Un hommage au pionnier français des effets spéciaux

Pour Méliès le cinéma est ce métier « qui consiste à réaliser tout, même ce qui semble impossible, et à donner l’apparence de la réalité aux rêves les plus chimériques, aux inventions les plus invraisemblables de l’imagination. »

Un programme qui reste d’actualité et pour lequel, même à l’heure des trucages numériques hyperréalistes, l’œuvre du génial pionnier français constitue une source d’inspiration d’une fraîcheur et d’une inventivité inépuisables. L'exposition du 16 avril au 31 juillet 2008 à la Cinémathèque à Paris est l'occasion de redécouvrir ses inventions les plus connues mais aussi un homme et un parcours hors norme.

Méliès, pionnier du cinéma et des effets spéciaux
L’œuvre de Georges Méliès (1861-1938) est d’abord celle d’un artiste aux multiples talents et au génie prolifique : magicien de profession, mime et excellent comédien, très vite adepte du cinématographe naissant, il réalisera, entre 1896 et 1913,  plus de 500 films pour lesquels il est à la fois scénariste, réalisateur, décorateur, comédien, ainsi que producteur et distributeur. Inaugurant le courant que l’on pourrait qualifier de fictionnel, fantastique et onirique du cinéma, à l’opposé du courant documentaire initié par les frères Lumière, Méliès va expérimenter sans relâche et inventer le tournage en studio et bon nombre d’effets spéciaux, encore utilisés de nos jours. Après avoir régné pendant presque vingt années sur le monde de la féerie et du trucage cinématographiques et être plagié dans le monde entier, Méliès va subir les aléas de l’évolution rapide que le cinéma connaît au début du XXe siècle. La production commence à s’industrialiser et ses spectacles d’illusion féérique destinés aux spectacles forains ne sont plus à la mode face aux films plus réalistes des nouveaux poids lourds de la production : Pathé, Gaumont, Eclair. Après une tentative infructueuse de collaboration avec Pathé, Méliès arrête de tourner en 1913 et fait faillite. Il gagnera sa vie comme comédien au Théâtre des variétés artistiques de Montreuil qui donnera jusqu'en 1923 des opérettes et opéras-comiques. Une décennie plus tard, retombé dans l’anonymat, il est retrouvé par hasard par un journaliste alors qu’il tient une boutique de jouets et de confiserie à la gare Montparnasse. Méliès aura quand même la satisfaction, au soir de sa vie, d’une reconnaissance de sa contribution à l’histoire du cinéma par l’ensemble de la profession qui organisera pour lui une soirée de gala en 1929. Grâce à ce soutien, il passera ses dernières années au château d’Orly, alors maison de retraite réservée aux gens du cinéma, et qui abrite aujourd'hui  l'EESA, une des meilleures écoles françaises de 3D : juste hommage des effets visuels d'aujourd'hui aux effets spéciaux d'hier...

Georges Méliès, inventeur des trucages cinéma
Méliès est historiquement l’inventeur de nombreux trucages cinématographiques dont peuvent encore se réclamer Spielberg et Lucas. Pour expliquer ce génie créatif il faut considérer d’abord l’héritage de Robert Houdin,alias Houdini, tout le savoir-faire des prestidigitateurs : machinerie et effets pyrotechniques (flammes, fumées, vapeurs) que l’auteur des Quatre Cents Farces du Diable et de Vingt mille lieues sous les mers maîtrise à merveille et qui alimentent des histoires riches de fantasmagories. La tradition, qui date du XVIIe siècle, des spectacles de lanterne magique peuplées de fantômes et de spectres joue également un rôle dans l’iconographie fantastique voire macabre de Méliès. Viennent ensuite les trucages cinéma proprement dit.
Les arrêts de caméra, trucage qui autorise, au moyen d’un collage « cut » du négatif de deux séquences raccord, toutes les apparitions, disparitions, ou encore les substitutions instantanées, un rêve pour le prestidigitateur Méliès qui en fera grand usage en particulier la première fois dans « L'escamotage d'une dame chez Robert-Houdin, 1896 ».

