Un groupe d'architectes aux idées bien trempées

Après qu’Yves Klein ait fondé en 1960 le mouvement désormais célèbre du Nouveau Réalisme, un groupe d’architectes américains se penche lui aussi sur la société de consommation et de ses objets, en s’associant pour créer Ant Farm, petit monde radical façonné par Doug Michels et Chip Lord. Le Frac Centre présente pour la première fois en France, les travaux performatifs et idéalistes du collectif, où pétarades et situationnisme incongru mènent la danse.

 

Un univers post-pop art

Pendant que Robert Rauschenberg et Jasper Johns lacèrent et dissemblent les symboles d’une culture capitaliste, Ant Farm éclot sur la côte Ouest des Etats-Unis avec pour vocation ultime, celle de positionner l’art à une échelle notable, à l’instar du courant du Land Art, dans un milieu naturel, voire vierge. Loin des hurluberlus pour lesquels ils ont pu être pris, les membres d' Ant Farm demeurent des architectes avérés, dont les idéaux obsessionnels consuméristes les poussent à réévaluer l’utilité même d’objets tels que l’automobile ou la maison.
En effet, si César compressait avec délectation les véhicules en tous genres, Doug Michels, Chip Lord,Curtis Schreier, Hudson Marquez et Douglas Hurr placent le blason de l’Amérique, qu’est la voiture, dans une situation de non-capacité, jusqu’à une utilisation ornementale, voire de " balises" à travers l’installation in situ Cadillac Ranch (1974), qui fait désormais la célébrité de la Route 66 au Texas. Semi-enterrées, dix Cadillac se dressent, alignées les unes derrière les autres, à la manière de Titanic industriels, forcés à sombrer, contraints à l’inertie. Les croquis préparatoires comme finaux sont ainsi présentés au Frac Centre, démontrant une fois encore la mise en œuvre de ce projet colossal, sorte d’anti-culte de l’objet, qui en devient un malgré lui.
 

Destruction programmée et pastiches

Considérée aujourd’hui comme une œuvre silencieusement dénonciatrice, Cadillac Ranch ne convoque le spectateur qu’à travers un statut de " pèlerin". Ant Farm pousse la réflexion sur la consommation et les médias, en orchestrant une performance devant un public trié sur le volet : les journalistes de l’époque. Media Burn (1975) est cette fois la mise en scène d’une réelle aversion de la société du spectacle et de ses modes de diffusion. Doug Michels et Curtis Schreier accommodent et pilotent ainsi une Cadillac Eldorado Biarritz, qui s’abat sur ce qui s’apparente à un "chamboule-tout " de médias, soit des dizaines de téléviseurs préalablement enflammés. Tinguely n’aurait  pas mieux fait. Seules traces de cet événement : les films et photographies de ceux spécifiquement conviés. " Dans le contexte de l’époque, on tentait de s’affranchir de ce système des galeries d’art, ou du produit qu’est l’art. Donc faire une carte postale, cet objet le plus éphémère et évanescent qui soit, nous paraissait tout à fait approprié." explique Chip Lord, membre d’Ant Farm. Le groupe poursuit sa démarche, en réutilisant la portée de l’image - devenue culte par le film d’Abraham Zapruder -  de l’assassinat de JF Kennedy. Déguisé en Jackie Kennedy, Doug Michels rejoue la scène, à la manière des identités multiples de feu Michel Journiac, créateur de l’art corporel en France. Mais le caractère d’icône qu’est devenue Jackie Kennedy, est aussi lié aux célèbres sérigraphies d’Andy Warhol, qui la consacre comme image moderne absolue du martyre.
 

Entre images clées et mises en scènes fondatrices d’un nouveau positionnement face à la société des années 1970 et à venir, le groupe Ant Farm utilise tous les champs d’action possibles de l’art, en veillant à garder l’essentiel de leur ligne de conduite à l’encontre des mass médias jusqu’en 1978. Une exposition rare, riche de schémas, dessins, vidéos et photographies peu médiatisés. A qui la faute ?!

Agathe Hoffmann - Novembre 2007.

Jusqu'au 23 décembre.
Frac Centre
12, Rue de la Tour Neuve
45000 Orléans
Entrée libre. Ouvert du lundi au vendredi, de 10h à 12h et de 14h à 18h. Les week-ends et jours fériés de 14h à 18h.