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Le réalisateur de Meurs un autre jour est de retour avec un nouveau thriller futuriste dans lequel les effets spéciaux ont la part belle. Avec en point d'orgue une explosion nucléaire ravageant le port de Long Beach grâce au studio Tweak Films .

Les images de cette galerie -courtesy Tweak Films - montrent l'explosion finale ainsi que le dock (lui-même en 5 étapes, avec accumulation progressive des éléments) et le bateau, chaque séquence/étape étant décomposée en trois images successives pour montrer la simulation dynamique (Maya).

Vous vous souvenez de cette séquence mémorable de Minority Report dans laquelle Tom Cruise échappait à ses poursuivants grâce aux dons de voyance de la jeune femme qui l’accompagnait ? En « voyant » son futur immédiat, le personnage était en mesure d’anticiper sur les événements, et donc, de les empêcher. On retrouve le même type de séquence dans Next, le nouveau film de Lee Tamahori. Nicolas Cage incarne Cris Johnson, un homme capable de voir son futur immédiat, mais seulement le sien. Lorsqu’il « voit » un attentat à l’arme atomique, il devient la cible d’une agence gouvernementale qui cherche à l’utiliser pour empêcher la catastrophe. Grâce à son don, Cris parvient à échapper à ses poursuivants : ainsi, la balle qui lui était destinée sera évitée de justesse car il la « voit » arriver à l’avance.
Les similitudes avec certains aspects de Minority Report sautent aux yeux. Toutefois, il ne s’agit pas d’un « pompage » éhonté du film de Steven Spielberg : le scénario des deux films est en réalité basé sur deux romans du même auteur, Philip K. Dick. Ce qui explique cela.
Pour montrer la façon dont Cris utilise ses dons de voyance, Tamahori a fait appel à tout un arsenal d’effets spéciaux. Le superviseur des effets visuels John Sullivan (La Ligue des gentlemen extraordinaires) a réparti les 300 plans truqués entre sept prestataires différents, les principaux étant Pixel Magic et Digital Dream. Le numérique a permis de réaliser des scènes comme celle où Cris baisse la tête pour éviter un véhicule qui effectue un tonneau juste au-dessus de lui, ou bien une autre où il esquive une véritable avalanche de troncs d’arbre. À chaque fois, les éléments dangereux ont été animés en 3D et combinés avec une prise de vues de Nicolas Cage.

Mais le plan le plus complexe de tout le film est celui de l’explosion nucléaire. Il a été réalisé par Tweak Films, toute petite société spécialisée dans la 3D et le développement de logiciels graphiques. Un seul plan, mais des semaines de travail intense ! Pixelcreation a rencontré Scott Liedtka, le superviseur des effets visuels de Tweak Films, pour découvrir les coulisses de la création de ce plan étonnant.

Pixelcreation : En quoi consiste le plan exactement ?
Scott Liedtka : Nous devions montrer les conséquences d’une explosion nucléaire qui se produit hors champ et son impact sur un navire amarré dans le port de Long Beach, Californie. L’onde de choc devait traverser la surface de l’océan, soulever le navire et le fracasser sur les quais, tandis que ceux-ci étaient rasés par le souffle de l’explosion. Nous avons travaillé sur ce plan pendant quatre mois et demi avec une équipe d’une douzaine d’artistes placés sous la direction des superviseurs 3D Mike Root et Sean Schur.

Pixelcreation : Quels étaient les éléments dont vous disposiez au départ ?
Scott Liedtka : La production nous a remis un story-board et une prévisualisation sommaire. Nous avons commencé par étudier un maximum de films montrant des explosions nucléaires. Il nous est tout de suite apparu que ce que le réalisateur demandait n’était pas la réalité. Ce qu’il cherchait, ce n’était pas une reproduction fidèle de ce qui se passerait dans la réalité, mais une libre interprétation de ce qui pourrait se produire. Partant de là, nous avons produit des dizaines de petites animations tests pour définir exactement le timing du plan et les différents événements qui devaient y survenir, comme le navire qui se brise en deux, par exemple. Le plus difficile a été de parvenir à un compromis crédible entre la masse apparente du navire et l’animation dramatique que Lee recherchait. Il voulait que le navire se brise d’une façon précise, très spectaculaire, mais qui ne correspondait pas à la réalité physique d’un tel événement. Nous avons passé des semaines à travailler l’animation sur prévisualisation avant de trouver le compromis idéal entre spectacle et réalisme.
Pixelcreation : Avez-vous utilisé des prises de vues réelles ?
Scott Liedtka : Non, le plan est entièrement généré en 3D. Il ne comporte aucun élément de prise de vues réelle. L’arrière-plan est un matte-painting, tandis tous les éléments d’avant-plan sont des géométries 3D. Nous avions une bonne soixantaine de modèles différents à créer : le navire, les quais, les grues du port, les grues du navire, les conteneurs, les véhicules… À lui seul, le travail de modélisation et de texture nous a pris deux mois. Pour le navire, nous sommes partis d’une géométrie fournie par la production. Elle avait été réalisée par balayage laser du bâtiment réel. Seulement, la résolution n’était pas assez élevée pour nos besoins. Nous l’avons complètement remodélisée dans Maya en utilisant la version initiale pour les dimensions, et des photos du navire réel pour les textures.
Pixelcreation : Comment avez-vous préparé le « rig » du navire pour qu’il se brise en deux ?
Scott Liedtka : Nous avons utilisé les outils de déformation de Maya et des outils maison pour ajouter une couche de matière spécifiquement destinée à se plier et à s’écraser sur le navire. Mais ce n’était pas suffisant pour générer l’effet recherché. Nous avons alors ajouté à hauteur de la cassure un « rig » en forme de chaîne sur lequel étaient fixés des dizaines de panneaux individuels. Au moment où la cassure se produisait, la chaîne de panneaux éclatait dans tous les sens, simulant la désintégration du pont du navire. Dans la réalité, le pont ne comportait aucun panneau, mais cet ajout rendait l’effet beaucoup plus dynamique et intéressant

