Un Monstre à Paris

Une comédie musicale sur mesure pour Matthieu Chedid et Vanessa Paradis.

Eric « Bibo » Bergeron n’est pas le dernier venu dans le monde de l’animation. Sa société française, Bibo Films, fondée en 1993 avec son complice Pascal Chevé, produit séries TV (Jean-Luc & Faipassa, Les Lascars, etc.) et publicités. Lui-même est parti une dizaine d’années, de 1997 à 2005, chez Dreamworks Animation à Los Angeles, tout à tour storyboarder, artiste, animateur. Et surtout coréalisateur des longs métrages La Route d’Eldorado (2000) et Gang de Requins (2004).

Mais Bibo Bergeron est habité depuis longtemps par un rêve : réaliser son propre long métrage d’animation, un long métrage à la fois grand public et film d’auteur, différent d’une superproduction à la Dreamworks. Pari enfin gagné : Un Monstre à Paris sort en salles ce 12 octobre 2011.

Une comédie musicale dans le Paris de 1910
L’histoire rappelle un peu celle de La Belle et la Bête, avec  Matthieu Chedid, alias M, dans le rôle de Francoeur, une puce devenue monstrueusement géante mais qui chante tellement bien,  et Vanessa Paradis dans le rôle de Lucille, une chanteuse de cabaret qui adopte Francoeur comme partenaire de scène. Vous l’aurez deviné, Un monstre à Paris est surtout une comédie musicale, située dans le cadre historique du Paris de 1910 en pleine crue de la Seine. Et Francoeur est volontairement habillé comme Aristide Bruant, le chanteur de cabaret immortalisé par Toulouse-Lautrec. « Les chansons ont en fait été ma toute première priorité sur ce film. Je ne voulais pas les greffer au scénario terminé mais qu’elles fassent bel et bien partie intégrante de l’intrigue. La vision des photos du livret de Je dis aime de M a vraiment été un déclic pour moi, au moment où j’écrivais les premières lignes du synopsis. Et donc la toute première personne à qui j’ai demandé de collaborer sur ce projet a été Matthieu Chédid. Avant même que la première mouture du scénario soit terminée. On a déjeuné ensemble en octobre 2005. Je lui ai expliqué mes intentions pour le film et il a tout de suite accroché. Deux semaines plus tard, il avait déjà composé sa première chanson : le moment où Francoeur rencontre Lucille et chante son état d’âme de mal aimé.» Suit Vanessa Paradis : « A mes yeux, Vanessa Paradis possède tout ce que je voulais pour le personnage de Lucille : cet aspect piquant, ce côté jeune femme qui n’a pas sa langue dans sa poche et ce magnétisme incroyable qui fait que même si elle vous engueule, vous l’aimez pour ça ! Après Matthieu, c’est la deuxième qui a débarqué sur ce projet. Elle aussi m’a donné son accord assez vite et elle a donc enregistré les chansons d’Un monstre à Paris avant que Matthieu et elle ne fassent leur premier album ensemble. »

Un projet au long cours
«Un monstre à Paris est le projet ultime, s’enthousiasme Bibo Bergeron, on en rêve avec Pascal Chevé depuis 1993. Je suis même revenu pour ça. Je tenais à le réaliser en France et à le coproduire avec mon studio Bibo Films.  J’étais installé aux Etats-Unis depuis 1997 et ce projet est né d’une certaine nostalgie de Paris. J’avais envie de faire un film sur ma ville, un film romantique qui pourrait par moments aller tutoyer le cinéma d’épouvante. J’avais aussi envie de traiter du début du 20ème siècle, une période historique en incroyable ébullition et qui me passionne depuis toujours. Enfin, dès le départ, j’ai aussi envisagé ce film comme très musical. Bref, j’y ai mis tout ce que j’aime. »
 Et après ? « Dans mon esprit, l’histoire de base a tout de suite été centrée autour du personnage du monstre. Et le premier questionnement important fut donc l’apparence du monstre. En 2001, j’ai eu l’idée d’une puce qui devient géante à la suite d’une expérience. A partir de là, j’ai commencé à bâtir le scénario en m’appuyant sur une énorme documentation que j’avais réuni sur l’époque : les Brigades du Tigre, les débuts de la police… D’abord seul: j’ai écrit en août 2005 un premier synopsis et une première mouture de scénario. Puis avec Stéphane Kazandjian. C’est un peu le Yang de mon Ying. Il sait me canaliser car j’ai tendance à avoir trop d’idées. On a donc travaillé main dans la main à partir de l’automne 2005. Et on a fini l’été 2006 la première mouture vraiment exploitable. »

