l’illusion est rompue.

Pixelcreation : C’est le cas aussi pour les projections de débris et autres, vers le spectateur ?
William Salazar : Non, parce qu’ils vont beaucoup trop vite. Cela concerne uniquement les personnages et les objets imposants. On doit toujours les laisser en entier dans le cadre. Ce n’est pas évident du tout lorsqu’il s’agit d’une scène de groupe : si quatre ou cinq personnages tendent la main vers la caméra, il faut que toutes les mains restent en permanence dans le cadre. Autre découverte d’importance, l’effet de relief est bien meilleur lorsque les éléments se déplacent dans le sens de la profondeur de l’image. S’ils vont de droite à gauche ou inversement, l’image est plate, mais dès qu’ils partent vers l’arrière ou qu’ils avancent vers le premier plan, l’effet est saisissant. Du coup, toutes ces découvertes ont beaucoup guidé la façon dont les personnages étaient animés et cadrés.

Pixelcreation : Parlons des personnages à présent, en particulier Gallaxhar, dont le design est vraiment étonnant…
William Salazar : Oui, une tête géante sur un tout petit corps monté sur six pattes très fines… Sans oublier quatre yeux ! D’un côté, c’était très excitant d’animer un personnage aussi extravagant, parce que son physique offre beaucoup d’options. D’un autre côté, il fallait prendre garde à ne pas trop en faire. Le design était tellement extrême qu’on risquait de perdre le personnage si on l’animait comme on le ferait normalement pour un méchant de ce genre. Avec Gallaxhar, il fallait plutôt calmer l’animation, jouer sur un registre plus subtil, afin que le personnage garde toute son épaisseur. Cela ne l’a pas empêché d’être très difficile à animer…

Pixelcreation : Pour quelle raison ?
William Salazar : Parce qu’il a six pattes et qu’il faut sans cesse faire attention à éviter les collisions et les pénétrations, ce qui est vraiment compliqué. Le cycle de marche est très élaboré. On devait animer les pattes une par une. L’autre aspect intéressant du personnage, c’est ses yeux. Il en a quatre qui bougent indépendamment les uns des autres, comme ceux des caméléons. Rapidement, nous avons remarqué qu’il fallait ne pas trop en faire avec ces yeux. Si tout bougeait dans tous les sens, l’action devenait confuse. Nous avons donc établi un certain nombre de règles : lorsque Gallaxhar regarde un personnage, tous ses yeux sont braqués sur ce dernier, mais si quelque chose attire son attention sur le côté, seul son œil extérieur placé de ce côté-là tournera. Suivant les plans, on devait aussi animer les déformations de l’énorme crâne, ainsi que les antennes. Au final, malgré les difficultés, j’ai adoré animer ce personnage. Avec sa bouche énorme, ses yeux multiples, sa capacité à gonfler les joues… on pouvait vraiment s’amuser avec lui.

Pixelcreation : L’autre personnage étonnant, c’est Bob, la créature en forme de blob informe…
William Salazar : Oui, tout le monde l’adorait ! Il était vraiment « fun » à animer. Il était riggé de façon particulière : le corps était conçu comme un ressort, tandis que la tête possédait un rig d’animation faciale normal. Une fois l’animation en key frame finalisée, le personnage passait aux effets visuels pour les animations secondaires en simulation, notamment l’effet de gélatine.

Pixelcreation : Parlez-nous des personnages géants : Insecto le gentil monstre, et le méchant robot de Gallaxhar…
William Salazar : Les contrôles étaient assez simples. La grande difficulté, c’était de bien rendre la taille des personnages. Ils mesurent tous les deux plus de cent mètres de haut. La solution a été de les animer quatre fois plus lentement que tout le reste. En jouant sur le spacing, on pouvait simuler une taille énorme. Ces dimensions exceptionnelles ont d’ailleurs posé un sérieux problème de cadrage : comment voulez-vous avoir dans la même image un monstre de cent mètres, une géante de trente mètres et deux créatures de taille humaine ? Ça ne marche pas. Nous avions déjà été confrontés au même problème de différence d’échelle par le passé : d’abord pour Bee Movie avec l’abeille et la jeune femme, puis pour Kung Fu Panda avec la mante religieuse et le reste des personnages. Ce n’est jamais facile. La différence de taille est telle qu’on a du mal à trouver des cadrages de groupe qui fonctionnent. Dans le cas de Monstres contre Aliens, il n’y avait pas vraiment le choix : la plupart du temps, on ne voit que les pieds d’Insecto et du robot. Pour cette raison, ce sont les parties qui ont été les plus travaillées au niveau de la modélisation et des textures.

Pixelcreation : Et pour le Maillon Manquant, de quelle façon avez-vous abordé l’animation ?
William Salazar : On a beaucoup travaillé sur son cycle de marche afin de déterminer s’il devait se déplacer sur deux ou quatre pattes. Finalement, nous avons opté pour un cycle de course inspiré de celui du gorille, avec en plus la queue qui traînait par terre.

Pixelcreation : Est-ce que la queue était animée en key frame ?
William Salazar : Non, l’animation était automatisée. Nous avons mis au point un outil remarquable qui permet d’automatiser tout ce qui est « overlap » d’animation. Il s’agit des animations secondaires qui viennent s’ajouter à l’animation principale et qui sont guidées par celle-ci : la queue, les oreilles, les cheveux, les vêtements, les manches, etc. Cette animation se fait de manière automatisée, ce qui constitue un gain de temps considérable pour l’équipe. Par exemple, chaque fois qu’on lèvera le bras d’un personnage, la manche bougera automatiquement et de façon naturelle. C’est d’autant plus pratique qu’on peut à tout moment modifier ces simulations à la main pour corriger tel ou tel détail.

Pixelcreation : Combien de temps avez-vous travaillé sur le film ?
William Salazar : Environ un an, ce qui est un délai plus court que d’ordinaire. En temps normal, on compte à peu près de treize à quinze mois d’animation, mais là, tous les délais étaient réduits. Songez que l’animation s’est achevée trois mois seulement avant la sortie du film ! Normalement, on finit six mois avant… C’est notre record en la matière ! L’équipe d’animation comportait en moyenne 35 animateurs, mais ce total est monté pendant un moment jusqu’à 50.

Pixelcreation : Avec le recul, que pensez-vous de l’impact du relief sur le processus de création du film ?
William Salazar : Honnêtement, ça nous faisait tous un peu peur au départ. Déjà que le film disposait de délais très serrés, on avait ce paramètre supplémentaire à gérer, cette grosse inconnue qui faisait qu’on a dû apprendre en même temps qu’on avançait. Au final, ce n’est pas vraiment plus dur de réaliser un film en relief. La grande différence, c’est qu’il faut faire beaucoup plus attention à tout. On ne peut pas « tricher » comme on le fait sur une production normale. Par exemple, il faut que les regards se croisent vraiment, et que les contacts physiques soient bien plus précis. Toutes les approximations qui passaient très bien dans une image 2D sautaient aux yeux en relief. Mais bon, maintenant que nous avons eu notre baptême du feu, ce sera plus facile la prochaine fois !

Alain Bielik - Avril 2009
(interview Conrad Vernon et légendes des visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 18 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.