Passengers

Une jolie romance spatiale servie par des images raffinées et une scène dantesque qui tient réellement du « jamais vu ». Avec des images CG « avant/après » du studio MPC.

Dans un lointain futur, Jim (Chris Pratt) et Aurora (Jennifer Lawrence), deux passagers du vaisseau spatial automatisé Avalon sont « réveillés » de leur hibernation par accident 90 ans avant l’arrivée. Seuls êtres conscients à bord, ils doivent accepter le fait qu’ils vont passer le reste de leur vie sur le vaisseau, tout en affrontant une série d’épreuves inattendues. Ce point de départ original donne lieu à un drame intimiste rythmé par des scènes à suspense et, surtout, porté par des images d’une rare beauté. Les effets visuels ont été réalisés par The Moving Picture Company (MPC) sous la supervision d’Erik Nordby (Elysium, The Amazing Spider-Man 2).

Le projet comprenait deux grandes catégories d’effets : l’intérieur du vaisseau et l’extérieur. Pour le premier, MPC a réalisé d’importantes extensions de décor au niveau de la baie d’hibernation, de la cafeteria, de la salle des machines et du grand hall central. Pour le second, il a fallu mettre au point un vaisseau comme jamais encore le cinéma nous en avait montré. “Nous avons décidé de le modéliser en une seule version,” précise Nordby. “Nous ne voulions pas d’un modèle pour les plans larges, un autre pour les plans serrés, un autre pour les gros plans, etc. C’était trop compliqué à gérer. Un seul modèle devait pouvoir répondre à tous les besoins, ce qui impliquait une conception incroyablement robuste. Les surfaces devaient être en mesure de supporter n’importe quel type de plan. En même temps, il était impossible de tout modéliser et texturer à très haute résolution, le modèle aurait été ingérable. Notre approche a donc consisté à procéder scène par scène. Dès que nous savions précisément ce que la caméra allait montrer, nous ajoutions des panneaux, des antennes, des structures mécaniques, des irrégularités sur les surfaces, etc., tout ce qui pouvait briser les lignes et créer une impression de densité. À l’arrivée, il y a donc des sections du vaisseau qui sont beaucoup moins détaillées que d’autres.”

La lumière des étoiles
Les plans du vaisseau dans l’espace reposent sur une charte graphique originale. Excepté une séquence particulière, il n’y a aucune planète, ni aucun soleil pour illuminer le vaisseau. Il est éclairé uniquement par les étoiles de la Voie Lactée. “Nous voulions nous éloigner du look traditionnel des scènes dans l’espace au cinéma, avec une lumière directionnelle puissante et des ombres très marquées façon NASA. Par conséquent, la lumière sur le vaisseau est très douce, les ombres sont très peu marquées. La lumière provenait d’un énorme dôme virtuel sur lequel étaient projetées des centaines de milliers d’étoiles représentant la Voie Lactée. Elles ont été réalisées en HDR à partir de dizaines de maps superposés qui constituaient une image à la résolution tout à fait extraordinaire ! Certaines nébuleuses étaient projetées sur des cartes devant le dôme afin d’avoir plus de profondeur dans l’image et de générer un effet de parallaxe. En plaçant le modèle du vaisseau au centre de ce dôme, les surfaces se retrouvaient éclairées naturellement par la lueur des étoiles. Par contre, les temps d’exposition étaient extrêmement longs… ”

La richesse et la luminosité de l’arrière-plan ont entraîné un changement dans le look du vaisseau. L’Avalon était au départ blanc, comme un navire de croisière, mais l’équipe s’est aperçue que cette silhouette blanche se détachait mal sur le fond de nébuleuses spatiales. Lorsque le vaisseau passait devant certaines parties de l’arrière-plan, l’image devenait illisible. La décision a donc été prise de lui donner une couleur beaucoup plus sombre.

