Prometheus

Plus de trente ans après avoir créé l’une des sagas les plus célèbres du cinéma fantastique, Ridley Scott revient aux sources de son film Alien et signe une nouvelle épopée grandiose à la recherche des origines de l’Homme. Un film aux effets spéciaux majestueux.

Exclusif! 2 Vidéos Making-of du studio MPC:

>> Video:  making-of du crash du Prometheus dans le vaisseau alien

>> Vidéo: making-of de l'aterrissage du vaisseau Prometheus sur la planète alien

C’est l’un de ces films que l’on attend pendant des années en espérant que le résultat sera à la hauteur de nos espoirs, le nouvel épisode d’une saga légendaire qui avait marqué les années 70 et 80. Nous avons déjà eu droit à la renaissance des franchises Star Wars et Indiana Jones, toutes deux portées par leur créateur initial, tandis que les sagas Star Trek et Batman connaissaient elles aussi une nouvelle vie, mais entre les mains de jeunes réalisateurs. Si le projet Prometheus a suscité autant d’enthousiasme, c’est qu’il constituait la promesse de relancer l’une des séries de films fantastiques les plus prestigieuses qui soient par la personne même qui l’avait initiée.

La saga Alien a marqué son époque par le soin extrême apportée à la réalisation et la forte personnalité des cinéastes impliqués : Ridley Scott, James Cameron, David Fincher, Jean-Pierre Jeunet, quel quatuor ! Elle s’est ensuite galvaudée dans des films dépourvus de toute ambition artistique et qui tenaient plus du jeu vidéo que du long métrage : les Aliens contre Predator ne laisseront pas de trace dans l’histoire du genre.
Après cette triste parenthèse, la 20th Century Fox a enfin décidé de revenir aux sources, c’est-à-dire de confier les rênes du projet à un cinéaste doté d’une vraie vision, et non pas à un quelconque tâcheron. Et quelle vision pourrait-elle être plus appropriée que celle de Ridley Scott, auteur du premier film et cheville ouvrière d’un look qui a fait école.

Au départ, Prometheus devait un « prequel », cad se dérouler avant les événements décrits dans le premier Alien pour notamment éclaircir le mystère du vaisseau extraterrestre abandonné. Mais au fil des réécritures, Ridley Scott a décidé de dissocier le film de la saga initiale, d’en faire une histoire située dans le même univers, mais dépourvue de lien direct.
Les références abondent pourtant, tel le Space Jockey, cet étrange pilote extraterrestre qui semblait faire corps avec un télescope et qui est au coeur des recherches. Le personnage du lieutenant Ripley (Sigourney Weaver) se retrouve largement dans la scientifique Shaw (Noomi Rapace), héroïne de Prometheus. Et Prometheus embarque aussi son androïde David, très reminiscent du Ash du premier Alien. Un (presque) trop plein de références qui gâche un peu l'effet de surprise dans Prometheus, on devine un peut trop facilement les rebondissements de l'intrigue. Côté cinématographie, Ridley Scott a voulu un univers aussi frappant visuellement que celui d'Avatar, et le résultat est effectivement grandiose. Qu'ils soient filmés (numériquement, voir notre post sur notre blog) en Islande ou produits en studio, les paysages ne laissent pas indifférents, avec une sensation d'immersion grâce à une 3D relief parfaitement maîtrisée.

Un classique revisité
Complice du réalisateur sur tous ses films depuis près de vingt ans, le chef décorateur Arthur Max a supervisé ce travail de design : “Ridley voulait, d’une certaine manière, déconstruire ce qu’il avait fait sur le premier volet. On retrouve donc à la base les formes organiques qui ont tant marqué les esprits sur le premier film, avec le fameux motif de côtes imaginé par H.R. Giger, mais en les recouvrant d’une structure mécanique. Cela nous a donné un film qui a son identité visuelle propre, un look plus moderne, mais qui s’inscrit dans l’esprit général de la saga.”

Pièce centrale du film, le vaisseau Prometheus est présenté comme un monument de technologie. Dans Alien, le Nostromo était un vieil engin décrépi, un simple remorqueur spatial ; dans Prometheus, il s’agit du vaisseau-amiral de la flotte. “Nous voulions que le Prometheus ait l'échelle d'un cargo géant, mais qu’il soit aussi capable de manœuvrer à la surface de la planète et d’atterrir avec la grâce et l'agilité d'un avion à décollage vertical,” explique Arthur Max. “Quand l’idée d'un engin à décollage vertical s’est imposée, nous avons décidé d'utiliser les moteurs géants comme les trains d'atterrissage qui pourraient pivoter vers le bas. Ce concept nous a donné une silhouette assez animale, une sorte de créature mécanique géante debout sur ses quatre pattes d'atterrissage. Nous avons décidé d’accentuer cette analogie en donnant au vaisseau une « tête » qui incorporait la passerelle de navigation.” Un design qui renvoyait à certains concepts imaginés par l’illustrateur Chris Foss pour Alien, mais rejetés par Ridley Scott à l’époque.

