Transformers, le film

Avec déjà plus de 300 millions de dollars au box-office américain, les robots Transformers de Michael Bay cassent la baraque. Signées ILM, ces créations représentent un nouveau sommet de l’animation 3D. Pixelcreation vous en dévoile les secrets de fabrication.

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Petite devinette : qu’est-ce qui mesure 20 cm de haut et qui comporte 51 pièces mobiles ? Réponse : un robot jouet Transformer créé par le fabricant Hasbro. Seconde devinette : qu’est-ce qui mesure 10 mètres de haut et qui comporte 10.108 pièces mobiles ? Réponse : un robot géant Transformer créé en 3D par la firme d’effets spéciaux Industrial Light and Magic (ILM). Ces robots sont les représentants d’une race extra-terrestre qui n’a rien trouvé de mieux à faire que de transformer notre bonne vieille Terre en champ de bataille interplanétaire. Particularité de ces êtres mécaniques : ils sont capables de ré-agencer leur corps de façon à imiter la forme d’un objet de tous les jours. L’un prendra l’apparence d’un avion de chasse, un autre sera camouflé en hélicoptère, tandis que d’autres encore se dissimuleront sous la forme d’une voiture, d’un camion, d’un distributeur de sodas, ou même d’un téléphone portable. Ils passent ainsi inaperçus, attendant le jour où ils devront entrer en scène. Certains sont là pour nous asservir, d’autres au contraire, cherchent à nous défendre… mais comment faire la différence entre un bon robot et un mauvais robot ? Surtout, comment mener le combat lorsque le char d’assaut auquel on donne un ordre peut se révéler être un assaillant en mode « camouflage » !
Initié par le producteur Steven Spielberg, le projet a nécessité un investissement de plus de 150 millions de dollars, une somme finalement modeste en comparaison des budgets quasiment deux fois plus importants alloués à Pirates des Caraïbes 3 ou Spider-Man 3. Aux commandes, un cinéaste rompu à toutes les techniques d’effets spéciaux, Michael Bay (Armageddon, Pearl Harbor). Celui-ci confie le développement et l’animation des robots 3D à ILM. La société fondée par George Lucas réalisera quelque 430 plans à effets visuels sur un total de  630 plans truqués. Supervisés par le vétéran Scott Farrar, les plans d’ILM mettront en scène 14 robots géants différents. A ces modèles 3D excessivement complexes viendront s’ajouter les formes « camouflages » des robots, ainsi que des dizaines de véhicules et objets différents avec lesquels ces personnages devront interagir au fil de l’action.

 

Mission : émanciper les corps rigides

Pour ILM, le projet Transformers représente un tout autre défi que celui posé par Pirates des Caraïbes 3, réalisé simultanément. Dans le second, l’animation 3D concernait exclusivement des éléments organiques : personnages, océan, nuages, etc. En revanche, pour Transformers, l’essentiel du travail portait sur des animations de corps rigides. Scott Farrar voit en ce projet l’occasion rêvée de faire accomplir un bon de géant à ILM dans ce domaine. Depuis l’avènement de l’animation 3D, le superviseur des effets visuels n’a pas cessé d’être déçu par le rendu artificiel des surfaces rigides en infographie. D’un côté, les développeurs ont accompli des progrès foudroyants en termes de rendu des surfaces organiques, notamment grâce à l’apparition du sub-surface scattering (diffusion de lumière sous une surface. De l’autre, Farrar n’a pas l’impression que les mêmes progrès ont été réalisés au niveau des corps rigides.
Il faut dire aussi que Farrar est un superviseur qui a été formé à l’ancienne école. Avant l’avènement du numérique, pour réaliser un effet, il fallait d’abord filmer des éléments concrets : maquette, figurine articulée, monstre grandeur nature, etc. Cela se traduisait par des effets au rendu très réaliste, car la lumière, les reflets, les textures, les défauts de surface, etc., étaient directement enregistrés par la caméra. Avec la 3D, tous ces infimes détails qui constituent la marque du réel prennent un temps fou pour être reproduits en numérique. Pour Farrar, la 3D n’est tout simplement pas encore au niveau des prises de vues réelles en ce qui concerne les corps rigides. Il demande donc à son équipe d’aller beaucoup plus loin dans le travail de texture des surfaces. Ainsi, le robot Bumblebee qui se camoufle en Chevrolet Camaro devra présenter le même nombre de couches de peinture, de laque et de polish que la carrosserie réelle, ainsi que les traces de doigts, les salissures et autres micro-impacts. C’est au prix d’une précision absolue que les surfaces 3D passeront à l’écran pour le modèle réel. Et les textures ne manquent pas, puisque les robots prennent leur forme bipède à partir de la totalité des pièces du camouflage. L’équipe doit donc modéliser et texturer pistons, amortisseurs, jantes, disques de freins, éléments de châssis, radiateur, etc. Au final, un robot comme Megatron comportera plus de 2000 textures différentes réparties sur quelque 1.800.000 polygones !