Cap sur Arcturus, étoile géante rouge
L’environnement spatial change du tout au tout lorsque le vaisseau se dirige droit vers une étoile. L’occasion pour MPC de montrer un soleil de très près – une vision rarissime au cinéma. “Le soleil a été créé couche par couche d’après la structure qui compose les vraies étoiles. Il y a eu plusieurs simulations principales réalisées dans Houdini et Flowline. Elles se sont superposées pour créer un effet de profondeur. Cela dit, c’est la seule séquence pour laquelle nous avons triché avec la réalité. Dans le monde réel, le vaisseau ne pourrait pas être aussi près de l’étoile, il aurait été carbonisé bien avant, mais le spectacle de ce monde rougeoyant était trop beau pour ne pas s’en approcher. Ce qu’il y a d’intéressant par ailleurs, c’est que nous avons projeté la prévisualisation du soleil dans le décor avec les acteurs. Les plans intérieurs ont été filmés devant un écran de contrôle géant qui était en réalité un mur de LED très puissantes. Lorsqu’on diffusait les images du soleil, elles éclairaient le décor tout entier et les acteurs ! Ça ajoute énormément au réalisme de la scène !”

La piscine en mode bulle
Si la scène de l’étoile vaut son pesant d’or, le vrai tour de force du film est la séquence où le vaisseau subit une panne du système de gravité artificielle. Les deux passagers se retrouvent alors en état d’apesanteur, une situation dramatique pour l’héroïne Aurora qui a le malheur de se trouver à ce moment-là dans la piscine… On connaît ces images de bulles liquides flottant en apesanteur dans une station spatiale ou un engin Soyouz ou Apollo. Là, il s’agissait de reproduire l’effet sur l’énorme masse d’eau contenue dans une piscine – avec un personnage prisonnier au centre de la bulle. Autant dire qu’il s’agissait d’un gros morceau pour MPC. L’équipe savait que ce serait LA séquence dont tout le monde parlerait en sortant du film…

“Nous avons établi une règle de base pour cet effet : l’eau ne devait rien faire qu’elle ne ferait pas en apesanteur dans la réalité. Notre logiciel de simulation de fluides possède une fonction d’annulation de la gravité, donc sur le plan technique, l’effet n’est pas excessivement difficile. On entre ce paramètre, et l’eau se regroupe naturellement sous la forme d’une bulle géante. Le vrai problème a été sur le plan artistique : la simulation avait tendance à ressembler… à une créature. On avait l’impression que l’eau voulait tuer Aurora, qu’il s’agissait d’une volonté délibérée ! Nous avons sorti plein de simulations parfaitement réussies, avec des images vraiment incroyables, mais il a fallu les jeter à la poubelle parce que l’eau semblait « vivante »… Il s’est avéré très difficile de souligner le côté aléatoire du phénomène. Le moindre petit détail pouvait faire basculer la simulation du côté « monstre aquatique », ça se jouait à très peu de choses. L’effet présentait en fait un paradoxe difficilement surmontable : d’un côté, il fallait contrôler l’eau pour qu’elle fasse exactement ce que nous voulions qu’elle fasse, mais de l’autre, elle devait sembler se mouvoir totalement au hasard… On a travaillé des mois là-dessus.”

Les simulations ont présenté un autre problème : sous forme de bulle, l’eau prenait naturellement un aspect gélatineux et non pas liquide. Pour souligner le fait qu’il s’agissait bien d’eau, MPC a dû ajouter des dizaines de petites simulations à la surface, des éclaboussures, des vagues au ralenti, etc., tout ce qui pouvait rappeler la surface de l’eau. L’effet a été réalisé à partir d’une combinaison de Houdini et de Flowline.

Une fois les simulations en place, restait encore à accomplir le plus délicat : intégrer l’actrice Jennifer Lawrence de façon convaincante dans cette énorme masse liquide en suspension… Les plans ont été tournés dans une piscine entourée d’un décor partiel, MPC a ensuite ajouté le reste du décor par ordinateur. La première partie de la scène a été filmée avec la piscine pleine, la seconde avec le bassin vide.

Pour caler les plans, l’équipe s’est basée sur la prévisualisation, laquelle avait été élaborée de façon très précise. “Celle-ci nous a montré ce que l’eau allait faire, comment le personnage allait réagir, dans quelle position il allait se trouver à quel moment, etc. À partir de là, nous avons calculé les angles de prises de vues qui nous permettaient d’obtenir précisément ces images dans le vrai décor avec Aurora dans l’eau, de sorte qu’on puisse l’intégrer dans la simulation. Au final, il n’y a pas eu un seul plan avec une doublure numérique dans la scène de la piscine. Et la scène ne ressemble à rien de ce qu’on a vu dans le genre…”

Alain BIELIK, janvier 2017
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 25 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.