The Martian

Ridley Scott revient en grande forme et nous fait voyager sur Mars avec un réalisme inégalé grâce aux studios MPC et Framestore.

À Hollywood, les studios raffolent des films dont le concept tient en quelques mots. On imagine la réunion au cours de laquelle Ridley Scott a présenté le projet à la 20th Century Fox : “C’est la même chose que Seul au monde avec Tom Hanks, mais sur Mars !” Car l’histoire raconte la lutte pour survivre de Mark Watney (l’acteur Matt Damon), un astronaute qui se retrouve seul sur Mars quand son équipage quitte précipitamment la planète à cause d’une énorme tempête. Un synopsis très simple, en effet. Et on comprend que le studio ait tout de suite accroché – tout comme le public d’ailleurs, puisque Seul sur Mars est d’ores et déjà le plus gros succès commercial de la carrière du cinéaste.

En s’attaquant à cette adaptation du best-seller d’Andy Weir, Ridley Scott savait qu’il devrait recréer trois environnements particuliers : la Terre dans un futur proche, le vaisseau spatial, et la planète Mars. Comme pour ses films précédents, il a fait appel à Richard Stammers de MPC pour superviser les effets visuels. Les deux hommes collaborent depuis Robin des Bois en 2010. « Il y a environ 1100 plans à effets visuels dans Seul sur Mars, explique Stammers. Je les ai répartis entre trois prestataires principaux : MPC (420 plans) pour les environnement martiens, Framestore (385 plans) pour les plans dans l’espace, et The Senate (185 plans) pour la Terre du futur. Les délais étaient très serrés : à peine 24 semaines de post-production, alors que nous en avions eu 34 pour Prometheus. »

De la SF réaliste
Seul sur Mars, c’est de la « science fact », c’est-à-dire que tout est basé sur la réalité : le vaisseau, l’habitat sur Mars, les véhicules, les scaphandres, etc. Seule la méga-tempête du début est irréaliste à cause de la faible atmosphère martienne, égale à un centième de l’atmosphère terrestre.

« Sur le plan visuel, c’était bien plus simple à gérer que Prometheus car nous avions des tonnes de références dans tous les domaines. Par exemple, pour les plans de paysages martiens, nous savions exactement à quoi ils devaient ressembler car nous avions les images réelles comme modèles. De même, la conception du vaisseau Hermès, qui fait la navette entre la Terre et Mars, repose sur la technologie modulaire de la Station Spatiale Internationale. On y retrouve aussi les mêmes panneaux solaires. Toutes ces références réelles nous ont fait gagner un temps fou. Sur Prometheus, il avait fallu tout inventer. »

Pour les scènes dans l’espace, le choix de Framestore s’est imposé comme une évidence. Le studio londonien a remporté l’Oscar des meilleurs effets visuels pour Gravity, un film dont l’approche était identique à celle de Seul sur Mars : des images hyperréalistes avec une lumière crue unidirectionnelle, par opposition aux images fantaisistes des Star Wars et autres Star Trek où la lumière vient de plusieurs directions à la fois « pour faire joli ». « Les plans serrés sur le personnage dans l’espace ont été filmés sur fond vert ou noir avec un décor représentant une petite partie de l’extérieur du vaisseau, précise Stammers. L’acteur était suspendu à un système de câbles pilotés par ordinateur qui permettaient de simuler l’état d’apesanteur. Il portait en outre un harnais en forme d’anneau autour de la taille grâce auquel nous pouvions le faire tourner sur lui-même. Dans les plans larges, il s’agit d’une doublure entièrement numérique évoluant dans un environnement lui aussi virtuel. Une approche qui avait très bien fonctionné sur Gravity. » Il est vrai que le scaphandre permet de faire passer bien des choses en masquant le visage du personnage et en limitant sa mobilité.