Pour mettre en images ce mastodonte de l’espace, le réalisateur a choisi de faire confiance à Richard Stammers (Da Vinci Code, Anges et Démons) qui venait de superviser les effets visuels de Robin des Bois. Le projet était d’une toute autre ampleur, cette fois. “Prometheus  compte plus de 1400 plans à effets visuels… Les plans ont été créés par une dizaine de prestataires, dont Weta Digital, Hammerhead, Rising Sun, ou encore Fuel.
Le principal était MPC qui a pris en charge le quart des plans, essentiellement le vaisseau Prometheus et les environnements, ainsi qu’une partie de l’animation 3D. Dans le film, le Prometheus mesure 135 mètres de long sur 30 mètres de haut. Il était essentiel de bien restituer la sensation de masse énorme. Cela s’est traduit par une myriade de petits détails sur la coque et les surfaces. En toute logique, un vaisseau spatial devrait rester « propre », car il évolue principalement dans le vide de l’espace. C’est encore plus vrai pour le Prometheus qui est flambant neuf. Mais nous avons remarqué que cela ne fonctionnait pas visuellement : si on le laissait impeccable, le vaisseau avait l’air artificiel, il faisait « faux ». On a été obligé d’ajouter des couches et des couches de saleté et de poussière pour qu’il devienne réel à l’image…”

Un monde ancré dans la réalité
La soute du vaisseau a été créée en un décor grandeur nature aux studios Pinewood, près de Londres. Une partie du décor, dont la rampe de débarquement, a été transportée en Islande, sur un site qui représentait l’aire d’atterrissage. L’endroit avait été choisi pour son extrême désolation et son horizon vierge de toute présence humaine. La piste d’atterrissage a été tracée au bulldozer, puis des centaines de rochers aux formes étranges, moulés en série par le département artistique, ont été déposés de part et d’autre pour donner au site une ambiance d’un autre monde. Partout des trackers lumineux permettaient aux équipes de MPC de repérer image par image le mouvement de la caméra. En postproduction, les rochers ont été multipliés par ordinateur jusqu’à couvrir toute la plaine, puis le massif montagneux a été remplacé par un relief plus exotique créé en matte-painting.

Alors que le Prometheus fait étalage de sa technologie futuriste, son équipage utilise de simples véhicules à roues pour explorer la planète. Un choix de Ridley Scott pour maintenir le film dans une certaine réalité contemporaine : “Le monde Alien, ce n’est pas Star Wars,” rappelle Arthur Max. “L’action est supposée se dérouler dans un futur proche. La technologie présentée dans le film devait être réaliste, proche de ce que l’on connaît. C’est pour ça qu’il n’y a ni arme au laser, ni système antigravité, etc., et que nos véhicules ont des roues.”

C’est sur ce site que les explorateurs terriens vont avoir la mauvaise surprise de sentir – littéralement – le sol se dérober sous leurs pieds. Dissimulées sous la couche de terre et de sable, d’énormes plaques se mettent à coulisser les unes par rapport aux autres, révélant la présence d’une cavité aux dimensions titanesques. La scène a été réalisée de deux manières différentes. D’abord, des cascadeurs ont été filmés à Pinewood sur un décor extérieur constitué d’une plate-forme de 12 mètres sur 18 animée par des vérins hydrauliques. Le décor a été prolongé en numérique, et le nombre de plaques augmenté jusqu’à représenter tout le dispositif. La seconde partie du tournage a eu lieu en Islande, avec les acteurs qui couraient sur le sol normal, simulant les secousses et les mouvements des plaques. Le sol a ensuite été remplacé par une animation des plaques en train de s’ouvrir. Au cours du montage, les deux types de prises de vues ont été alternés, créant l’illusion d’un seul et même endroit.

Le vaisseau extraterrestre
L’un des grands moments du film, c’est la découverte d’un étonnant vaisseau extraterrestre, réplique de l’épave que l’équipage du Nostromo découvre dans le premier Alien. Dans le film de 1979, le vaisseau avait été réalisé à l’aide d’une maquette, cette fois il a été créé par ordinateur. “Nous avons effectué un très gros travail sur les textures,” précise Richard Stammers. “Le vaisseau est supposé mesurer 225 mètres de diamètre ! Or, nous nous sommes rendus compte qu’il n’y avait pas assez de détails dans la maquette originale. Elle avait été conçue pour être filmée de loin, en plan large. La scène de l’entrée des astronautes avait fait intervenir un décor en taille réelle. Si nous avions reproduit la maquette originale à l’identique, ça n’aurait jamais fonctionné. Dans Prometheus, on voit le vaisseau sous plusieurs angles différents et parfois de très près. Il fallait mettre en évidence son gigantisme, le fait qu’il était bien plus massif que le Prometheus. Pour y parvenir, il a fallu ajouter une quantité considérable de détails sur la surface.”

