Planes

Les studios Disney se mettent à l’animation low cost en exploitant l’univers de Cars de Pixar. Et le résultat n’est pas mal du tout…

Petite devinette : quel est le film Pixar des années 2000 qui a rapporté le moins d’argent ? Réponse : Cars. Et quel est le film Pixar des années 2000 qui a rapporté le plus d’argent en produits dérivés ? Réponse : Cars ! Cette réussite commerciale peut sembler paradoxale, mais c'est pourtant bien le film le moins aimé de Pixar qui génère le plus de vente de jouets, T-shirts, et autres accessoires. Selon les chiffres fournis par Disney, le label Cars a généré près de 11 milliards de dollars de chiffre d'affaires en l’espace de six ans ! Un formidable jackpot qui explique pourquoi ce film, plutôt mal accueilli à sa sortie, a été la première production Pixar à faire l'objet d'une suite (excepté Toy Story). Avec Cars 2, sorti en 2011, la machine à cash a été relancée pour plusieurs années.

Mais pourquoi attendre un troisième opus, se sont demandés les responsables de Disney ? Pourquoi ne pas développer cet univers d’une autre manière ? Après tout, John Lasseter et son équipe avaient imaginé un monde où tous les véhicules semblaient être doués de conscience. Pixar avait centré les deux films sur les voitures, mais c’était parce qu’il s’agissait d’une passion pour Lasseter. Rien n’empêchait de reprendre les règles du monde de Cars pour les appliquer à un autre type de véhicule. Disney a d’abord commencé par travailler sur des trains, avant de se rabattre finalement sur les avions.

La filiation avec la saga de Pixar est soulignée de toutes les manières possibles. Lasseter avait intitulé son film Cars ? Le nouveau projet sera intitulé… Planes. Disney reprend même la charte graphique du logo du film de Lasseter, et pour bien être sûr que tout le monde a compris, le slogan annonce clairement la couleur : « Au-dessus du monde de Cars ». Tout est donc fait pour présenter le projet comme une production Pixar… excepté que ce film n'a rien à voir avec les petits génies d'Emeryville. Il a été développé par Disney Toon Studios, la division de Walt Disney Studios qui se consacre aux films d'animation destinés au marché DVD. Leur spécialité, produire des suites à petit budget des grands succès de la firme de Mickey. Ils comptent à leur actif la très rentable série des Fée Clochette.

L’animation mondialisée avec Disney Toon Studios

La stratégie de Disney Toon Studios est bien établie, et ressemble d’ailleurs à celle de nombreux studios européens forcés de comprimer les coûts de production. Les projets sont entièrement développés à Los Angeles, depuis le scénario jusqu'au design, en passant par les animatiques, le casting, le montage, la musique, etc. mais l'animation est, elle, réalisée à l'étranger, en Inde.

Toutes les productions DTS sont animées au sein de Prana Studios, une firme d’animation établie à Mumbai, en Inde. C’est grâce à cette externalisation que DTS est capable de produire des longs-métrages d’animation pour un prix défiant toute concurrence. À peine 50 millions de dollars pour Planes, là où DreamWorks ou BlueSky doivent investir 130 millions, voire plus, dans chaque film. La structure est d'une logique à toute épreuve : aux Etats-Unis la partie créative avec un personnel réduit, à l’Inde la partie qui nécessite le plus de main-d’œuvre.

Jusqu'à présent, DTS était un peu resté sous les écrans radar, écrasé par l’aura de ses deux grands frères au sein du groupe : Pixar et Walt Disney Feature Animation. La sortie en salles de Planes constitue donc une belle vitrine pour cette équipe, tout à coup propulsée sur le devant de la scène. D’autant que le film présentait de sérieux défis techniques et artistiques, loin des standards habituels des productions DVD.

