La Face cachée de la Lune

Plus de VFX bien sûr, mais aussi plus d’histoire et plus d’humour: Transformers 3 est bien meilleur que le film précédent de la saga !

NB: en fin de cet article, un making-of vidéo de la séquence où le commando d'hommes volants saute du toit d'un immeuble dans Chicago.

Certes, la règle des suites est respectée à la lettre : pour que les spectateurs reviennent, il faut leur donner la même chose, mais en plus grand. Dans Transformers 3, on a donc plus de tout : plus d’explosions, plus de personnages, plus d’action, et plus de combats homériques avec une bataille finale grandiose dans la ville de Chicago (tiens, pour une fois ce n’est pas New York ou Los Angeles qu’on détruit dans un film…).
Mais la première partie du film, sans combats ni VFX, donne aussi une dimension humaine et humoristique bien venue dans une saga Transformers  jusqu’ici peu subtile. Le réalisateur Michael Bay commence par refaire l’histoire de la conquête de l’espace dans les années 60, images d’époque à l’appui : la course à la Lune entre Américains et Soviétiques était en fait motivée uniquement par le désir de mettre la main les premiers sur un vaisseau Autobot écrasé sur la face cachée de la lune ! Tout bonnement excellent.
Et juste après on retrouve Sam Witwicky (Shia LaBeouf), héros qui a sauvé la Terre deux fois des Decepticons, en pleine déprime : chômeur, séparé des Autobots maintenant au service de la CIA, il ne survit qu’aux crochets de sa nouvelle compagne, la pulpeuse – surtout les lèvres – Carly Spencer (Rosie Huntington-Whiteley) . Heureusement, la nouvelle offensive des Decepticons pour subjuguer la Terre va lui permettre de reprendre du service…

Côté personnages, plusieurs nouveaux robots font leur apparition. En particulier le robot Colossus, « clou » de Transformers 3, dont la démesure est telle qu’on se demande bien s’il pourra être surpassé un jour. Cette créature de cauchemar se présente sous la forme d’un ver métallique géant capable de sectionner un gratte-ciel en le broyant de son corps. Il n’y a pas à dire : Michael Bay assure le spectacle comme personne, avec un usage intelligent de la stéréoscopie 3D pour donner de la profondeur et élargir le champ d’action. La dernière partie du film, la bataille dans Chicago ravagée par les Decepticons, est un véritable festival d’effets pyrotechniques, de VFX et d’animation 3D qui force l’admiration. Une prouesse où les studios ILM et Digital Domain (dont Michael Bay est actionnaire) jouent un rôle primordial.

Pixelcreation a rencontré le grand architecte de ce défi technologique, Scott Farrar, Superviseur des effets visuels pour Industrial Light and Magic. L’homme est rompu aux challenges que lui lance Michael Bay : il a signé les effets d’animation des trois Transformers.

Pixelcreation 
: Depuis six ans, vous semblez vous consacrer uniquement à la saga Transformers. Vous n’avez fait aucun autre film. Est-ce que vous travaillez vraiment deux ans chacun de ces films ?
Scott Farrar, Superviseur VFX : Non, c’est plutôt 20 mois. Le reste du temps a été consacré à l’analyse du projet précédent. Lorsqu’un film est terminé, on regarde ce qui a bien fonctionné, ce qui a moins bien marché, à quelque niveau que ce soit – logiciel, organisation, etc. – et on cherche ensemble comment on pourrait améliorer les choses. On fait ça sur chaque projet à ILM. Ce processus permanent nous permet d’optimiser sans arrêt nos techniques de travail. Quand Transformers 2 est arrivé, on savait exactement ce qu’on voulait faire progresser. Même chose pour le troisième film.

Pixelcreation : Et dans Transformers 3, sur quoi ont porté vos efforts ?
Scott Farrar : Pour Transformers 2, nous nous sommes efforcés d’améliorer le look des robots. L’animation avait bien fonctionné, en particulier les transformations, mais on voulait rendre les personnages encore plus réalistes sur le plan visuel. Pour ce faire, nous avons développé de nouveaux shaders (surfaces métalliques), ainsi qu’une nouvelle façon d’éclairer les objets 3D. Cette approche a été prolongée sur le troisième film où nous sommes passés à l’Image-Based Lighting [ndlr – technique d’illumination photoréaliste permettant d’éclairer des objets 3D à partir de la photographie d’un environnement]. Il faut bien comprendre que les robots sont comme des voitures : ils présentent des surfaces brillantes dans lesquelles l’environnement se reflète. Du coup, la manière dont les robots sont éclairés devient essentielle. Dans des films comme les Transformers, tout est dans la lumière !

