The Amazing Spider-Man 2

Alors qu’il affrontait un adversaire dans le premier film, l’homme araignée est cette fois opposé à… trois méchants. Une inflation qui a directement impacté les effets visuels.

Les grandes sagas cinématographiques ont ceci de pratique que l’équipe des effets visuels bénéficie des acquis technologiques du premier film pour réaliser le second, et ainsi de suite. En théorie, il suffit de faire une mise à jour technique sur les personnages et les environnements pour que le projet soit « prêt à tourner ». En théorie seulement. Car dans la pratique, ce n’est jamais aussi simple. La saga The Amazing Spider-Man est un vrai cas d’école en la matière. Les deux films ont été réalisés l’un à la suite de l’autre, l’équipe des effets visuels n’ayant eu que quelques semaines de battement entre les deux.
Au total, quatre ans de travail en continu depuis le démarrage du film original sous la houlette de Jerome Chen, superviseur senior des effets visuels pour Sony Pictures Imageworks, où il a déjà œuvré sur le premierThe Amazing Spider-Man (2012), et précédemment sur la Légende de Beowulf (2007) et Le Pôle Express de Robert Zemeckis.

Comme l’opus 2 a démarré presque tout de suite après le bouclage de l’opus 1, on aurait pu penser que les mêmes outils allaient être mis en œuvre et que tout était déjà prêt à l’usage, que ce soit Spider-Man ou les environnements. Après tout, aucune révolution technologique n’était survenue entre temps. Seuls restaient à créer les nouveaux méchants.

“On aurait bien aimé, mais non, ça ne s’est pas vraiment passé comme ça,” sourit Chen. “Déjà, il a fallu gérer le nouveau costume de Spider-Man. Sa tenue a changé entre les deux films et la nouvelle version est nettement moins moulante. Elle fait beaucoup plus de plis, et cela se voit à l'écran. Aussi, il a fallu intégrer dans notre pipeline une simulation de tissus (nCloth) pour chaque plan de vol du personnage ! C’était déjà un changement important par rapport à la version originale.

L’autre nouveauté, c’est que la majeure partie des scènes d’action se déroule en plein jour cette fois. Dans le premier film, Spider-Man sortait principalement de nuit. Du coup, les environnements que nous avions modélisés et texturés pour le film original ne fonctionnaient plus. La gamme de tons ne correspondait plus. Et puis, avec le soleil, tous les détails devenaient visibles, on voyait l'intérieur des bureaux et des appartements, les avenues se prolongeaient à l'infini, etc. L'image est infiniment plus riche cette fois, ce qui a fait monter de plusieurs crans la complexité des plans. Nous avons donc effectué un très gros travail de mise à jour sur les textures. Tous les shaders ont été refaits avec une résolution supérieure.”

Manque de chance, l’équipe n’a pas pu récupérer les éléments qui avaient été réalisés pour la trilogie originale Spider-Man de Sam Raimi. Dans ces trois films, il y avait déjà quantité de scènes où Spider-Man se déplaçait en plein jour. “On n’a rien pu récupérer parce qu’entre temps, nous avons changé notre pipeline de rendu !” révèle Chen. “Le rendu de la trilogie originale a été fait sur RenderMan, alors que nous sommes maintenant sur Arnold. Il fallait donc tout changer de toute façon ! Pour le reste, l’animation a été créée dans Maya, l’animation des effets visuels dans Houdini, et le compositing dans Nuke.”

Voltige dans Manhattan reconstitué en 3D

La réalisation des nouveaux environnements – les rues de Manhattan, principalement – a mobilisé toute l’équipe pendant plusieurs mois. Plus de 80 bâtiments de style différent ont été modélisés. Derrière chaque fenêtre se trouvait un appartement ou un bureau, entièrement décoré avec rideaux aux fenêtres et papier-peint aux murs. Ce degré de détail était rendu nécessaire par de nombreux plans où la lumière rasante illuminait les intérieurs. Et puis, il fallait tenir compte de la 3D stéréoscopique. On devait voir les décors intérieurs « bouger » en trois dimensions lors des mouvements de caméra derrière Spider-Man. Une simple projection n'aurait pas suffi.
Derrière ces bâtiments principaux en 3D se trouvaient plusieurs blocs de bâtiments constitués de projections sur des cartes. Cet environnement en 2D ½, bien plus simple à gérer côté rendu, était suffisant pour générer des effets de parallaxe lorsque la caméra était en mouvement. Le reste du panorama a été réalisé à l'aide d'un cyclorama photographique au niveau de l’horizon.