Avions et voitures
En premier lieu, il fallait reproduire sur des avions les règles d'animation qui avaient été établies par Pixar sur les voitures de Cars.
Première règle, les véhicules doivent rester une masse de métal rigide, ils ne doivent jamais se tordre ou se plier. Les tests d'animation réalisés pendant la préparation de Cars ont démontré que, si les voitures se tordaient d'une manière ou d'une autre, même de façon légère, elles perdaient leur apparence métallique, la carrosserie semblait alors faite de caoutchouc. Pas question, donc, de tricher sur les lois de la physique pour exprimer telle ou telle émotion. Les seules parties « expressives » sont les yeux, la bouche, et le train roulant. Une règle respectée à la lettre par Disney Toon Studios dans Planes.

Pourle regard, l’équipe reprend la charte graphique de Cars : les yeux sont placés sur le pare-brise et, surtout, regroupés en un seul bloc. Il n’y a pas de séparation physique entre les deux yeux, ce sont les « paupières » qui divisent le regard en deux parties. La grande différence avec Cars, c'est la présence d'une énorme hélice juste devant les yeux… À chaque plan, il faut agencer le cadrage pour éviter que le regard soit masqué par une des pales, mais en même temps, il faut conserver au découpage un côté naturel et ne pas attirer l’attention.

Faire parler des avions
En ce qui concerne la bouche, c'est encore plus compliqué : pour Cars, la calandre s’imposait comme une évidence, mais sur un avion, il n’y avait rien de semblable, aucun organe mécanique ou partie de carrosserie qui pouvait convenir. Qu'à cela ne tienne, l’équipe décide d’ajouter une bouche sur le dessous de la partie moteur. À cet endroit, le métal devient donc « élastique », ce qui constitue une sérieuse entorse à la règle de réalisme structurel. Des tests d'animation confirmeront que ce parti-pris constitue la meilleure solution.

Dernière entorse aux règles du monde de Cars, la flexibilité extrême du train d'atterrissage. Dans les films de Lasseter, le langage corporel des voitures est représenté par les oscillations du châssis autour des suspensions. Une solution qui fait sens sur le plan mécanique.
Dans Planes, chaque avion est équipé d'un train d’atterrissage capable de se compresser et de se tordre bien au-delà de ce qu'un vrai appareil peut faire dans la réalité. Grâce à ce rig très souple, les personnages peuvent se pencher sur le côté, sursauter, se tasser, etc., autant de postures qui viennent renforcer l'émotion exprimée par le regard. L’avion semble parler avec tout son corps, alors qu'en réalité, seuls les yeux et le train d'atterrissage sont utilisés.

Pour des animateurs habitués à travailler sur des personnages typiquement humains ou animaliers, c'est un dur apprentissage. Toute leur formation et leur expérience tendent à leur faire utiliser le corps entier pour exprimer une émotion. Sur Planes, ils n’ont que trois outils : les yeux, la bouche et le train. Le reste ne doit jamais être touché. Privés de repères, les animateurs ont tendance à sur-animer les avions, à tricher pour obtenir le résultat voulu. Il faudra plusieurs semaines avant qu’ils ne perdent leurs réflexes et apprennent à faire « parler » un bloc de métal solide. Toute l’animation sera réalisée dans Maya.

Recherche de réalisme en vol
Les scènes de vol s’avèrent encore plus compliquées, comme l’explique le réalisateur Klay Hall : “Nous nous sommes vite aperçus que quand les personnages étaient au sol, les roues sur terre, ils semblaient réels. Mais une fois qu’ils avaient décollé et qu’ils évoluaient dans un espace en trois dimensions, le défi devenait beaucoup plus difficile car au début, ils avaient tous l’air de jouets. Il a fallu travailler avec un vrai pilote pour donner à ces images un cachet d’authenticité. Grâce à ses indications, nous avons fini par reproduire l’inertie des avions dans les airs, la pression exercée sur les appareils lors des loopings ou des virages, ou bien encore les décollages ou les atterrissages.”

Tout ce travail semble avoir porté ses fruits. Planes remporte un beau succès, avec déjà plus de 130 millions de dollars de recettes dans le monde. Le film s’est même permis le luxe de faire un meilleur démarrage que Turbo de DreamWorks ou même que Les Schtroumfs 2 de Sony Animation. De quoi envisager un avenir radieux pour Disney Toon Studios.

ALAIN BIELIK, Octobre 2013
(Légendes visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 21 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.


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