De la fiction à la réalité virtuelle

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Ainsi, Enter The Matrix a été le premier jeu vidéo à faire officiellement la liaison entre deux longs métrages. Il forme une sorte de pont narratif entre les récits et les personnages créés par les frères Wachoski. David Towhy réalisateur de Pitch Black et Les chroniques de Riddick a, lui aussi, utilisé le jeu vidéo pour compléter l’ensemble de son histoire avec Riddick,Escape from Butcher Bay. Même s'ils se sont accentués, les liens entre ces deux médiums existent depuis longtemps. Ainsi de nombreux longs métrages ont intégré dans leur récit, voire même dans leur construction, des données propres au monde du jeu vidéo.

Exemple emblématique – et pas tout neuf - : Chute Libre de Joel Schumacher. Le personnage qu’incarne Michael Douglas y suit une progression qui s’apparente en tout point à celle que générerait un jeu vidéo du genre Beat Them Up. Ainsi il est présenté dans un premier temps sans arme, puis avec une batte de base-ball dans un nouveau contexte urbain. Il franchit une nouvelle étape avec un Uzi et finit par être affublé d’un lance-grenades. Un concepteur de jeu n'aurait pas renié ce scénario.

Joel Shumacher est un des précurseurs de ce genre de référence. Depuis, il a été rejoint par de nombreux autres réalisateurs qui se passionnent pour les jeux vidéo. On retrouve dans leur mise en scène certaines caractéristiques de cet univers. La Chute du Faucon Noir de Ridley Scott (construit comme un jeu de guerre) et Matrix et ses suites des frères Wachoski (création d’un univers virtuel et réel, choix à opérer entre la pilule bleu ou rouge…) sont des films qui, sans dénaturer le Septième Art, répondant même parfaitement à ses exigences, y insèrent de nouvelles données en provenance de la culture du jeu vidéo : celle d'un spectateur à l'illusion d'être moins passif. C'est l'une des spécificités de l'univers vidéoludique : le joueur intervient dans le monde et la trame qu’on lui propose. Il prend part à l’action et au rythme de ses personnages. Même si ce n’est qu’une illusion, il a l’impression de changer le cours des choses grâce à ses interventions (un jeu vidéo propose toujours un début, un milieu et une fin prédéfinis).

C’est un réel plaisir d’être aussi un peu metteur en scène. Un plaisir qu'exploite Driver, jeu culte, proposant au joueur non seulement de participer à une aventure mais également d’inscrire sur "la pellicule" le film de ses exploits. Et dans un mouvement de balancier, on retrouve les codes cinématrographiques, le jeu permettant de choisir son angle de prise de vue. Une fois la réalisation achevée, le joueur devient alors spectateur de son "court métrage". Driver en proposant cette option est en parfaite adéquation avec l’univers cinématographique auquel la série fait référence. De Driver de Walter Hill à French Connection de William Friedkin en passant par Bullit de Peter Yates autant de sources légendaires qui n’auront pas laissé les amateurs du septième art et de jeux vidéo indifférents. Cette dimension "cinématographique" que les concepteurs de la série des Driver ont apportée à leur jeu se retrouve aujourd’hui dans de nombreux softs (notamment Full Spectrum Warrior). Les joueurs se retrouvant, le temps d'un jeu, co-réalisateurs, acteurs et scénaristes de l’aventure. (Ils peuvent aussi bien décider de mourir ou de remplir la mission). Avec le développement du jeu en réseau, ces nouveaux "réalisateurs-joueurs" peuvent même présenter leur "oeuvre" à d'autres joueurs qui pourront en apprécier ou pas les qualités.

En voulant se rapprocher le plus possible du cinéma, le jeu vidéo s'est quelque fois fourvoyé, utilisant des codes qu'il ne maîtrisait pas tout en trahissant les siens propres. Les scènes cinématiques en sont l’expression la plus flagrante. Ces séquences le plus souvent en image de synthèse peuvent être apparentées à des courts métrages qui servent de liaison narrative entre deux phases de jeux. En rendant le joueur passif (il devient alors spectateur) le jeu perd sa spécificité première : l’interaction. Plus les scènes cinématiques se multiplient plus elles privent le joueur de sa force et de sa puissance à changer le court des évènements et des choses. Cette caractéristique élémentaire rapproche le médium du cinéma mais l’éloigne irrémédiablement de la nature première de jeu vidéo : jouer.

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