Depuis le premier film en 2001, le processus de création des plans de voltige de Spider-Man est bien établi. “On commence par déterminer son parcours dans le décor, c'est-à-dire les rues par lesquelles il va passer,” précise Chen. “Ensuite, on décide à quelle hauteur il va se trouver : parfois, il est au ras du sol, mais d’autres fois il monte très haut dans le ciel. À ce stade-là, Spider-Man n’est qu’une figurine immobile, c’est la dynamique du mouvement qui nous intéresse, l’énergie que projette le plan.
Une fois le parcours défini, on passe à l'animation du personnage avec tous les détails. Ensuite, on se consacre à l’environnement pour le rendre riche et vivant. On commence par ajouter le trafic automobile, lequel est entièrement animé à la main. Puis, on passe aux piétons en utilisant une combinaison de Massive et d'outils internes, l’animation est tirée de notre banque de données de motion capture. Enfin, on termine avec les effets atmosphériques ou liés à l'environnement : brume, jets de vapeur, etc. Bien entendu, dès qu’il s’agit d’une scène de combat, ça se complique énormément avec l’ajout de tous les effets de destruction : explosions, chutes de débris, éclats de verre, façades éventrées, accidents de voiture, panaches de fumée, flammes, etc., sans oublier les décharges électriques d’Electro. D’une manière générale, l'idée est d'habiller ce qui se voit à l’écran uniquement. On décore l’environnement pour la caméra et rien que pour la caméra. Tout ce qui reste hors cadre n’est pas travaillé, ceci pour limiter les temps de rendu.”

Times Square : la bataille contre Electro
La scène la plus complexe – et de loin – a été celle de Times Square. Etant donné qu’un tournage sur le site réel était impossible, la production a fabriqué une réplique du célèbre endroit sous la forme d’un énorme décor de 120 mètres de côté. Il reproduisait les façades de Times Square sur deux étages de haut, tandis que les perspectives étaient bouchées par des fonds verts. Imageworks a commencé par effectuer un scan au LIDAR du vrai Times Square, ce qui a fourni la base pour la modélisation du site. À partir de là, l’équipe a pu prolonger les avenues, ajouter les étages manquants, ainsi que la centaine d’écrans géants Jumbotron qui constituent la signature visuelle de Times Square.

“Ces écrans nous ont donné beaucoup de fil à retordre,” explique Chen. “D’abord, il fallait reproduire sur le décor réel l’effet de ces dizaines d’animations lumineuses. Times Square est en fait éclairé par ces écrans qui diffusent des publicités 24 heures sur 24. Pour créer cette illusion, nous avons installé dans le décor d’énormes blocs de LED qui généraient une lumière variable, saccadée, semblable à celle produite par les écrans publicitaires. Ça nous a donné dans le décor une ambiance lumineuse interactive semblable à celle du site réel. Ensuite, il a fallu reproduire le même effet sur nos environnements 3D, c’est-à-dire que les écrans publicitaires virtuels devaient éclairer la rue, les personnages, les véhicules, etc. Cela s’est avéré être d’une incroyable complexité, car la lumière des écrans adjacents se combinait… La séquence comporte environ 250 plans, mais nous y avons consacré plus d’un an de travail ! Dans certains plans, le rendu de la lumière en éclairage dynamique exigeait vingt heures de calcul… par image !”

