Rio

Après L’Age de glace, Carlos Saldanha nous emmène chez lui à Rio pour une comédie d’aventure en plumes et en couleurs.

Carlos Saldanha s’est révélé ces dernières années aux côtés de Chris Wedge en réalisant avec lui les 3 épisodes de L’Age de glace. Le succès mondial de cette saga a propulsé leur studio Blue Sky, filiale de la Fox, au premier rang des studios d’animation, à égalité avec Pixar et Dreamworks Animation. Il leur faut maintenant consolider ce succès en développant aussi d’autres « franchises », en clair d’autres histoires à succès qu’on peut décliner sur plusieurs films. Les deux premières tentatives, Robots(2005) et Horton (2008) n’ont pas été assez « successful » pour mériter une suite, voici donc Rio, une histoire où les aras (grands perroquets d'Amérique du Sud) tiennent la vedette .

Imaginée par Carlos Saldanha, lui-même natif de Rio, l’histoire fait penser à celle de Madagascar de Deamworks. L’ara Blu, comme le lion Alex, est un animal habitué aux humains, et quand il se retrouve contre son gré dans Rio et sa forêt originelle, il a du mal à trouver ses repères et à s’entendre avec ses semblables sauvages. Mais Carlos Saldanha insiste moins sur ces questions existentielles façon Woody Allen que Dreamworks pour qui le comique sociétal est une spécialité. Blue Sky a plutôt fait ses preuves dans l’humour absurde avec la série Age de Glace et l’écureuil Scrat, mais ici le comique est simplement un comique de situation. On est clairement dans une comédie sentimentale, et on sait dès le départ que Blu va trouver son âme sœur, et sa maîtresse Linda également, à la fin du film.

Le film Rio capitalise aussi sur l’image de la ville de Rio et de son carnaval pour offrir un maximum de chants et danses, plus que dans Madagascar, avec oiseaux tropicaux et singes remplaçant les lémurs. Une ambiance colorée et une reconstitution grandiose du carnaval qui sont sûres de séduire.

Notons aussi que, si l’animation des humains reste un point faible chez Blue Sky, l’animation des oiseaux est particulièrement soignée dans Rio. Pixelcreation a interrogé sur ces sujets Robert V. Cavaleri, Superviseur images de synthèse.

Pixelcreation.fr : Quels étaient les grands défis techniques de ce film ?
Robert Cavaleri : Le principal était lié au grand nombre d’oiseaux parmi les personnages. Les oiseaux posent toujours des problèmes assez complexes, d’une part au niveau du mouvement des ailes, et d’autre part, sur le plan de la simulation des plumes. Les ailes ont ceci de particulier qu’elles doivent se déployer sur une grande surface, mais se replier dans un très petit volume. C’est la combinaison des deux mouvements qui pose problème, surtout le fait de rendre cette animation naturelle. Pour ce qui est des plumes, leur création a été gérée par notre département simulation de fourrure. L’une des difficultés était de créer des plumes d’apparence réaliste, mais également capables de servir de « doigts » à l’occasion. Il a fallu intégrer cette fonction dans le rig dès le départ. Chaque plume possède entre 100 et 10.000 barbes qui doivent être créées de manière individuelle. Les chiffres deviennent vite considérables quand on sait que notre héros Blue, par exemple, possède environ 50.000 plumes. Il doit donc avoir au moins cinq millions de barbes individuelles sur le corps ! Nous avons mis au point un système qui faisait pousser automatiquement les plumes à partir de points prédéterminés sur la surface du corps.

Pixelcreation.fr : Quel type de rendu avez-vous utilisé ?
Robert Cavaleri : Tout le film a été réalisé en illumination globale. Nous avons beaucoup travaillé avec la radiosité, un phénomène qui génère une lumière très réaliste. Les seules exceptions étaient les scènes où l’action se déroule dans des espaces complètements ouverts, comme le ciel, par exemple. Tous les intérieurs ou les espaces confinés ont été éclairés par radiosité, y compris la jungle. Les personnages humains aussi ont beaucoup gagné en réalisme. Ils constituaient l’un de nos gros défis sur le film.