Quel look pour Mars ?
De son côté, MPC s’est concentrée sur la création des environnements martiens. L’équipe a commencé par analyser toutes les photographies existantes sur la surface de la planète rouge. Le premier constat a été qu’il était impossible d’en tirer une conclusion absolue sur la couleur du sable ou celle du ciel : chaque photographie présentait des tons différents ! « À cause du matériel de prise de vues, de l’objectif, de la lumière, etc., ces photos montraient toutes une version différente de Mars ! Impossible de savoir laquelle était la bonne… Notre première mission a donc consisté à faire le tri là-dedans et à déterminer quelles couleurs allaient être celles du film. Le choix s’est fait naturellement le jour où nous avons trouvé des photos qui correspondaient exactement au site de tournage que nous avions choisi : la vallée de Wadi Rum en Jordanie. À part la couleur du ciel, tout correspondait : le sable, la roche, etc. Nous avons donc décidé que ces photos particulières fourniraient la base du look de Mars dans le film, notamment sur le plan des couleurs. »

Les extérieurs martiens ont été tournés dans deux sites différents. Le premier se situait en Jordanie, dans une vallée qui servait de cadre à la base martienne. C’est là qu’ont été filmés – pendant deux semaines – tous les plans larges sur la base avec le paysage martien autour, et ceux des différents voyages du Rover. L’équipe de MPC en a profité pour enregistrer le paysage en HDR à 360° à des heures différentes de la journée. Ensuite, le décor de la base a été reconstitué à l’identique sur un plateau de tournage en studio à Budapest en Hongrie. Ce décor a permis de filmer le reste des plans martiens dans de bien meilleures conditions que ce qui pouvait être fait dans le désert jordanien.

En postproduction, MPC a prolongé le décor de studio en ajoutant le paysage jordanien à l’arrière-plan. Au cours de cette opération, le but n’était pas de faire ressembler le composite final à Mars, mais seulement aux images du vrai désert. “Il fallait que les plans de studio soient absolument identiques à ceux de Jordanie, qu’on ne voit pas la différence lorsqu’on passait de l’un à l’autre. Nous savions que si nous parvenions à faire passer nos images de studio pour des prises de vues dans le désert jordanien, alors nous pouvions les faire passer pour Mars !”

Transformer la Jordanie en Planète Rouge
Une fois le décor de studio transformé en paysage jordanien photoréaliste, l’équipe s’est attachée à retoucher tous les plans, ceux de studio et ceux de Jordanie, afin de leur donner la touche martienne indispensable. Pour commencer, il a fallu effacer de l’image tous les buissons, il y en avait des centaines à Wadi Rum. Ensuite, MPC a ajouté des rochers supplémentaires, des cratères de tailles diverses, des tourbillons de poussière animés en 3D, ainsi que des montagnes au loin. Une fois l’environnement modifié, il était re-projeté sur la géométrie du paysage original, puis intégré à l’arrière-plan des prises de vues.

Les changements sur le paysage n’étaient pas tout ; restait encore à effectuer la modification la plus importante, mais aussi la plus délicate : changer la couleur du ciel. En effet, le ciel de Mars n’est pas bleu, et c’est là la principale différence avec un paysage terrestre. Compte tenu des délais, il était impensable de devoir détourer à la main chaque élément de décor dans des centaines de plans. Il fallait une approche globale qui permette de « dé-bleuir » le ciel en un seul clic, mais aussi les ombres et la brume atmosphérique… sans toucher au reste de l’image. Un défi considérable auquel s’est attaqué le département R&D de MPC. La solution ? Un algorithme de filtrage couleurs intégré dans Nuke et baptisé « Earth to Mars ». Chaque pixel bleu a été repéré et changé en une couleur différente définie par le graphiste. Le changement restait modifiable jusqu’au composite final. “Cet outil s’est avéré tellement efficace que nous l’avons étendu à la couleur verte pour une autre application : l’effacement des reflets du fond vert sur le décor de studio – un processus en général très fastidieux. Ça a fonctionné à merveille !”

