la revanche

Plus nombreux, plus forts, plus destructeurs, les robots extraterrestres de Michael Bay sont de retour. Ils ont présenté le plus grand défi jamais relevé par Industrial Light and Magic. Car cette fois, ces créatures à la complexité exceptionnelle devaient être projetées sur les écrans géant IMAX. Un projet qui a fait – littéralement – fumer les processeurs de la firme…

Scott Farrar et son équipe d’ILM n’en sont toujours pas revenus. En 2007, le superviseur des effets visuels de Transformers est le grand favori pour l’Oscar des effets visuels. En face, Pirates des Caraïbes 3 propose des effets sensationnels, mais l’opus 2 a déjà décroché la statuette un an plus tôt. On voyait mal l’Académie récompenser une nouvelle fois la saga pour des effets en grande partie similaires. Quant à La Boussole d’Or, le film est un échec commercial aux Etats-Unis, et ses effets, bien que très réussis, ne proposent rien de vraiment inédit. En comparaison, les effets visuels de Transformers tiennent du jamais vu : des robots géants de 15 mètres de haut qui s’animent avec un réalisme étonnant et qui bénéficient d’une intégration à la perfection rarement égalée. Surtout, des scènes de transformation où un objet de tous les jours se déplie et se replie de mille façons afin de prendre sa forme réelle, celle d’un robot. Ces effets, d’une complexité technique et artistique sans précédent, n’ont pas convaincu les membres de l’Académie. Pour des raisons qui laissent les professionnels encore perplexes, l’Oscar est allé à La Boussole d’Or…

Deux ans plus tard, Scott Farrar espère bien que cette fois sera la bonne. D’autant plus que les effets visuels de Transformers 2 se sont avéré être infiniment plus compliqués que ceux du premier film. Comme souvent avec les suites de grosses productions à effets spéciaux, l’équipe s’est retrouvée à devoir créer beaucoup plus de plans, tous plus compliqués, dans les mêmes délais que pour l’original… Une escalade qui n’en finit pas de faire polémique à Hollywood, d’ailleurs. L’an dernier, le quotidien professionnel Variety a publié un article choc dans lequel les responsables des grandes sociétés d’effets spéciaux révélaient dans quelles conditions extrêmes ils étaient amenés à boucler les gros films de l’été : Pirates des Caraïbes 3 avait bien failli ne pas être fini à temps. ILM avouait que jamais ils n’étaient passés aussi près de la catastrophe que sur ce film ! La faute à des délais de postproduction sans cesse plus étriqués, jusqu’à atteindre les limites humaines et technologiques de ce qu’il est possible de faire.

Trois fois plus de robots, et en résolution IMAX
Transformers 2 fait partie de ces projets a priori impossibles. À partir de délais identiques à ceux du premier film, soit un an et demi, ILM devait créer et animer trois fois plus de robots, soit 46 au lieu de 14 ! Qui plus est, certains de ces robots devaient être créés à la résolution IMAX (6K ou 4K, au lieu de 2K de large), véritable test d’endurance pour les processeurs : le temps de rendu pour certains robots atteignait 72 heures par image. Trois jours pour une seule image de film !
Le projet est tellement énorme qu’ILM lui attribue la majeure partie de ses ressources humaines et technologiques. Au plus fort de la production, l’équipe comporte pas moins de 350 personnes, du jamais vu depuis l’époque des Star Wars. Côté technique, c’est encore plus impressionnant : le studio de George Lucas consacre jusqu’à 83% de sa capacité totale de rendu à ce projet. Tous les autres films en cours, et non des moindres (Terminator Renaissance, Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé, Star Trek, etc) doivent se débrouiller avec les 17% restants…
Et l’on parle là de la plus grande « render farm » du monde des effets spéciaux. Michael Bay a d’ailleurs plaisanté à ce sujet en affirmant que “Seul le Pentagone a une puissance de calcul supérieure”. La firme dispose en effet de 5700 processeurs dernier cri, auxquels viennent s’ajouter pendant la nuit les 2000 processeurs des stations de travail des employés. Sur ce total de 7700 processeurs, jusqu’à 6400 processeurs étaient affectés à Transformers 2…
Au niveau des données, les chiffres sont tout aussi éloquents : 20 téraoctets pour le premier film, 154 pour le second. Le film monopolisait le tiers des capacités de stockage du studio ! Jamais dans l’histoire récente d’ILM un projet n’avait autant monopolisé les ressources de la firme.
Il faut dire aussi que Michael Bay et ses auteurs ont vu grand, très grand. Les personnages sont toujours plus complexes, les transformations toujours plus élaborées. Un robot, en particulier, atteint les limites de la technologie actuelle. Le bien nommé Devastator est constitué de l’assemblage de sept robots différents, ce qui lui confère une taille et une puissance inégalées. Pour créer ce super robot, il faudra assembler pas moins de 80.000 pièces différentes représentant quelque 12 millions de polygones. À comparer aux 10.000 pièces d’Optimus Prime, le personnage le plus élaboré du film précédent. C’est le modèle 3D le plus complexe jamais fabriqué par ILM. En outre, il comporte plus de 6500 textures différentes, ce qui représente 32 Go de données. Le modèle du Devastator est tellement lourd que le simple fait de le charger dans Maya prend 45 minutes !
Une fois importé, impossible de gérer les sept robots en parallèle. Les processeurs ne suivent plus. Les animateurs sont obligés de traiter un robot à la fois, les autres étant désactivés. Une procédure longue et fastidieuse qui nécessite de fréquents retours en arrière car l’animation d’un robot influe sur celle des autres.
La modélisation d’un robot « normal » s’étale en général sur trois mois, puis est suivie de trois mois de rigging et de travail sur les textures. Quand on sait qu’il y avait une trentaine de nouveaux robots à créer, on comprend qu’ILM ait eu besoin d’une équipe record…

