Rango

Le premier film d’animation d’ILM et Gore Verbinski: un western bien crasseux, façon Sergio Leone !

Soyons clair : ce film défie les genres… Gore Verbinski, réalisateur de la trilogie Pirates des Caraïbes, a voulu revisiter le genre du western spaghetti de manière totalement originale. En en faisant un film d’animation avec les animaux du désert pour héros. Et en en confiant la fabrication à ILM jusque-là spécialisé dans les VFX…

Pari réussi : la qualité visuelle de Rango saute aux yeux. Pas de 3D proprette ici : reptiles et rongeurs sont crasseux à souhait, les maisons branlantes sont envahies par la poussière, chevauchées et scènes de duel se succèdent sous un soleil de plomb. Rango est fidèle au look et à l’esprit de Sergio Leone.

En première approche, l’histoire est très classique : le caméléon Rango, interprété en vo par Johnny Depp, est un animal de compagnie inoffensif qui échoue par accident dans le désert  et fait semblant d’être un dur pour en imposer aux habitants d’un village en cruel manque d’eau. Quête de soi, bataille autour de l’eau sont des thèmes classiques dans les films. Mais Gore Verbinski et son équipe y ont rajouté quelques ingrédients parfois déroutants : un humour tirant sur l’absurde et des scènes carrément surréalistes. Les rêves de Rango, héros malgré lui, se déroulent dans des paysages droit tirés de peintures de Dali, ou lui font rencontrer un Esprit de l’Ouest réincarné en Clint Eastwood tel qu’il était dans Le Bon, la Brute et le Truand

Pour en savoir plus, nous avons interviewé le réalisateur Gore Verbinski lors de son passage à Paris , ainsi que les deux principaux responsables d’ILM sur Rango, Tim Alexander, Superviseur effets visuels, et Hal Hickel, Directeur de l’animation (ndlr : pour voir leur parcours, cliquer sur leur photo ci-contre en début de galerie)

Interview de Gore Verbinski, Réalisateur

Pixelcreation : Après la série des Pirates de Caraïbes, pourquoi passer à l’animation ? Avec là-dedans un thème écologiste et des moments surréalistes ?
Gore Verbinski : J’ai toujours été un fan d’animation, et dès 2003, j’avais essayé de financer un western sur le thème de la recherche d’identité. Il y a 3 ans et demi, je m’y suis remis avec cinq artistes pour écrire l’histoire, développer les personnages et le look du film dans un esprit western. Le thème écologique, économiser l’eau, est secondaire et vient de l’histoire : la plupart des westerns modernes utilisent l’eau dans leur intrigue. Le thème principal de Rango est plutôt que le progrès est inévitable. Avec des éléments que nous avons rajoutés au cours des 16 mois de développement du film : le héros qui discute le rôle d’un héros, les mariachis qui commentent l’histoire, etc. Et les passages surréalistes, comme l’Esprit de l’Ouest, procèdent d’une logique de rêve éveillé, pour ne pas rendre les choses ordinaires. Je voulais qu’on aille plus loin dans l’humour et la loufoquerie, que ce soit plus délirant.

Pixelcreation : Pourquoi choisir des reptiles comme principaux personnages ?
Gore Verbinski : Le personnage principal, Rango,  est un caméléon parce que cet animal est un acteur, ce qui est au cœur de la psychologie de ce personnage. Tous les personnages sont  des animaux  de l’Ouest : reptiles, rongeurs ou oiseaux. Nous avons fait en sorte que ces personnages n’aient pas l’air juste créés pour cette histoire, ils ont leur histoire propre qu’on voit à des détails : un lapin avec une seule oreille, etc. Ils ne sont pas mignons et proprets, nous les avons voulus d’un style réaliste, comme dans les westerns de Sergio Leone, et attachants par leur personnalité. Les personnages sont aussi dessinés de façon asymétrique, comme Rango, parce que la symétrie c’est ennuyeux.

Pixelcreation : Est-ce  ILM qui vous a approché pour faire un film d’animation, ou au contraire vous-même ?
Gore Verbinski : J’ai apporté Rango à ILM : ils sont plus chers qu’un autre studio, mais cela valait le coût. Je voulais travailler avec une équipe de gens que je connaissais grâce à leur travail sur les VFX des Pirates des Caraïbes. Il fallait les faire évoluer de la conception d’un plan, comme pour des VFX, à la conception d’un film entier. J’ai été très spécifique avec eux. Nous avons dessiné chaque personnage de face, de côté et de l’arrière avant de l’apporter à ILM pour qu’ils le modélisent. Et j’ai dirigé leurs caméras comme pour un film live, en rajoutant des lens flare et des petits défauts de raccords pour que les plans n’aient pas l’air trop parfaits. Mon équipe et moi-même étions basés à Los Angeles, où nous avons tourné avec les acteurs les prises de vues servant de référence visuelle mais aussi émotionnelle pour les personnages, ce que j’appelle l’ « emotion capture ». ILM étant près de San Francisco, nous avons passé 4 à 5 heures par jour à se transmettre et discuter en vidéoconférence les « dailies » (ndlr : les images produites la veille par les animateurs), en commençant par le layout, les tests d’animation, etc.