Pixelcreation : Il s’agit de reproduire la lumière de la scène originale ?
Scott Farrar : Oui, mais pas seulement. On commence par reconstituer les conditions de lumière du tournage, puis on ajoute des lumières additionnelles. C’est comme sur un plateau de tournage en extérieur : vous avez la lumière naturelle qui vous donne votre éclairage de base, et ensuite, vous installez un système d’éclairage secondaire qui est destiné à mettre en valeur l’élément central de la scène. Dans l’ordinateur, on ajoute donc des projecteurs 3D, des panneaux réfléchissants, des panneaux occultants, etc., comme sur un « vrai » tournage. Je suis moi-même directeur de la photographie, et j’essaie depuis toujours d’inculquer cette notion d’éclairage additionnel à mes graphistes. Je leur fais comprendre qu’il n’y a pas de règle ! Si vous avez votre robot éclairé par le soleil à droite et qu’il a l’air moche, rien ne vous interdit de bloquer cette lumière solaire pour ajouter une lumière principale de l’autre côté. Tout est possible ! L’important est que les robots aient l’air réaliste et qu’ils soient plaisants à regarder.

Pixelcreation : Quelles sont les astuces que vous utilisez pour les rendre tellement crédibles à l’écran ?
Scott Farrar : Le plus important est de « vieillir » les robots autant que possible. On ajoute donc de la poussière, de la graisse, du sable, des éraflures, des décolorations, etc. tout ceci de manière subtile. C’est la combinaison de ces différentes couches de matière qui créent l’illusion d’un objet réel. Même si cela ne suffit pas toujours. Parfois, on récupère un plan où l’image est parfaite, le ciel est bleu, la lumière balaie le décor latéralement… on intègre le robot dans la scène… et ça ne marche pas du tout ! [Rires] Malgré tout le travail de texture sur les surfaces, le robot n’a pas l’air vrai. Pour rendre la scène crédible, nous sommes obligés d’ajouter des dizaines d’éléments dans l’image : des colonnes de fumée à l’arrière-plan, des reflets de flammes sur le robot, des papiers qui volent dans le décor, etc., autant d’éléments qui vont rendre la scène plus intéressante.

Pixelcreation : Comment procédez-vous pour enregistrer les environnements en Image-Based Lighting ?
Scott Farrar : On procède en plusieurs étapes. On filme le décor avec une sphère grise, puis une sphère chromée, ce qui est le processus standard. Puis, on filme également une plaque qui est peinte dans la couleur principale du robot de la scène. S’il y a plusieurs robots, on filme les plaques correspondantes. Cela nous permet d’avoir une référence très utile sur la manière dont la couleur va se comporter en fonction de la lumière. Je suis toujours partisan de filmer un maximum de références réelles : plus on a d’éléments sur lesquels se baser pour créer la 3D, moins on a besoin de « deviner ». Dernière étape, un assistant se place dans le décor à l’endroit où le robot va se trouver. Il photographie alors tout l’environnement à 360 degrés depuis le sol à ses pieds jusqu’au ciel au-dessus. Ensuite, on assemble les photos (résolution de 12 mégapixels) pour obtenir une représentation du décor avec la lumière originale. C’est cette représentation qui va fournir l’éclairage de  base de la scène 3D.

Pixelcreation : Pourquoi ne pas utiliser un système d’appareils photo synchronisés qui balaieraient tout le décor en une seule passe ?
Scott Farrar : Parce qu’on n’en a pas le temps. Il faut aller tellement vite avec Michael Bay qu’on ne pourrait pas installer un système comme vous le décrivez. De plus, dans beaucoup de scènes, le sol est jonché de débris et difficilement accessible. Le plus simple était donc de travailler à l’ancienne, à la main…

Pixelcreation : Comment compareriez-vous Transformers 3 aux deux précédents ?
Scott Farrar : Comme à chaque fois, nous avons eu moins de temps pour faire plus de plans ! Ça devient une habitude… [Rires] Avec cette fois, la difficulté supplémentaire de travailler en relief 3-D. Il ne faut pas négliger cet aspect car la stéréoscopie demande jusqu’à 30% de travail en plus sur les effets visuels… C’est considérable. Au total, le film doit comporter plus d’un millier de plans à effets visuels, mais ILM s’est concentré sur les principales scènes avec les robots animés en 3D, soit 575 plans. De son côté, notre filiale de Singapour a réalisé environ 150 plans sous notre supervision.