Un projet difficile à monter
Un film, comme la vie, n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Bibo Bergeron en sait quelque chose : « Une fois notre première mouture de scénario en poche à l’été 2006, on a enchaîné sur son développement visuel : les designs des personnages, des décors, des objets et des voitures ou encore les recherches de couleurs et ce pendant un an et demi. Faire un film d’animation prend toujours du temps. Trois ans et demi pour La route d’Eldorado. Quatre ans et demi pour Gang de requins. Là, ce fut à peu près la même chose, à ce « petit » détail près que j’ai dû faire un break de 9 mois car on n’arrivait pas à trouver l’argent pour faire le film qu’on avait en tête. Il est très difficile de financer un film avec un budget aussi important – 28 millions€ - et avec cette ambition en France. Heureusement, mes succès passés chez Dreamworks m’ont ouvert beaucoup de portes. Le plus compliqué a été d’expliquer quel film je voulais faire à des gens qui n’étaient pas des artistes. Sans image, ils ne comprenaient pas où je voulais aller. Est-ce que cela allait ressembler à du Pixar ? A du Dreamworks ? Je leur expliquais que ça n’allait être ni l’un, ni l’autre, qu’il y aurait une ambiance un peu peinte dans les décors, que les personnages allaient être un peu plus caricaturés que dans les films américains, que l’ensemble allait avoir un côté impressionniste mais pas trop… Finalement, début 2009, on a lancé la production et j’ai terminé le film fin août 2010. »

La réalisation d’Un monstre à Paris
« Notre coproducteur et distributeur EuropaCorp a souhaité qu’avant l’animation proprement dite, j’enregistre les voix de la version anglaise du film afin que celui- ci soit plus facilement vendable sur les territoires anglo-saxons. Pas de problème, j’ai en fait travaillé de cette façon pour mes deux premiers films. J’ai donc fait mon casting américain et je suis parti les enregistrer à Los Angeles. Mais l’enregistrement des voix françaises a eu lieu, lui, après la phase d’animation. »

Et pour la fabrication du film, Bibo Films monte son propre studio à Montreuil (93). Une équipe de 140 personnes, dont 35 animateurs, 10 chargés du layout, 20 pour les décors, 20 pour les textures, etc. Le « pipeline » de production repose sur le logiciel XSI développé par Softimage (et depuis repris par Autodesk) auquel l’équipe rajoute des plugins ad hoc. Avec une méthode de travail  « à la française » explique Bibo Bergeron: « Je tenais à produire ce film sans devoir jeter une scène finalisée à la poubelle. Pour parvenir à cela, on travaille donc le rythme en amont en faisant des storyboards par séquences. C’est là qu’on décide des coupes et donc d’enlever parfois, pour des questions de rythme justement, des séquences. Pour faire ces choix, on bâtit une animatique : le storyboard est filmé et accompagné par des voix témoins que mes amis, ma famille et moi-même assurons. On regarde l’ensemble et on tranche. Ce n’est pas grave de jeter des choses dans cette phase de storyboard car le coût est minime. Mais une fois qu’on a tous été OK sur le storyboard, on a décidé ne plus rien bouger. Aux Etats- Unis, c’est différent : le gâchis est budgété, en quelque sorte. Ca m’est donc arrivé sur Gang de requins de mettre des plans entiers finis à la poubelle. En France, on n’a pas le droit. Et ce n’est finalement pas plus mal car il est toujours écoeurant de jeter des séquences qu’une équipe entière a mis tellement de coeur à faire. Cela n’empêche évidemment pas de faire quelques petites modifications, mais le film terminé est pratiquement le storyboard à l’image près. »

Le film est en 3D relief, époque oblige, mais se laisse voir en 2D sans problèmes. Car l’intérêt d’Un monstre à Paris n’est pas dans l’action, le spectaculaire, mais dans l’ambiance théâtrale, chaleureuse développée par Bibo Bergeron autour des performances de M et Vanessa Paradis.

Paul Schmitt, octobre 2011