Mars en 3D relief
De tels paysages méritent bien sûr un rendu en relief. Les scènes tournées en studio l’ont été directement en 3D relief, ce qui n’a pas été toujours possible pour les scènes tournées en extérieur dans le Wadi Rum de Jordanie. 20th Century Fox a donc fait appel au spécialiste Prime Focus World (PFW) pour la conversion en 3D de 15 minutes du film, effectuée à l'aide de leur workflow, composé du logiciel propriétaire View-D pour convertir 2D en 3D,  et du logiciel de compositing Fusion Studio de Blackmagic Design.

Ayant déjà réalisé la conversion en 3D du film Gravity, l'équipe de PFW n'en était pas à son premier projet de science-fiction. L'équipe a dû convertir plus de 200 plans de Seul sur Mars en 3D, en veillant à bien souligner le sentiment de solitude du personnage principal. Elle a également dû les harmoniser avec le reste des séquences en relief du film, qui avaient été tournées en 3D native sur le plateau.

 « Le stéréographe Gareth Daley et l'équipe ont établi le rendu 3D natif sur le plateau pendant le tournage du film, dont la plupart des séquences ont été capturées en relief, explique Richard Baker, responsable de la 3D chez Prime Focus World. Ainsi, lorsque nous avons reçu les plans que nous devions convertir, notamment les séquences de paysages tournées en hélicoptère qui n'avaient pas pu être capturées en stéréo native, nous avions une référence et nous avons pu harmoniser nos conversions avec le reste du film. »

Afin d’assurer la cohérence de l’ensemble, l'équipe de PFW a créé des effets de perspective pour créer une profondeur d’image plus vraisemblable. « Nous avons obtenu un rendu dans lequel l'arrière-plan, notamment les collines au loin, était constitué de multiples couches qui donnaient l'impression que les collines étaient situées à des dizaines de kilomètres les unes des autres, ajoute Baker. Nous voulions également donner l'impression que le personnage principal était seul sur cette planète et avons manipulé la profondeur pour donner l'illusion qu'il était entouré d'un monde gigantesque. »

Comme pour le film Gravity, les techniciens de chez PFW ont dû convertir les casques des combinaisons spatiales, des éléments dont l’extraction de la profondeur aurait été difficile à cause de la réflexion et de la réfraction. En utilisant le visage et le casque en géométrie 3D fournis par la production, l'équipe londonienne de PFW a suivi le mouvement des scans du personnage sur les séquences originales. Elle a ensuite produit une carte de profondeur qui, associée à la rotoscopie, a été convertie en 3D par View-D.

Un des défis principaux pour créer le monde en relief de Seul sur Mars a été résolu grâce à Fusion Studio. En effet, le logiciel a permis d'automatiser les outils du workflow View-D qui étaient utilisés pour retravailler les plans réalisés par PFW. « Pour créer l’esthétique du film, Ridley a considérablement augmenté la netteté des séquences après le tournage, lors du Digital Intermediate, explique Baker. Cette amélioration de la netteté a eu des conséquences sur le contour des objets lors de la conversion. En général, ces problèmes ne se remarquent pas sur les séquences originales, mais ils deviennent visibles sur les séquences retouchées. Pour y remédier, nous recevions les plans de nos techniciens en format EXR et nous y appliquions nos scripts Fusion pour réaliser un nouvel étalonnage et les rendre plus nets. Je pouvais ainsi comparer les séquences originales fournies par le client avec les séquences nettes et étalonnées du studio et identifier les contours à retravailler. »

Malgré le bon accueil critique du film et son succès planétaire, aussi bien PFW que Richard Stammers et son équipe VFX n’auront pas le temps de se reposer sur leurs lauriers. Ils sont déjà à pied d’œuvre sur le prochain film de Ridley Scott, un certain… Alien – Paradise Lost !

Alain BIELIK, Octobre 2015
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 24 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.


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