James Bond

Le 23e James Bond est le plus gros film à effets spéciaux de toute la saga. Mais les producteurs ont eu le bon goût de privilégier des effets invisibles, si bien que la majeure partie de ce travail passe inaperçue à l'écran – pour le plus grand bien du film.

Depuis le début, la saga James Bond fonctionne par cycles. Quel que soit l’acteur, chacun de ces cycles démarre par un film très réaliste, avec des scènes d'action basées sur des prises de vues réelles : Dr No, Au service secret de Sa Majesté, Rien que pour vos yeux, GoldenEye, Casino Royale. Puis, de film en film, surenchère oblige, les effets spéciaux prennent de plus en plus d'importance. Le cycle se termine en général par une overdose technologique qui a tendance à écraser le film : On ne vit que deux fois, Moonraker… Le sommet en la matière a été atteint avec Meurs un autre jour (2002) dans lequel les scénaristes ont trouvé le moyen de cumuler une Aston Martin invisible, une armure façon Iron Man, une machine à rêves, une voiture supersonique et un rayon destructeur venu de l'espace. Un peu beaucoup pour un seul film… Le grand public a applaudi des deux mains, les fans, eux, se sont pincés le nez, tout comme les critiques.

Cette fois, les producteurs semblent avoir compris la leçon. Le style réaliste instauré par Martin Campbell sur Casino Royale a servi de modèle pour les deux films suivants, Quantum of Solace et, aujourd’hui, Skyfall. Ce modèle, c'est celui des effets spéciaux « invisibles ». Ces films comportent des centaines d'effets visuels, mais les spectateurs seraient bien en peine d’en détecter plus d’une dizaine à l'écran. Leur but est de servir l'action, et non pas de s'y substituer. Lors du tournage, priorité est donnée aux images réelles, aux cascades physiques, et aux effets pyrotechniques et mécaniques. Les effets visuels sont seulement là pour rendre ces actions techniquement et humainement possibles. Plus question de voir un James Bond pixellisé surfant sur un tsunami au look atrocement artificiel (Meurs un autre jour)…

Cette approche réaliste n'a pas empêché la saga de subir une augmentation exponentielle du nombre de plans à effets visuels : 580 dans Casino Royale, 850 dans Quantum of Solace… et 1200 pour Skyfall ! C’est le record absolu pour un James Bond. Bien que quasiment un plan sur deux soit un effet visuel dans le film, il fallait absolument que cela ne se voie pas à l'écran. Et de fait, rien n'indique dans le style du film qu’il ait subi une telle proportion de retouches numériques. Un gros défi pour les équipes de Double Negative, Moving Picture Company, Peerless Camera et Cinesite, principaux prestataires VFX du film.
Leur travail s’est axé sur deux grandes catégories de plans. Une bonne moitié des effets visuels faisait intervenir des effets réellement « créatifs », c'est-à-dire qui ajoutaient quelque chose à l'image ; l'autre moitié était constituée de trucages purement « cosmétiques » : effacement de câbles, de dispositifs de sécurité, de supports divers, retouches d’image, etc.

Effets visuels: low tech / high tech
Cheville ouvrière de cette nouvelle approche des effets visuels, Steve Begg a supervisé Casino Royale et Skyfall. On lui doit aussi les effets hyperréalistes de Batman Begins. Son credo : baser les effets sur les images réelles autant que possible, quitte à recourir à des miniatures le cas échéant ; les images de synthèse ne sont utilisées qu’en dernier recours, lorsqu’aucune technique de prises de vues réelles ne fonctionne. “Dans Skyfall, il y a d'un côté les effets habituels qu'on retrouve dans tous les James Bond, notamment tout ce qui concerne les véhicules, les poursuites, les cascades, les moniteurs informatiques high tech du MI6, etc.” explique Begg. “De l'autre, il y a des effets complètement originaux, comme la scène avec le dragon de Komodo. L’animal a été réalisé en images de synthèse par Cinesite, et il s'agissait d'un sacré défi car les effets d’animation de personnage sont extrêmement rares dans la saga. Il fallait que l'animal soit 100 % réaliste, qu’on ne doute pas de sa présence dans le décor. Sur le plateau, il était représenté par un homme habillé de vert se déplaçant à quatre pattes ou bien par un simple point de repère sur un bâton. Pour le plan où un personnage se fait mordre, nous avons tiré sur sa jambe à l'aide d'un fil pour générer un effet interactif.”
Le film démarre très fort avec une scène d'action sur le toit d'un train. Les plans larges ont été filmés sur un vrai train en marche avec des cascadeurs, et pour les plans serrés, avec Daniel Craig et son partenaire. Les comédiens étaient attachés au toit par un câble de sécurité qu'il a fallu effacer dans chaque image. “Le plan où les deux personnages plongent à plat ventre à la dernière seconde pour entrer dans un tunnel a été tourné sans trucage, il s'agit d'une cascade filmée en direct !” s’exclame Begg, admiratif.
 