Les surimpressions et les fondus enchaînés comme dans l’Homme-Orchestre (1900), tour de force dans lequel sept Méliès apparaissent sur la même image, au prix d’un tournage au cours duquel le négatif est rembobiné sept fois en respectant des repères très précis. Ce trucage lui permet de tourner les séquences de dédoublement, de désarticulation des corps, ou encore les apparitions spectrales et fantomatiques, thèmes omniprésents dans son œuvre. Autres exemples de surimpression multiple avec utilisation d’un cache noir : le Mélomane, 1903, chef-d’œuvre de « collages surréalistes » avant la lettre où de multiples têtes de Méliès arrachées tour à tour viennent s’accrocher sur les fils télégraphiques, telles des notes de musique sur une portée. Sans oublier  l’Homme à la tête en caoutchouc, 1902, dans lequel la tête de Méliès (monté sur rail) grossit grâce à une série de surimpressions sur fond noir. Citons enfin les effets de couleurs sur pellicule.
Tous ces trucages sont incontestablement au service de la narration. Il y a une adéquation entre l’esthétique et la technique, entre la sensation visuelle recherchée et le trucage créé à cet effet par Méliès. C’est cette alchimie particulière qui rend la vision des films de Méliès si fascinante car elle témoigne aussi, au-delà du plaisir jubilatoire d’assister à la naissance du vocabulaire stylistique du cinéma, d’un univers personnel magique, étrange et probablement plus complexe que se l’imagine souvent le spectateur, séduit et amusé par la formidable féerie endiablée des histoires.
De plus, si Méliès est avant tout un créateur qui croit aux pouvoirs magiques des images animées, cette confiance accordée à la puissance onirique du cinéma ne l’empêche pas de s’intéresser à l’actualité de son temps. En 1899, dreyfusard convaincu, il devient l’inventeur du film politique et du docu-fiction en reconstituant avec rigueur les grandes lignes de l’affaire Dreyfus en onze épisodes d’une minute. En 1902, suite à une commande d’un producteur anglais, il filme le couronnement d’Edouard VII, avant l’événement, devant des toiles peintes dans son jardin de Montreuil-sous-Bois.
Une démarche dont le dernier film de Michel Gondry, Soyez sympas Rembobinez, se fait l’écho, à sa manière, avec son concept de remake loufoque des classiques qui témoigne surtout d’une approche à la fois amoureuse et ludique du cinéma, déjà merveilleusement initiée par Méliès

Parcours de l’exposition Georges Méliès
Cette manifestation exceptionnelle dédiée à Georges Méliès montre une partie de la collection qui appartient aujourd’hui à la Cinémathèque française : dessins, photos, appareils de magie, costumes, lettres, maquettes, décors, et bien sûr les films retrouvés et restaurés. Une collection réunie grâce à l’action déterminante de Langlois, le fondateur de la Cinémathèque française, qui commença ce travail de puzzle du vivant de Méliès, travail poursuivi par les héritiers de Méliès et les institutions publiques.
L’exposition présentée au 7e étage de la Cinémathèque française (sur 300 m²), et scénographiée par Massimo Quendolo, se déroule en trois étapes.
Magie et cinématographe
La première salle de l’exposition évoque le monde du français Robert Houdin, alias Houdini, le père de la magie moderne, que Méliès admirait et dont il rachètera en 1888 le théâtre pour y présenter des spectacles de grandes illusions dans la lignée du maître. La naissance du cinéma est en bonne voie. Alors qu’Etienne Jules Marey enregistre des séquences physiologiques grâce à son fusil de chronophotographie, pratiquant en quelque sorte les premières « motion capture », Méliès montre des spectacles de saynètes magiques qui sont une préfiguration des « trucs » utilisés dans les futurs films.
A côté d’accessoires, costumes et automates originaux de Robert-Houdin, l’exposition présente deux pièces phares : le carton fantastique original de Robert-Houdin et « l’armoire du décapité récalcitrant » de Méliès, miraculeusement parvenue intacte jusqu'à nous. Autre facette des talents artistiques de Méliès à découvrir : quelques caricatures anti-boulangistes qu’il signe sous le pseudo de « Géo. Smile » dans un hebdomadaire satirique (1889-1890).
Au printemps 1896, c’est le choc de la projection cinématographique des frères Lumière et Méliès est l’un des premiers à s’enthousiasmer pour l’invention et à décider d’utiliser cette technique. Comme les frères Lumière refusent de lui vendre un de leurs appareils, Méliès part à Londres pour acheter un appareil fabriqué par l’Anglais Robert William Paul, un « Theatrograph » (en fait une contrefaçon d’un kinetoscope d’Edison) et va réaliser ainsi ses premiers films qu’il vendra principalement aux forains. L’exposition montre ces deux trésors historiques : la première caméra et le premier projecteur de Méliès.