Pixelcreation : Les scènes d’action se démarquent nettement de celles des opus précédents par la durée des plans…
Scott Farrar : Effectivement, on a des plans qui durent jusqu’à une minute. C’est très, très difficile à gérer, mais le résultat en vaut la peine car on voit les robots en action en continu, au lieu d’avoir une succession rapide de plans. Par exemple, il y a un plan assez long dans lequel Optimus dévale une avenue en tournant sur lui-même pour balayer ses adversaires au passage. La quantité de destruction est phénoménale : les voitures s’envolent, d’autres explosent, les robots se brisent, le mobilier urbain est pulvérisé, etc. On a filmé la scène avec la caméra qui remontait la rue à grande vitesse. L’équipe des effets spéciaux de direct avait préparé des dizaines d’effets pyrotechniques et mécaniques dans le décor. Dans tous les plans d’action du film, il y a un maximum d’effets réels : je trouve qu’ils ont un côté organique et « incontrôlé » qui rend l’animation 3D plus crédible. Nous les avons ensuite augmentés en 3D pour parfaire la synchronisation avec les mouvements d’Optimus.

Pixelcreation : L’autre nouveauté, ce sont les transformations. Dans les deux premiers films, les robots mettaient parfois plusieurs secondes à se métamorphoser. Cette fois, ils se transforment en plein saut…
Scott Farrar : Oui, le personnage décolle en tant que voiture et atterrit en tant que robot ! C’était le souhait de Michael Bay. Il estimait qu’on avait assez vu de transformations « traditionnelles ». Il voulait voir quelque chose de nouveau. On a beaucoup travaillé là-dessus.

Pixelcreation : Quid de Colossus, le robot en forme de ver géant ?
Scott Farrar : C’est le plus grand objet 3D que nous ayions jamais fabriqué à ILM. Je sais que vous je ai déjà dit ça pour Transformers 2… [Rires] mais le record de Devastator est largement battu. Sur ce robot-là, on avait des temps de rendu d’environ six heures par image ; sur Colossus, c’était carrément une trentaine d’heures par image ! Et ce n’était pas tout, car il fallait calculer toutes les images en double pour le relief 3-D ! L’une des grandes difficultés était la gestion des reflets : le robot devait se refléter dans les parois de verre du gratte-ciel et dans les débris de verre qui tombaient, et tous devaient s’éclairer les uns les autres… On a dû travailler avec Mental Ray afin de pouvoir calculer tous ces reflets. C’est très difficile de travailler sur un plan et de savoir que vous n’aurez le résultat du rendu que dans quatre jours parfois – et pour un seul œil encore ! Mais bon, le jeu en valait la chandelle,on a créé un personnage unique. D’une manière générale, j’estime que dans ce film, les robots sont  mieux animés et mieux intégrés dans l’action.

Pixelcreation : Parlez-nous de la grande bataille finale dans Chicago. L’échelle de l’action est impressionnante…
Scott Farrar : Nous avons tourné à Detroit et surtout à Chicago. Il y a encore quelques années, on aurait filmé ces plans de manière statique, afin de créer les destructions par matte painting, mais dans un film comme Transformers 3, il faut que la caméra bouge tout le temps. C’était très important pour avoir la sensation d’évoluer en trois dimensions avec le relief 3-D. Quand la caméra tourne autour des immeubles, les effets de perspective sur les avenues sont réellement saisissants. J’ai donc tourné des dizaines d’arrière-plans depuis un hélicoptère. L’environnement est constamment réel : dans certains films, l’équipe reconstruit la ville en 3D, ce n’est pas ce que nous avons fait. Notre approche consiste à travailler à partir de l’image originale. On prend l’immeuble existant, et l’on applique les dommages là-dessus à l’aide de digimattes très sophistiqués. Le résultat est que l’image reste totalement réaliste puisque l’on part de la réalité. Toutes les destructions ont été réalisées à l’aide de simulations dynamiques.

ndlr: Ce souci de réalisme s'est aussi étendu aux scènes d'action. La séquence où le commando saute en combinaisons d'homme-volant d'un toit d'immeuble a été confiée à des cascadeurs qui ont réellement fait le saut. Leur trajectoire a été filmée avec 5 caméras stéréoscopiques: une sur un toit d'immeuble voisin, une en hélicoptère, une sur un casque d'homme-volant accompagnant la descente, trois au sol. Le dcor a ensuite été retravaillé en postprod: tirs, destructions, etc. Voir le making-of vidéo ci-dessous.

Alain Bielik, juin 2011
(Introduction et commentaires des visuels : Paul Schmitt)
Spécialiste des effets spéciaux, Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue S.F.X, bimestriel de référence publié depuis 20 ans. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.

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