 

Un puzzle de 10.000 pièces

Le grand tour de force du film, ce sont les scènes de transformation des robots. On voit ainsi un camion d’apparence tout à fait normale se reconfigurer soudain en robot de dix mètres. Le scénario de ces transformations est défini par le directeur artistique d’ILM, Alex Jaeger. Celui-ci commence par visionner des dizaines d’épisodes de la série TV Transformers pour s’imprégner de l’esprit de ces transformations. Il dispose aussi de jouets dont il peut étudier la structure. Pour ces métamorphoses, Michael Bay n’a imposé que deux règles : premièrement, la forme bipède d’un robot ne peut être réalisée qu’à partir des pièces de la forme camouflage, sans que des éléments ne puissent être ajoutés ou retirés ; deuxièmement, les parties rigides ne peuvent pas se plier ni se tordre, mais doivent uniquement pivoter entre elles par des articulations cachées. A partir de ces deux règles de base, Jaeger met au point le processus de transformation de chaque robot à l’aide de dessins qui décomposent les principales étapes. Une fois approuvée par le réalisateur, mais aussi par Hasbro qui a son mot à dire sur tout ce qui concerne les robots, la transformation est confiée aux animateurs.Pour animer les milliers de pièces mobiles de chaque robot, il faut procéder du plus grand au plus petit. Les artistes d'ILM animent d’abord le mouvement des plus grosses pièces – portières, calandre, ailes, toit, roues – sans se soucier du reste. Une fois le mouvement général approuvé, l’équipe passe aux pièces secondaires – moteur, sièges, réservoir, etc. – et vient ajouter cette animation sur celle des pièces principales. Une fois encore, le résultat est soumis à l’approbation de Michael Bay, puis les animateurs poursuivent le processus avec des pièces plus petites, et ainsi de suite. L’objectif, c’est de ne jamais entamer l’animation d’une pièce tant que l’élément de taille supérieure  n’a pas été validé. En effet, une fois l’animation réalisée, l’imbrication des mouvements est telle qu’il est impossible de revenir en arrière sur tel ou tel élément de l’étape précédente. A chaque étape, les riggers interviennent pour ajouter des articulations là où c’est nécessaire.Le processus est bien sûr long et délicat. Il met en œuvre des rigs à la complexité jamais atteinte jusqu’alors. Pour parvenir à animer des sous-pièces de sous-pièces de sous-pièces, les animateurs doivent être capables d’isoler des parties bien précises du modèle afin de les manipuler. Lorsqu’il s’agit d’un personnage organique traditionnel, ce n’est pas un vrai problème dans la mesure où les riggers doivent gérer plusieurs centaines de joints articulés. Avec les robots de Transformers, ce chiffre dépassait les 10.000 joints articulés ! Les riggers développent donc des rigs dynamiques qui autorisent un nombre important de sélections différentes. Pour ce projet, l’équipe utilise le pipeline habituel d’ILM : Maya, RenderMan, et Shake, tous trois rassemblés sous une interface commune appelée Zeno.

