Peur du noir

Une mante religieuse très féconde, le fantôme d’un samouraï japonais ou d’une veuve revancharde, un monstre sorti du marécage voisin ou un noble cruel et ses chiens assoiffés de sang, « Peur[s] du noir » plonge sous notre lit avant de dévoiler les mystères du placard sombre et mystérieux.

Vous trouverez ci-dessous notre article sur ce film. Les bios et commentaires des auteurs et membres de l'équipe du film sont en légendes des visuels de la galerie : cliquez sur les vignettes...

Ce film d'animation est intégralement réalisé en noir et blanc pour mieux servir les tracés inquiétants d'une « dream team » de l'illustration et du graphisme ( Blutch, Pierre Di Sciulli, Lorenzo Mattotti, Marie Caillou, Charles Burns, et -last but not least- Richard McGuire) dirigée par Etienne Robial. Une production signée Prima Linea Productions qui embarque le spectateur pour 1h25 d’angoisse. Ames sensibles s’abstenir.
Au moment de monter l'équipe de Peur[s] du Noir, Valérie Schermann et Christophe Jankovic de Prima Linea Productions ont fait appel à Etienne Robial. Le grand graphiste, habitué de l’habillage des grandes chaînes de télévisions (comme Canal +, Arte ou encore M6) a guidé le film, lui a donné une trame. Embarqués dans l'aventure, les illsutrateurs et graphistes Blutch, Charles Burns, Marie Caillou, Pierre Sciullo, Lorenzo Mattotti et Richard McGuire ont bénéficié d'une grande liberté créative.
Mais cette liberté pose de nombreux problèmes d’enchaînement et de composition. Confronté à ce patchwork stylistique et rythmique, Robial résume ainsi son travail : « Mon métier, c’est d’avoir la conviction d’avoir trouvé les bonnes réponses aux problèmes que l’on m’a posés ». La création de la typographie du titre et du générique est l'un des exemples de ce travail, cet alphabet jouant un rôle essentiel dans l'unité de l’ensemble. Etienne Robial l’a travaillée au cutter, « Il y a trois ou quatre « E » et « A » différents, par exemple, et c’est ce qui donne cette impression de dessin manuel ».

Le thème de la peur se traduit à l’écran par la représentation souvent abstraite de phobies ou de situations dans lesquelles notre imaginaire prend le dessus. Alternance de cauchemars ou de phases d’angoisse et de transes intenses, les courts-métrages de chacun des artistes présents au générique portent une réflexion sur ce sentiment universel.

Ces cinq histoires courtes entremêlées d’interludes aux graphismes psychédéliques, réalisés par le typographe et graphiste Pierre Di Sciullo, présentent un véritable panorama des styles graphiques et des techniques d’animation actuelles.

On y retrouve de la 3D sous la patte de l'illustrateur Charles Burns et de son mini film d'horreur, pour lequel le studio Def2Shoot a conçu un logiciel de rendu spécifique permettant de reproduire le style du dessinateur.

Le très noir film de l'illustrateur new-yorkais Richard McGuire a également fait appel à la 3D. Le visage de l’homme  héros de son film a ainsi été modélisé, à l'image d'ailleurs de l’intégralité du décor. Objectif : mieux étudier les ombres afin d'obtenir un rendu parfaitement cohérent. Toujours dans ce souci de faire peur avec un maximum de réalisme, les animateurs ont souvent eu à modéliser et animer le corps entier de l’Homme alors que seules ses mains ou son visage étaient apparents au rendu.

L’animation vectorielle en 2D a été très largement utilisée dans la fresque nippone de l'illustratrice Marie Caillou, qui travaille avec Illustrator. Son équipe d’animateurs a ainsi su  pousser Flash dans ses retranchements, l'emmenant plus loin que son utilisation habituelle pour des animations sommaires destinées au Web. Ensemble, ils ont édité un manuel d’utilisation de ce logiciel pour en tirer le meilleur parti et ne pas trahir le style de Marie Caillou. Il en ressort une force impressionnante tant au niveau des dessins que des mouvements.

Les auteurs de BD Lorenzo Mattotti et Blutch ont eu recours à de l’animation traditionnelle avec un support numérique quasi indispensable dans ce genre de production.
Pour la bête du marais qui figure dans le film de Mattotti, son équipe a essentiellement travaillé sur les jeux d’ombres et d’éclairages. « Nous avons réussi à obtenir des choses subtiles que j’aime beaucoup, comme les lumières derrière les nuages… les ombres qui passent sur le terrain », révèle Lorenzo Mattotti. Alors que l'équipe s'orientait plutôt vers des dessins esquissés, elle a souhaité une richesse de détails bien supérieure.

Pour les courts épisodes du noble et ses chiens, dans le film de Blutch, il a fallu avant tout recréer l’univers névrosé et tendu de ses dessins. Le travail au charbon, propre à l'auteur, a été très largement utilisé. Les ombrages parfois aléatoires rendent un volume particulièrement réaliste aux personnages et l’animation très explosive, toute en force, glace le sang. Ces passages sont, de loin, les plus déments du film.


Le facteur graphique commun à toutes ces œuvres reste le noir et blanc. Plus ou moins contrasté, il permet de présenter durement mais avec justesse la personnalité du dessinateur et renforce considérablement la tension qui émane des récits. D’après Christophe Jankovic : « Pour les amateurs d’animation, le noir et blanc c’est quelque chose d’un peu « idéal ». C’est aussi difficile à financer. Mais c’est le dessin dans sa pureté ! ».

Le montage final a été à l’image du film : fait d’aléas et de pirouettes, mais toujours sous contrôle. La musique - signée René Aubry, Boris Gronemberger, Laurent Perez Del Mar et George Van Dam - et l’enregistrement des voix, qui s’est fait parallèlement au montage des images, à été un vrai défi, comme le souligne Christophe Jankovic : « Les réalisateurs ont fait pas mal d’allers-retours à Bruxelles et cela s’est terminé cet été par un long séjour en studio où je voyais venir suivant les jours tel ou tel réalisateur, son image finie, donc disponible pour le mixage final de sa partie ».

Un casting impressionnant et une liste de studios et de producteurs qui l’est tout autant, au service d’œuvres décalés et visuellement exceptionnelles, c’est de cela qu’est fait Peur[s] du noir, un film d’animation pour public averti, qui donnera des sueurs froides à tous les amateurs du genre.

Hugo Thomas & Paul Schmitt, février 2008

Un film de Blutch, Charles Burns, Marie Caillou, Pierre di Sciullo, Lorenzo Mattotti, Richard McGuire.
Avec les voix de : Aure Atika, Arthur H, Guillaume Depardieu, Nicole Garcia.
Sortie le 13 Février 2008.