Pixelcreation : De quelle façon avez-vous créé les collisions entre objets ?
Scott Liedtka : Les collisions étaient l’une des clés de ce plan, puisque le navire en se brisant rebondit sur toute la longueur du quai, emportant avec lui tout ce qui s’y trouve. Encore une fois, la difficulté était que le réalisateur avait une idée bien précise de la façon dont les choses devaient se dérouler, comment le navire se brisait, la manière dont il retombait sur le quai, la destruction des grues, etc. Or, cela ne correspondait pas à la réalité, ce qui fait que nous n’avons pas pu utiliser de simulations de corps rigides. Celles-ci produisaient des résultats réalistes, mais pas assez intéressants. Toute l’animation des éléments de grande taille a été réalisée à la main.

(Note de l'auteur : Il est intéressant de noter qu’ILM a été confronté au même problème avec la vague géante du film Poseidon- voir making-of dans cette même rubrique- : le réalisateur voulait une vague qui allait à l’encontre de ce que la simulation dynamique de fluide proposait. Résultat, pour les plans d’ensemble, l’équipe avait dû sculpter à la main la géométrie de la vague !)


Pixelcreation : Vous avez tout de même utilisé une simulation pour les éléments de petite taille ?
Scott Liedtka : Oui, bien sûr. Entre les débris de verre et de métal, les panneaux, les voitures, les conteneurs, etc., nous avions des milliers d’éléments individuels à animer ! La simulation dynamique était le seul outil qui permettait d’animer autant d’éléments simultanément. Comme ces éléments avaient finalement peu d’interactions entre eux, une simulation dans Maya a suffi. En revanche, nous avons utilisé un programme maison appelé Crack pour briser la surface des docks de façon procédurale et faire en sorte que les blocs de béton soient emportés par la chute du navire

Pixelcreation : Comment avez-vous procédé pour l’eau ?
Scott Liedtka : C’était l’aspect le plus difficile sur le plan technique. La base de l’animation reposait sur un programme de simulation dynamique développé en interne. Appelé C4, ce moteur a été créé il y a plusieurs années pour les besoins du Seigneur des Anneaux. Son but était de gérer des banques de données beaucoup trop importantes pour Maya. Weta Digital l’a utilisé dans plusieurs scènes de la trilogie. C4 nous a permis de simuler l’effet de souffle, l’impact de la vague sur le navire, et toutes les gerbes d’eau provoquées par les chutes de débris. Il comporte une bonne douzaine de moteurs de simulation de fluides que nous avons développés au fil des années. La difficulté provenait, une fois encore, de l’animation irréaliste du navire. Si l’on partait de cette animation pour générer la simulation de fluides correspondante, on obtenait des gerbes d’eau de 60 mètres de haut !
Pixelcreation : Ce qui ne collait pas avec l’échelle du navire…
Scott Liedtka : Pas vraiment, non ! [rires] Pourtant, ça, c’était la réalité physique du phénomène. Il a donc fallu ajuster les paramètres de la simulation pour réduire la taille de la gerbe d’eau et des remous. Ensuite, un code interne de simulation de surface nous a permis de créer des surfaces qui pouvaient être combinées avec des particules pour générer des remous très esthétiques. L’un des aspects les plus importants de la simulation a été de faire en sorte que les remous laissent une couche de mousse à la surface de l’eau, ceci grâce à une série d’outils que nous avions développés pour les besoins du raz-de-marée du Jour d’après.

Pixelcreation : De quelle façon avez-vous géré le rendu ?
Scott Liedtka : À cause de la lueur de l’explosion, nous devions être en mesure d’animer l’éclairage de façon très poussée. Nous n’utilisons jamais de pré-rendu ; toutes nos textures sont créées sans éclairage. Notre pipeline est entièrement écrit en Python et repose sur un programme interne de gestion des données, GTO. Dans la pratique, chaque objet animé, y compris la caméra et les lumières, est exporté sous forme de fichier GTO. Celui-ci est un fichier binaire qui comprend les données de la scène et de l’objet. À noter que GTO est en open source et que vos lecteurs peuvent obtenir des informations à ce sujet sur notre site Internet.
Pixelcreation : Quel logiciel avez-vous utilisé pour le rendu proprement dit ?
Scott Liedtka : Entropy, principalement, parce qu’à l’époque où nous avons débuté avec Tweak Films, il s’agissait d’un meilleur moteur de rendu que RenderMan… Aujourd’hui, ce produit est tellement intégré dans notre pipeline qu’il nous serait très difficile de changer (même si nous y pensons). Dans Next, toutes les surfaces rigides ont été traitées par Entropy. Pour les couches d’occlusion ambiante, nous avons choisi Mental Ray pour sa qualité et sa rapidité. Enfin, le rendu des particules très fines (poussière, vapeur) a été assuré dans Gelato car Entropy ne gère pas les ombres profondes. En revanche, Entropy a été utilisé pour toutes les particules dans les remous. Le compositing final a été réalisé dans Shake : il y avait quelque 188 couches différentes ! Mike Root s’est chargé de combiner toutes ces sources et ces rendus pour en faire un plan cohérent et dynamique. À tous les niveaux, ce projet a donc été très complexe à réaliser. Mais bon, d’un autre côté, il s’agissait du plan le plus important de tout le film…

Alain Bielik, avril 2007

Alain Bielik est rédacteur en chef et fondateur de la revue SFX, la revue des effets spéciaux.