Animer les transformations des robots
L’animation de ces robots fait aussi l’objet de toutes les attentions. Michael Bay demande que les robots soient plus expressifs, ce qui amène ILM à intégrer des centaines de nouvelles pièces dans le visage des personnages, notamment au niveau des yeux. Il y a plus de détails dans un œil de Bumblebee que dans son bras entier ! Cela permet aux animateurs d’obtenir des expressions plus subtiles et plus variées. Parfois, les pièces sont ajoutées pendant le processus d’animation, lorsque l’animateur se rend compte qu’il manque de matière pour créer l’expression voulue.
Les plans les plus compliqués sont, bien sûr, ceux qui mettent en scène les transformations. Lors de la préparation du premier film, ILM avait pensé réaliser une transformation type pour chaque robot afin de la réutiliser à chaque fois, un peu comme un cycle de marche ou de course. Mais les animateurs se sont rendu compte que cela ne fonctionnait pas. Le problème, c’était qu’ils se retrouvaient avec des configurations peu esthétiques sous certains angles. Impossible de créer une transformation qui soit agréable à regarder sous tous les angles.
Une seule solution s’imposait : créer à chaque fois une transformation spécifique pour la caméra. L’animateur anime donc le modèle uniquement du point de vue de la caméra, il ne se préoccupe pas des parties cachées. Pour créer la transformation, il dispose de croquis réalisés par le département artistique d’ILM qui décomposent le processus en plusieurs étapes clés. Ensuite, il part du plus grand vers le plus petit. D’abord, les pièces les plus grosses, puis celles de taille intermédiaire, et ainsi de suite jusqu’aux boulons, écrous, câbles, etc.
Au fil de la transformation, l’animateur met souvent à jour des parties insuffisamment texturées – il est difficile de peindre à la perfection des dizaines de milliers de pièces sous tous leurs angles… Le modèle est alors renvoyé aux directeurs techniques qui retouchent les surfaces et ajoutent de la matière là où c’est nécessaire. Puis retour à l’animation.
Le cauchemar des animateurs, ce sont les plans de transformation dans lesquels la caméra tourne autour des robots. Là, pas de face cachée : le robot doit être parfait de tous les côtés à la fois. Des plans excessivement complexes puisque chaque décision d’animation sur un côté a des conséquences sur la configuration du robot vu de l’autre côté. L’animateur doit donc effectuer quantité d’allers et retours, retouchant sans cesse son travail jusqu’à obtenir un compromis dans lequel la transformation fonctionne tout au long du plan. De quoi mettre à rude épreuve la patience des animateurs les plus placides…

Simuller la destruction de la pyramide de Cheops
Les modeleurs et les animateurs ne sont pas les seuls à être très sollicités. L’équipe des effets d’animation est, elle aussi, confrontée à des défis considérables. Le film comporte ainsi une scène où Devastator détruit le sommet de la pyramide de Cheops, en Égypte. D’un coup de « patte », il fait voltiger plus de 120.000 blocs de pierre qui dévalent les parois du monument, avec force projection de débris et de poussière… L’effet est réalisé à l’aide d’une simulation de corps rigide, la plus complexe jamais élaborée par ILM. Cette simulation était tout simplement huit plus importante que celle qui détenait le précédent record dans la firme ! Et quand on ajoute à cet effet l’animation du Devastator lui-même, ainsi qu’un environnement complètement reconstitué en 3D, on obtient des images qui représentent sans doute ce qui peut se faire de plus complexe aujourd’hui. Sept mois de travail pour seulement cinq plans…
Défi supplémentaire, ces plans sont réalisés au format IMAX, c’est-à-dire à un format bien plus grand que celui du 35 mm traditionnel. Les images géantes IMAX sont scannées à 6K, puis les effets créés à 4K. ILM envisage pendant un moment de travailler avec une résolution de 5,6 K, comme Double Negative sur The Dark Knight, mais l’équipe se rend compte que cela ralentirait trop le processus, les modèles devenant ingérables. Les tests réalisés à 4K démontrent que la résolution est suffisante.
On pense souvent qu’une résolution de 4K est deux fois plus grande que le 2K, alors qu’il en est tout autrement. Le 4K nécessite en réalité des temps de rendu six fois supérieurs. Lors des scènes avec Devastator et la pyramide, les processeurs sont tellement sollicités que plusieurs unités partiront en fumée !

Le résultat est à la hauteur des efforts investis : à couper le souffle sur le plan visuel. Mais une fois de plus, les fans se désoleront de constater que Michael Bay n’a pas résisté à ses péchés mignons : des plans ultracourts et une caméra qui bouge dans tous les sens. À l’arrivée, impossible de faire la différence entre les robots. Qui sont les bons, qui sont les méchants ? Difficile à dire… Quant aux transformations animées à si grand peine, elles se déroulent si vite que le processus reste incompréhensible. Les apprentis animateurs devront attendre le futur DVD pour vraiment comprendre ce qui se passe à l’écran…Côté Box Office, le film est un immense succès aux US, avec presque $300 millions de recettes cumulées en moins de 2 semaines (dont $24 millions pour les salles IMAX) !

Alain Bielik – Juillet 2009
(Commentaires visuels: Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 18 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.