Tel que décrit dans le scénario, l’engin devait être encore plus grand au départ. Après quelques tests de rendu sur ordinateur, l’équipe est d’abord arrivée à une taille idéale de 300 mètres. Ce diamètre offrait le meilleur rapport visuel entre le vaisseau et le paysage. Sur le site de tournage en Islande, le département artistique a délimité le contour de l’engin sur le sol afin qu’il puisse être visualisé. C’est en voyant la taille du vaisseau sur le site réel que l’équipe a réalisé à quel point il était immense. “On ne réalise pas ce que ça représente, 300 mètres ! Ridley Scott était le premier surpris, il nous a demandé de vérifier s’il n’y avait pas une erreur… Et finalement, il a trouvé que c’était trop grand. Nous nous sommes mis d’accord sur cette taille finale de 225 mètres de diamètre.”

L’un des soucis principaux de Richard Stammers était la scène de l’explosion de ce lourd vaisseau dans le ciel de la planète. Le superviseur des effets visuels doutait que l’effet puisse être accompli en 3D, il pensait recourir à une miniature, seule capable de générer les projections de débris suffisamment réalistes. “J’ai changé d’avis quand j’ai vu X-Men : Le Commencement. MPC a réalisé la scène où Magneto détruit le yacht en guidant la chaîne d’ancre par son pouvoir mental. La simulation dynamique était tellement réussie que je n’ai plus eu aucun doute pour la destruction du vaisseau dans Prometheus. Au fil des ans, MPC a développé des outils de destruction vraiment fantastiques, et il s’agissait là d’une toute nouvelle version, encore plus efficace.” Les explosions ont été réalisées à l’aide de simulations de fluides créées dans Maya et Flowline. Ces animations ont été complétées par des prises de vues de véritables explosions, filmées à grande vitesse et en 3D stéréoscopique.

L’écrasement du vaisseau sur la planète était tout aussi audacieux sur le plan technique. Tout d’abord, les acteurs ont été filmés en train de fuir sur le sol dans un décor équipé de multiples charges explosives. Puis, MPC a créé par ordinateur des chutes de débris 3D pour qu’elles correspondent aux impacts réels sur le sol, et ajouté des centaines d’impacts à l’arrière-plan. L’écrasement lui-même a été réalisé en utilisant le même système de simulation dynamique que pour l’explosion dans le ciel.

Les extraterrestres, nos créateurs?
Le vaisseau abandonné de Alien n’est de loin pas la seule référence au film original. Dans Prometheus, on retrouve aussi un humanoïde géant fossilisé au thorax ouvert, surnommé le « Space Jockey », personnage étrange attaché à une machine télescope qu’on voit brièvement dans Alien. Cette race est l’objet du voyage du Prometheus : les scientifiques Shaw et Holloway à l’origine de l’expédition pensent que ces géants ont créé l’humanité à partir d’eux-mêmes et montent cette expédition pour aller à leur rencontre.

L’équipe de décoration a reconstitué le « Space Jockey » en taille réelle à partir de photographies du tournage de 1979. Le décor a servi pour tous les plans où la machine reste statique, mais une partie de la séquence nécessitait une version animée en 3D. “Ridley voulait toujours avoir une version réelle des éléments qui allaient être créés en 3D,” déclare Richard Stammers. “C’était pour lui un moyen de s’assurer du réalisme du film, notamment pour les scènes avec les créatures. Il estimait que les acteurs donneraient le meilleur d’eux-mêmes s’ils avaient quelque chose de tangible face à eux sur le plateau. C’est seulement lorsqu’il n’arrivait pas à obtenir ce qu’il voulait qu’on passait à la 3D. Dans le cas du Space Jockey, il fallait qu’on le voie surgir du niveau inférieur, se déployer, puis se configurer automatiquement autour du pilote. C’était bien plus simple à réaliser par ordinateur. Nous avons donc scanné par LIDAR le pilote et le télescope, ainsi que le décor entier. Pour les textures, nous nous sommes servis de photos à haute résolution. C’est Weta qui s’est chargé de cette séquence.”

Le studio néo-zélandais s’est également occupé de la plupart des effets d’animation de créatures. Une grande partie des plans a été réalisée à l’aide de maquillages et de marionnettes télécommandées, mais le numérique était constamment utilisé pour retoucher certains détails des créatures, effacer les câbles de commande, gommer les techniciens qui animaient parfois à l’aide de tiges. Dans de nombreux plans, l’action était répétée à l’aide d’une marionnette, puis filmée sans créature dans le décor, afin que la version 3D puisse être animée. Dans les scènes finales, l’interaction physique entre les acteurs et la créature numérique représente un nouveau sommet du genre.

Après cette expérience, son grand retour à la science-fiction depuis trente ans, Ridley Scott semble avoir pris goût à l’idée de revisiter ses propres classiques. Il s’est aujourd’hui attelé à un projet tout aussi ambitieux : donner une suite à son légendaire Blade Runner (1982)…

ALAIN BIELIK, Mai 2012
(Commentaires additionnels et  visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 20 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.