Quadruple défi

Comme si les scènes de transformation de robots ne constituaient pas un défi suffisant, Michael Bay demande à ILM de créer un plan insensé. La caméra démarre loin au-dessus d’une contre-allée dans laquelle pas moins de quatre robots se transforment simultanément sous les yeux des deux héros… Pour commencer, ILM doit combiner en un seul plan deux prises de vues différentes de la rue, l’une à partir d’une grue mobile géante et l’autre à partir d’une seconde grue qui fait tourner la caméra à 360° autour des personnages. Car oui, la caméra se déplace en permanence tout au long du plan. Quatre transformations à animer en parallèle, un plan en mouvement, une rotoscopie totale sur les deux acteurs, 768 images en tout… Bilan des courses : 36 heures de calcul pour le rendu de chaque image !Le rendu fait d’ailleurs l’objet de toutes les attentions. Avec ces milliers de surfaces haute résolution différentes, impossible de traiter chaque robot de façon traditionnelle. L’équipe met au point un système de rendu hybride dans lequel certaines parties de l’image sont traitées en ray-tracing et d’autres non. Même alors, la complexité des images fera tourner à plein régime les milliers de processeurs du studio pendant des mois. De l’avis unanime, le projet n’aurait pas pu être réalisé sans le passage récent de tout le studio à l’architecture 64 bits.Lorsque Michael Bay se rend compte de la difficulté à animer des transformations en continu, il décide de scinder la plupart de ces scènes en plusieurs plans. Autre astuce pour faciliter le travail, les transformations s’opèrent toutes à grande vitesse. De fait, un flou de mouvement bien pratique vient occulter les éventuels problèmes d’intersection. Il faut bien que le film soit prêt à la date prévue !

Digital Domain à la rescousse

D’ailleurs, le projet s’avère si complexe que Michael Bay est contraint de confier une centaine de plans à Digital Domain. Il faut dire aussi que la prestigieuse société fondée par James Cameron est sa propriété depuis qu’il l’a rachetée l’an dernier avec le soutien d’un groupe d’investisseurs. Forcément, un petit coup de pouce pour le business maison, ça ne peut pas faire de mal… Supervisés par David Prescott, les effets comprennent plusieurs dizaines de plans d’animation de robots. ILM fournit les géométries, ainsi que toutes les textures, mais malheureusement, les différences entre certaines technologies maison empêchent Digital Domain de récupérer les rigs originaux. Il faut donc tout reprendre à zéro et retrouver le rig de chaque personnage à partir d’animations tests fournies par ILM. Les robots de Digital Domain seront finalement recréés et animés dans Maya, texturés dans Photoshop et Zbrush, tandis que les effets d’animation seront réalisés dans Houdini, et le rendu dans Mantra. Pour le compositing, le studio fera confiance à son logiciel maison, Nuke. Pour chaque transformation, Digital Domain utilise trois modèles différents du même robot : la version camouflage, le modèle en cours de transformation, et enfin, le robot lui-même. Deux équipes différentes se partagent le travail d’animation : l’une gère uniquement les déplacements et les animations conventionnelles, tandis que l’autre se charge de créer les transformations. Celles-ci exigent en effet un doigté et une technique particulière qui ne conviennent apparemment pas à tous les animateurs.

Une date charnière

Pour ILM et Digital Domain, la dernière ligne droite sera particulièrement éprouvante pour les hommes – et pour les serveurs – surtout lorsque Michael Bay ajoutera deux plans d’animation de robots quelques semaines avant la date de bouclage du projet ! Mais le défi sera remporté de haute lutte. A l’arrivée, les effets visuels de Transformers constituent pour beaucoup une nouvelle date charnière dans la longue histoire des effets spéciaux. Une chose est certaine : la touche « image par image » des télécommandes va souffrir lorsque le DVD du film sera commercialisé…

ALAIN BIELIK  août 2007

Alain Bielik est le fondateur et rédacteur en chef de la revue d’effets spéciaux S.F.X, publiée depuis 1991. Il collabore également à plusieurs publications américaines, notamment sur Internet.