Pixelcreation : Reviendrez-vous à l’animation après Rango ?
Gore Verbinski : Mon prochain projet est un film live, mais pourquoi pas ? Bien que j’y soie venu tard, l’animation est un art que j’apprécie beaucoup.


Interview de Hal Hickel, Directeur de l’animation, et de Tim Alexander, Superviseur effets visuels
Pixelcreation : Quand ILM et vous-mêmes vous êtes vous impliqués dans Rango ?
Hal Hickel : Gore Verbinski nous a appelés en août 2007, nous l’avons rencontré avec son équipe en février 2008 pour discuter planning, budget, etc. et nous avons commencé à modéliser en août 2008. Les voix ont été enregistrées en janvier 2009, et la phase d’animation proprement dite a duré de mars 2009 à novembre 2010. J’ai supervisé environ 50 animateurs sur ce projet.
Tim Alexander : J’étais en charge de tous les départements sauf l’Animation dirigée par Hal, en gros 280 personnes au pic de l’activité.

Pixelcreation : Quels départements sont intervenus sur Rango ?
Tim Alexander : D’abord l’Asset development pour modéliser, peindre les textures, développer les outils spécifiques nécessaires. Le Layout pour placer décors et caméras et cadrer la prise de vues. Environment a pris en charge les mattes pour les fonds (ciels, etc.). Creature development s’est occupé des simulations (vêtements, etc.) et du rigging  des personnages. Effects a créé fumée, poussière, etc. En fin de parcours, Lighting règle l’éclairage et fait le rendu, Compositing produit les images finales. Et j’ai oublié le département Rotopainting qui intervient sur certaines textures quand il ya problème.

Pixelcreation : Quel pipeline de production pour Rango ? Le même que pour les VFX ?
Hal Hickel : Nous avons utilisé notre organisation et nos outils habituels, mais avec quelques modifications. Par exemple, nous avons créé un département Layout. Dans un film live, on fait correspondre les mouvements de  caméra virtuelle avec ceux de la caméra live en « trackant » les images. Dans Rango, on part du storyboard et il nous a fallu être beaucoup plus créatifs pour le traduire en décors virtuels. Les problèmes de lumières sont aussi différents. Normalement, chaque plan a son éclairage propre selon ses besoins propres. Ici, l’éclairage est fixé pour toute une séquence, pas pour un seul plan, nous avons dû créer un système ad hoc pour gérer les lumières. L’éclairage est ainsi fixé pour chaque plan, mais l’animateur peut l’ajuster  si nécessaire pour son travail.

Pixelcreation : Les principaux challenges créatifs que vous avez rencontrés sur Rango ?
Hal Hickel : La relation avec le réalisateur Gore Verbinski est différente de celle d’un film live. C’est plus un partenariat, moins une relation de prestation de services comme pour les VFX. Nous sommes plus impliqués dans les aspects créatifs, c’est très gratifiant pour les gens impliqués. Par ailleurs, l’animation est plus basée sur les personnages, alors que les VFX sont généralement très liés à l’action. Les animateurs ont à fournir le jeu des personnages, même si c’est sous supervision de la réalisation. D’où beaucoup de discussions entre nous, mais pas besoin de formation spécifique, toute l’équipe était très enthousiaste là-dessus.
Tim Alexander : Sur l’éclairage aussi, on a eu plus de liberté créative. Pour les VFX d’un film live, la lumière est donnée avec par le plan tourné, il n’y a qu’à la reproduire. Ici, on regarde chaque plan pour déterminer le besoin en lumière. Et le look du film nous a demandé du travail. Les personnages sont sales, en sueur ; les décors sont en ruines comme dans un western de Sergio Leone. Mais les CG artistes à ILM sont habitués à rajouter du détail aux textures…
Les personnages sont aussi asymétriques, par exemple la tête de Rango est en forme de  trapèze. Il a donc fallu modéliser les deux moitiés des personnages au lieu de simplement dupliquer la première moitié. Et le cou de Rango est courbe, c’est aussi un choix créatif pour lui donner un aspect maladroit. Gore Verbinski  voulait que tous les personnages aient l’air étranges, et aussi organiques que possible, pas ce look plastique de la 3D.

Pixelcreation : Et sur le plan technique ?
Hal Hickel : La taille du projet : 1550 plans avec tout à créer dedans ! Dans les plans VFX, beaucoup de matériaux sont filmés live, pas dans Rango. Nous avons renforcé notre système de gestion pour suivre  tous les éléments et les placer dans les plans. Rango comporte aussi beaucoup de poils et de plumes, mais ce genre de difficultés est habituel. Il y a par contre beaucoup de personnages avec de la fourrure et des vêtements par-dessus, ce qui n’est pas facile à gérer.
Tim Alexander : Dans Rango, il y a 75 personnages qu’on voit de près et 40 à 50 personnages secondaires pour les scènes de foule, plus 800 accessoires. On a adapté des portions de notre pipeline pour être plus efficaces, et on a travaillé en termes de séquences plus qu’en termes de plans.
Tout dans Rango a été fait comme pour un film live. Le cadrage des caméras, jusqu’au langage que nous utilisions, par exemple « un objectif de 20mm serait OK pour cette scène. »  Et de même pour les lumières : nous avons éclairé les personnages en light bounce, avec un éclairage indirect depuis l’environnement, et des cartes pour réfléchir la lumière comme dans un studio.

Paul Schmitt, mars 2011

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