La séquence met en scène Electro et sa maîtrise de l’électricité par la pensée. Le processus de design du personnage a duré plusieurs mois. L’idée était de donner l'impression d'une tempête électrique enfermée dans une enveloppe humaine. Pour ce faire, l’équipe s’est inspirée du look des orages où l’on voit des nuages illuminés de l’intérieur par les éclairs. “Nous avons effectué un tracking très précis sur Jamie Foxx,” raconte Chen, “puis ajouté des dizaines de couches d'animation 3D basées sur des phénomènes électriques très variés. Certains s’inspiraient des éclairs, d’autres de nébuleuses photographiées par la NASA, d’autres encore de… formations de corail, car il fallait lier le pouvoir d’Electro aux anguilles à l’origine du phénomène. Ces différentes animations fonctionnaient par cycles et se superposaient en se complétant. Nous voulions évoquer un système capillaire à base d’électricité. La grande difficulté était que tous les phénomènes devaient sembler survenir sous la peau – et non pas à l’extérieur. Il fallait les intégrer dans le visage, mais sans pour autant occulter le maquillage que Jamie portait. Le compositing était donc extrêmement subtil.”

Et encore des méchants : Rhino et le Bouffon Vert
Le deuxième méchant du film, c’est Rhino, un personnage qui se déplace dans une armure robotisée dont la forme rappelle celle d’un rhinocéros. Rien à voir avec le personnage tel qu’il est dépeint dans les comic books originaux : les dessinateurs le représentent comme un homme dont le physique s’inspire de celui de l’animal – guère crédible dans le cadre d’un long-métrage au style réaliste. En l’occurrence, l’armure était un compromis intéressant : le personnage était plus crédible et les fans découvraient quelque chose d’inédit. “Les scènes ont été filmées avec Paul Giamatti installé dans une structure qui reproduisait la silhouette de son armure robotique,” raconte Chen. “On la déplaçait dans la rue à l'aide de roulettes, elle comprenait plusieurs panneaux métalliques qui servaient de référence lumière. En post-production, la structure a été effacée de l'image et remplacée par le robot animé en 3D. Weta Digital et Blur Studios se sont chargés de ça.”

Dernier méchant opposé à Spider-Man, le Bouffon Vert a été complètement repensé par rapport à la version présentée dans le tout premier film de la saga en 2001. Une mission confiée à Richard Taylor et à son équipe de Weta Workshop : “Avec le réalisateur Mark Webb, il nous a semblé que le Bouffon Vert ne devait pas être trop fantastique, trop irréel. Nos premiers designs montraient un personnage au visage complètement déformé, plus conforme à son imagerie traditionnelle, mais par la suite, nous avons progressivement réduit le maquillage jusqu'à arriver à un point où l’on reconnaissait parfaitement l'acteur. Ce choix s'inscrit dans une tendance qui est très nette aujourd'hui dans les effets spéciaux. On ne peut plus proposer des designs comme on pouvait le faire il y a 15 ans. Le public moderne veut des personnages qui soient plus ancrés dans la réalité, et tous les derniers films de super héros s'inscrivent dans cette mouvance, à commencer par la trilogie Dark Night. Du coup, nous avons tout fait pour que le Bouffon Vert s'intègre parfaitement dans l'approche réaliste du film.”

Les plans serrés ont été filmés avec l’acteur sur fond vert, mais dans les plans larges, le personnage en vol est représenté par une doublure numérique animée en 3D. À cet effet, Imageworks a scanné à très haute résolution le costume fabriqué par Weta Workshop, ainsi que la machine volante. L’équipe a également scanné un moulage de la tête de l'acteur pour obtenir une modélisation parfaite du visage. Les shaders ont été obtenus à partir de photographies du comédien. Chaque plan d’animation était complété par une simulation de cheveux sur le personnage.

Toujours plus
Au final, ce projet s'est avéré être de bien plus grande ampleur que le précédent, pas seulement à cause de l'action qui se déroule en plein jour, mais aussi parce que cette fois il y avait pas moins de trois méchants. Chacun amenait son lot de défis techniques et artistiques. Autrement dit, les défis du film précédent… multipliés par trois. “Étant donné que nous partions avec les acquis du film précédent, nous pensions que ça serait un peu plus facile cette fois, au moins pour Spider-Man lui-même, mais comme d’habitude, il a fallu recommencer à zéro pour la majeure partie des éléments,” conclut Chen. “C’est comme pour les temps de rendu : les années passent, la technologie progresse à pas de géants, mais nous nous retrouvons toujours avec des temps de calcul vertigineux – tout simplement parce qu’on nous en demande toujours plus !”

ALAIN BIELIK, Avril 2014
(Commentaires visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 23 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.