Loup de Nicolas Vanier

Après Le dernier Trappeur, Nicolas Vanier nous livre ici un plaidoyer ardent pour le loup et sa coexistence avec les hommes. Avec des images somptueuses tournées dans l’hiver sibérien, en couleurs naturelles et sans effets.


Nicolas Vanier a d’abord imaginé son histoire sous forme de roman, basé sur ses souvenirs de traversée de Sibérie dans les années 90, roman paru en 2004.
Synopsis : Sergueï est un Évène, nomades éleveurs de rennes qui vivent dans les montagnes de Sibérie orientale. À l’âge de 16 ans, Sergueï est nommé gardien de la grande harde du clan de Batagaï, dont le chef n’est autre que son père. Clan composé de quatre familles et de leur harde de 3000 rennes qu’ils conduisent d’un alpage à l’autre au gré des saisons.  Dès son plus jeune âge, Sergueï a appris à chasser et abattre les loups pour protéger les rennes. Jusqu’au jour où sa rencontre avec une louve et ses quatre adorables louveteaux va bouleverser toutes ses certitudes…  Pour protéger “ses” loups, Sergueï va transgresser les lois millénaires de son peuple et ainsi trahir son père et son clan. Par amour, il partagera ce lourd secret avec la belle Nastazia. Mais c’est sans compter que le loup garde son instinct de prédateur…

Nicolas Vanier et son producteur Jean-Claude Bailly ont refait équipe après Le dernier Trappeur (2003) pour transposer Loup au cinéma. En préservant leur marque de fabrique : tournage sur le terrain, en embarquant équipe technique et acteurs pour plusieurs mois, en été comme dans l’hiver sibérien (-50°C) au milieu des Evènes qui jouent leur propres rôles autour des acteurs français.
« Il nous a fallu construire un camp pour une centaine de personnes au plus près de tous les décors, à 18 heures de camion de Yakoutsk, la capitale ! Nous avons commencé en octobre 2007 alors que la production n’était pas tout à fait bouclée et que le tournage devait débuter en février 2008 », précise Jean-Pierre Bailly. « L’autre problématique était de trouver des loups, sur deux saisons et que l’on voit grandir. Donc trois portées de trois âges différents. Les loups de Sibérie sont sauvages et il n’était pas question de les approcher. Nous avons donc fait appel au Canadien Andrew Simpson qui nous avait fourni tous les animaux sauvages pour Le dernier Trappeur ». Une aventure que Nicolas Vanier a bien voulu nous détailler .

Pixelcreation : Pourquoi ce film sur les loups ?
Nicolas Vanier , réalisateur: Ce film est un hommage aux loups, mais aussi aux Evènes, peuple encore protégé de la civilisation et qui a su préserver un équilibre avec la nature. Quant aux loups, je leur voue une véritable admiration. S'ils sont craintifs et ne s’attaquent pas spontanément à l’homme, le traîneau à chiens est en revanche le meilleur aimant à loups. L’attelage est alors considéré comme une meute concurrente sur leur propre territoire. Du coup, les loups s’approchent pour voir de quoi il s'agit… C’est ainsi que j’en ai vu beaucoup, vraiment beaucoup. Le loup demeure un animal impossible à apprivoiser. Pour le film, nous avons travaillé avec des loups un peu habitués à la présence humaine, mais pas dressés. Toute la complexité du tournage – le subtil équilibre à trouver en permanence – consistait à faire évoluer les loups librement afin qu’ils aient un comportement totalement naturel. C’est la marque de fabrique de mes films ! Il fallait inventer des systèmes, des combines, pour provoquer spontanément des déplacements, des attitudes, des actions qui servaient notre histoire…

Pixelcreation : Quelle a été la genèse du projet ?
Nicolas Vanier : J’ai écrit le roman Loup fin 2004 et j’ai eu envie d’en faire un long métrage. Le succès de Le dernier Trappeur sorti en 2004 aussi m’a confirmé dans cette intention, et m’a aussi ouvert les financements nécessaires. Nous avons pu ainsi compter pour Loup sur un budget de 10 millions d’euros, plus que pour Le dernier Trappeur. J’avais rencontré les Evènes en 1990, en traversant la Sibérie, et j’ai passé plus d’un an, en 1993, en leur compagnie. Après avoir beaucoup cherché d’endroits avec Jean-Pierre Bailly, nous avons décidé d’y retourner même si cela voulait dire bâtir un camp sur place pour 100 personnes et des conditions de tournage l’hiver particulièrement difficiles. En comparaison, Le dernier Trappeur a été tourné dans la banlieue de Whitehorse au Canada, dans des conditions presque aussi confortables qu’à Paris ! Sur place, le tournage de Loup s'est déroulé en deux périodes : l'été 2007 et l'hiver 2008

Pixelcreation : En quoi vous différenciez-vous comme réalisateur de vos confrères ?
Nicolas Vanier : La différence, c’est que je tourne un cinéma réaliste, sans rien d’artificiel : pas de décors, pas de froid artificiel, c’est ce qui donne sa force à mes films. Et je privilégie les plans larges de 20 secondes, plutôt que quatre plans serrés de 5 secondes. C’est plus compliqué, mais cela correspond à ma vision.

Pixelcreation : Quels moyens techniques avez-vous utilisé sur Loup ?
Nicolas Vanier : Pour l’équipe, nous avons repris le « noyau dur » de l’équipe de Le dernier Trappeur. J’ai utilisé deux caméras et deux équipes pour la prise de vues : une pour les scènes de fiction, l’autre,  avec Thierry Machado comme chef opérateur, pour les loups. Les loups sont difficiles à diriger, il faut quelqu’un de particulièrement expérimenté. Thierry Machado a été chef opérateur sur grand nombre de films naturalistes : Microcosmos, Le peuple migrateur, Le dernier Trappeur en 2003 avec moi-même, et depuis La Planète blanche et Au-delà des Cimes. Nous avons tourné en 35 mm, parce que le numérique ne fonctionne pas par -50°C, et les lumières sont trop subtiles en hiver. Les nuances roses du ciel par exemple ont besoin du 35mm pour un bon rendu. Le numérique, c’est bon avec des lumières criardes et contrastées, comme en été. Et là-bas l’été, il fait jour 24 heures sur 24, avec un soleil bas, cela donne des ciels chargés. Je ne fais pas de postproduction pour changer les lumières ou autre chose, je préfère au contraire rester sobre.

Pixelcreation : Quelles difficultés particulières avez-vous rencontré sur ce tournage ?
Nicolas Vanier : Le froid pour les deux mois de tournage d’hiver, bien sûr. La pellicule casse quand la température descend en-dessous de -25°C, il faut donc réchauffer le magasin  de pellicule, mais cela crée de la condensation qui regèle après, etc. Les câbles gèlent aussi, même l’acier se contracte. Il a fallu tout régler en congélateur à Paris avant : 4 semaines de travail avec des ingénieurs pour trouver des solutions techniques.


Pixelcreation : Loup est un plaidoyer pour la coexistence entre loups et hommes. Et comment faire en France ?
Nicolas Vanier : Le problème des loups en France est qu’il ya d’un côté des écologistes citadins qui en veulent, et en face des bergers qui veulent les tuer en les empoisonnant. Et personne au milieu… Il faut réunir tout le monde pour trouver un compromis acceptable : décider combien de loups peuvent vivre sur quel territoire. Justement nous avons mis du matériel pédagogique sur le site du film (www.loup-lefilm.com) pour parler de ces problèmes.


Paul Schmitt, décembre 2009