Le Studio Méliès de Montreuil

Le deuxième espace de l’exposition est consacré au bâtiment vitré que Méliès construisit à Montreuil en 1897. Premier studio de l’histoire du cinéma réalisé uniquement pour les prises de vues cinématographiques, il a malheureusement été détruit en 1947 malgré l’action d’Henri Langlois pour sensibiliser les pouvoirs publics de l’époque. Le visiteur pourra songer à ce qui aurait sans doute été un formidable lieu d’accueil d’un musée Méliès en découvrant ce studio à travers une grande maquette et une exploration virtuelle basée sur une reconstitution 3D.
Dans cette pièce figurent également les plans et esquisses préparatoires du film le plus abouti et le plus long (650 mètres) que Méliès ait tourné dans son studio :  À la conquête du Pôle (1911) . On y voit, entre autres, la conception de la machinerie nécessaire à l’animation du géant du Pôle, « monstre des neiges » de plus de 5 mètres de haut, ainsi que l’emplacement des différents acteurs de cette féerie comique qui s’inspire des exploits, alors tout récents, d’Amundsen et de ses malheureux concurrents.

L’univers fantastique de Méliès
Après quelques photographies au charme irrésistible du tournage du Tunnel sous la Manche ou le Cauchemar anglo-français (1907), le visiteur pénètre dans la troisième salle de l’exposition qui évoque les films relatifs à des « voyages fantastiques ». Le plus célèbre le Voyage dans la Lune, (1902), largement inspiré du roman de Jules Verne, y est évoqué par de nombreux dessins de la main de Méliès (réalisés en fait dans les années 30 à la demande de Langlois), ainsi qu’à travers affiches, programmes, costumes et projections. On peut voir également un Sélénite, habitant de la Lune, à la carapace zébré et aux mains en forme de pince de homard, qui sort directement de l’imagination prolifique de Méliès (voir vues de l'exposition).

Thierry Leterrier

Pour aller plus loin dans la magie Méliès:
Accompagnant l’exposition, un catalogue (coédité avec les éditions de La Martinière) présente en images toutes les pièces de la collection désormais unifiée (500 documents), ce qui permet de prendre la mesure d’une œuvre qui n’a pas fini d’inspirer les créateurs de toutes disciplines. Il est signé par Jacques Malthète, chercheur au CNRS et l’un des descendants de Méliès et Laurent Mannoni, directeur scientifique du patrimoine à la Cinémathèque française et commissaire de l’exposition.
Pour (re)découvrir les films de Méliès, deux éditions double DVD sont actuellement disponibles : le coffret « Georges Méliès » (Editions StudioCanal/Fechner productions) et le coffret « Méliès, le cinémagicien » (Arte Vidéo).