 “Pour la chute de James Bond depuis le pont, nous avons utilisé une combinaison de plusieurs techniques. D'abord, Daniel Craig a été filmé en train de chuter en studio d’une hauteur de quatre mètres environ. Puis, nous avons fait la même chose avec un cascadeur qui tombait depuis le vrai pont. Il s'agissait d'une chute contrôlée de plusieurs dizaines de mètres avec un système de freinage automatique pour le ralentir à la fin. Les deux plans ont été combinés par un morphing entre Daniel Craig et le cascadeur. Par chance, il y avait une image où ils avaient tous les deux quasiment la même position, ce qui nous a permis d'effectuer une transition indétectable. L'illusion a été renforcée par l'incrustation du visage de Daniel sur celui de sa doublure. Enfin, la chute du cascadeur a été prolongée par un James Bond virtuel animé en 3D. Les trois techniques s'enchaînent sans que cela ne se voie à l'écran.” L'effet de remplacement de visage sera utilisé dans de nombreux autres plans du film, notamment dans les scènes impliquant la conduite d'un véhicule, comme la poursuite à moto sans casque. Double Negative s'est chargé de cette partie du projet, un effet toujours délicat à rendre parfaitement réaliste.

Dans la partie la plus impressionnante de la séquence d’ouverture, James Bond se fraie un chemin sur un wagon à l’aide d'une excavatrice de chantier. Il éjecte une par une les voitures entreposées devant lui et arrache l'arrière d'un wagon en utilisant la pelle mécanique comme un ouvre-boîte… Une scène d'anthologie appelée à entrer dans les annales de la saga. Si les images ont autant d'impact, c’est qu’elles sont parfaitement réelles. L'action a été filmée avec une vraie excavatrice sur un train en marche. L'arrière du wagon avait été découpé et remplacé par une réplique allégée que la pelle pouvait déchiqueter facilement.

Le crash du métro londonien en taille réelle
Skyfall comporte d’autres scènes de destruction à grande échelle, notamment le spectaculaire déraillement d'une rame de métro au travers de plusieurs murs. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l'action a été filmée en taille réelle, avec des effets visuels réduits au minimum. Le superviseur des effets de plateau Chris Corbould a fabriqué deux répliques de wagons qu'il a installées sous un rail aérien dans le plateau géant des studios de Pinewood, près de Londres. En bout de course, le rail plongeait vers un décor construit en contrebas, propulsant la rame de métro au travers des murs. “Il s'agissait à la base d'un effet réel qui était retravaillé par ordinateur,” précise Begg. “L’équipe de Chris a fabriqué les deux premiers wagons, et le reste du train a été créé par ordinateur. De la même façon, le décor réel a été prolongé en numérique sur une bonne centaine de mètres. Nous sommes intervenus pour effacer les supports au-dessus du train et pour gommer la tranchée par laquelle ils passaient dans le plafond. Enfin, nous avons ajouté le conducteur dans sa cabine à l’avant du train. Pour le plan où l'on voit le métro se précipiter sur Daniel Craig au premier plan, nous avons simplement utilisé un puissant téléobjectif. La caméra était placée loin de l'action, et la focale utilisée avait la particularité de compresser les distances. À l'écran, on a l'impression que le train est quasiment sur Daniel, alors qu'en réalité, il se trouvait à plusieurs mètres. C'est un vieux truc, mais il fonctionne toujours aussi bien !”

Steve Begg n'hésite pas à utiliser des techniques traditionnelles, surtout lorsqu'elles peuvent être améliorées par des ajouts numériques. Ainsi, à l’heure où les fonds verts sont devenus la norme, il opte pour le principe du bon vieux Translight, autrement dit, de la transparence. Il s’agit de l’agrandissement à très grand format d'une photographie (ou d'un matte-painting) puissamment éclairé par derrière. Dans le film, le panorama de Londres que l'on observe derrière les fenêtres du bureau de M était un Translight de 30 mètres de long. Vu depuis l'intérieur du décor, au travers du filtre naturel formé par les fenêtres, ce panorama était parfaitement réaliste. “Pour rendre le tout encore plus crédible, nous avons ajouté en postproduction des petites animations très discrètes : un ou deux avions dans le ciel, des panneaux publicitaires animés, des piétons sur le pont, quelques voitures dans les rues, etc.