Pixelcreation.fr : Pourquoi ? Quel était le problème ?
Robert Cavaleri : Nous n’en avons quasiment jamais faits à Blue Sky ! Le seul de nos films qui comportait des personnages humains, c’était L’Âge de Glace, en 2002. Et encore, il s’agissait d’hommes préhistoriques, qui plus est avec un design très caricatural. Depuis, rien ! On est donc quasiment parti de zéro en la matière. Nous avons mis en place un pipeline de simulation des vêtements, ce dont nous ne disposions pas avant. Il a aussi fallu développer notre moteur de simulation de poils pour créer les cheveux. Jusqu’alors, cet outil était plutôt chargé de gérer les fourrures. Dans Rio, il fallait simuler des cheveux longs, gérer les collisions avec les épaules, etc. Et bien sûr, il y a eu un gros travail sur le rendu de la peau.

Pixelcreation.fr : Quels types de logiciels utilisez-vous à Blue Sky ?
Robert Cavaleri : L’animation est réalisée dans Maya et le compositing dans Nuke. Tout le reste, à commencer par le rendu, est traité par des logiciels développés en interne. Notre approche est assez particulière puisque nous évitons d’utiliser des textures maps. Nous travaillons de manière procédurale pour créer les matériaux. Les seuls texture maps du film concernent les panneaux et l’affichage, comme un logo sur un camion, par exemple. Pour le reste, tout est procédural. L’héroïne Linda ne comporte aucun matériau généré en texture map. Son apparence est définie par quelque 10.764 lignes de code ! Dans la scène du carnaval, chaque robe de danseuse du carnaval possède 24.409 paillettes, elles aussi créées et ajustées de manière procédurale.

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: Quel est l’intérêt de travailler de cette manière ?
Robert Cavaleri : L’approche procédurale offre beaucoup plus de flexibilité. Une fois que vous avez créé votre bibliothèque, vous pouvez aisément réutiliser les procédures. Il est facile de les ajuster, et depuis toutes ces années que nous travaillons sur ce procédé, nous avons acquis un grand degré de contrôle. À l’inverse, les texture maps peuvent devenir trop lourds, ou bien se désagréger lorsque la caméra s’approche trop près. Avec une approche procédurale, le matériau s’ajuste automatiquement en fonction de sa distance par rapport à la caméra.

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: Comment la scène du carnaval a-t-elle été réalisée ?
Robert Cavaleri : Nous avons procédé par étape, du plus grand au plus petit. D’abord, nous avons créé l’environnement, puis la foule sur les gradins, et enfin les danseurs. Dans certains plans, il y a plus de 50.000 personnages à l’image. Pour optimiser les temps de rendu, nous avions un système qui « déconnectait » les personnages dès qu’ils sortaient du champ de la caméra. L’animation a été réalisée à partir de dizaines de cycles pré-établis. Il y avait une série de cycles pour le public, et une autre pour les danseurs. Ces derniers ont nécessité un gros travail d’animation par key frame, puisque chaque groupe de danseurs devait présenter un style de danse différent des autres. Ils ne faisaient pas tous la même chose. De char en char, on peut voir que la manière de danser change du tout au tout.

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: Vous avez également reconstitué toute la baie de Rio de Janeiro
Robert Cavaleri : Oui, un travail de modélisation monumental. Nous avons commencé par recréer les lignes générales de la ville et du paysage à partir d’informations topographiques recueillies sur Google. Ensuite, nous avons modélisé la ville, les favelas, les collines avec la jungle, ajouté l’océan, etc. Les bâtiments étaient à haute résolution au premier plan et de simples cubes à peine texturés à l’arrière-plan. Lorsque la caméra survolait la ville, les versions haute résolution étaient automatiquement substituées aux basse résolution. En préparant les plans, nous nous sommes rendu compte qu’il était impossible d’avoir tel et tel monument célèbre en même temps à l’image. La ville était tout simplement trop vaste. Pour que l’environnement corresponde aux besoins du scénario, nous avons pris la liberté de « resserrer » la baie de Rio afin que tous ces sites reconnaissables puissent figurent à l’image simultanément. Ce n’est donc pas une reproduction du vrai Rio qu’on voit dans le film, mais notre interprétation.

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: Combien de temps a duré la production ?
Robert Cavaleri : Il y a eu environ 18 mois de préparation, puis autant de production. L’équipe comportait un peu moins de 400 personnes, dont une soixantaine d’animateurs. À l’arrivée, je suis vraiment très satisfait de ce que nous avons accompli sur ce film. Il représente de grandes avancées technologiques pour Blue Sky. Et puis, je trouve que le style visuel du film est une vraie réussite. Les images tranchent nettement avec tout ce que nous avions pu faire auparavant.

Alain Bielik (interview Robert Cavalieri) & Paul Schmitt, avril 2011
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 20 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.