 Le même principe a été utilisé pour la scène de nuit où Bond surveille un personnage situé dans l'immeuble d'en face, à Shanghai. L'action a été filmée en studio avec Daniel Craig dans un décor au premier plan, et plusieurs étages de l’autre immeuble reconstitués à quelques dizaines de mètres de distance. À l'arrière plan, on avait placé un énorme Translight montrant Shanghai tout illuminé. Là aussi, des petites animations permettaient de donner vie au décor. À l'écran, l'illusion est parfaite.”

Explosion du QG du MI6 : une approche hybride
Pour la scène de l'explosion de l’immeuble des services secrets britanniques, Steve Begg a opté pour une combinaison d’effets miniatures et de numérique. L’équipe de Chris Corbould a fabriqué une maquette de l’étage supérieur, avec le bureau de M, à l’échelle ¼. Puis, le reste de l’immeuble a été construit sous la forme de blocs verts afin que les flammes et les débris réagissent à l’environnement. Ensuite, Peerless Camera s’est chargé d'intégrer cette explosion dans une prise de vues du vrai bâtiment. Une fois les deux images combinées, l'explosion épousait parfaitement les contours de l'immeuble réel.

Même approche hybride pour la séquence à la fin du film  où un hélicoptère s'écrase sur Skyfall, le manoir familial des Bond. Le bâtiment et l'engin ont été construits en miniature à l'échelle 1/3 et filmés à l’aide de plusieurs Arriflex Alexa, des caméras numériques qui peuvent monter jusqu'à 60 images par seconde. Afin d'avoir un contrôle parfait sur le crash, la maquette de l'hélicoptère était propulsée vers le manoir à partir d'un poteau qui glissait dans une tranchée aménagée dans le sol. “MPC a fait un très gros travail sur cette scène, des effets purement invisibles. Ils ont d'abord effacé la tranchée et le poteau, puis reconstitué la partie inférieure de la carlingue. Ils ont aussi ajouté les deux rotors en mouvement, ainsi que l'effet de souffle vertical. Enfin, l'explosion de la maison a été renforcée par l'incrustation de gerbes de flammes extraites de l'explosion du manoir grandeur nature, filmée séparément. Encore une fois, l’effet principal était créé en miniature avant d'être augmenté par des ajouts et retouches numériques.”

Les VFX au secours des SFX
À l'heure où les effets numériques sont devenus la solution de facilité pour beaucoup de cinéastes, Steve Begg prouve que, avec un peu de préparation, les bonnes vieilles techniques ont encore du bon. Elles permettent d'obtenir des images parfaitement réalistes directement à la prise de vue. “Les vieux procédés sont loin d’être obsolètes. Sur beaucoup de films, la scène dont on a parlé, avec la rame de métro qui fonce sur Daniel Craig, aurait été tournée sur fond vert, elle aurait été traitée comme un effet visuel. Alors qu'il y avait ce moyen très simple d'obtenir le plan en direct, sans dépenser un euro de plus. Même chose pour le bureau de M ou la scène de Shanghai. Je cherche toujours la technique la plus adaptée et la plus économique pour obtenir un plan. Ça peut être une maquette, mais ça peut aussi être une animation 3D, ou bien une combinaison des deux, ce qui est encore mieux. L'important est de connaître tout l'éventail des techniques disponibles afin de faire les bons choix. Aujourd'hui, beaucoup de gens ont tendance à se cantonner aux effets numériques et à la 3D, parce que c'est ce qu'ils connaissent. Pourtant, on peut obtenir d'excellents résultats avec des moyens bien plus simples, comme les maquettes par exemple. Qui pourrait dire que la maison qui s'enfonce à Venise dans Casino Royale est une miniature ? Ou que l'hélicoptère de Skyfall est une maquette ? Ce qu'il y a de très agréable avec les James Bond, c'est qu'on a l'occasion de faire appel à des techniques extrêmement variées, depuis des procédés qui sont presque aussi vieux que le cinéma, comme le Translight, jusqu'au fin du fin en matière d'animation 3D, comme avec le dragon de Komodo. Toute la difficulté consiste à ce que cela soit cohérent à l’écran…”

ALAIN BIELIK, octobre 2012
(Commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis plus de 20 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.


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