The Air is on Fire

 

Du cinéma à la peinture il n'y a qu'un pas.

Si David Lynch, concepteur de films insaisissables, s'amuse depuis le début des années soixante-dix à chatouiller la raison des spectateurs, il est aussi un artiste discret dont l'univers pictural et graphique est en totale harmonie avec son indéfinissable oeuvre cinématographique. Découverte de l'exposition de la Fondation Cartier : The air is on fire.

Etudiant à l'Académie des Beaux-Arts de Philadelphie dés 1965, David Lynch découvre, en rêvassant devant l'une de ses toiles, que le mouvement des images sera sa partie. On connait la suite, il accumule de prodigieuses créations : Eraserhead (1977), Elephant Man (1980) ou encore Mulholland Drive (2001), qui marqueront plusieurs générations.
Lynch perturbe, interpelle, grise le visiteur à travers des écrans qui ne sont plus ceux du cinéma, mais bien ceux de toiles monumentales, où l'influence de l'Art Brut et de Rauschenberg est sous-jacente. Recouvertes de peinture, de textures à grumeaux et d'objets collés, ses compositions sont celles d'un monde torturé, violent, parsemé d'un constant flottement temporel et physique.

Un homme vêtu d'un jean brandi un couteau, faisant face à une femme déculottée, sagement assise sur un sofa découpé et collé sur la toile. Le ton est donné, l'oeuvre picturale de Lynch apparaît comme un prolongement réel de ses idées et errances psychologiques les plus noires.
Les énigmes y sont reines, surgissant sur les toiles avec des lettres découpées façon Dada, ou peintes dans une typographie infantile.

 

L'arbre qui cache la forêt : entre graphisme et photographie

 Mais qui aurait pensé trouver derrière ses scénarios grinçants, une véritable collection de dessins tour à tour griffonnés sur les serviettes et nappes de restaurants, couchés sur l'envers d'une boîte d'allumettes de poche ? Réalisées au stylo bille, crayon graphite ou au feutre violet, les formes géométriques incongrues et encastrées s'animent juxtaposées les unes aux autres, accompagnées d'une typographie scripte difforme. Lynch jalonne ainsi ses écrits de dessins cyniques et absurdes (un double chien...), à l'image du scénario de Blue Velvet (1986) où quatre silhouettes masculines ouvrent des bouches grandes comme des « O ».
C'est aussi le quotidien du cinéaste qui hante ses petites créations, par le biais de messages dédiés : Peg, wake me up at 9.30 am, Love. David, suivi d'une profusion de traits, de lignes entremêlées.

Enfin, en cousine du cinéma, la photographie se laisse dérouter par Lynch, qui use et abuse des déformations visuelles pour donner naissance à une nudité creuse, constituée d'amas de chair, de peau, de sexes béants ou tendus, non sans rappeler le travail de Joel Peter Witkin.
L'absence d'identité vient s'ajouter à une mise en scène en noir et blanc, régie par diverses formes de vices. Mi-homme, mi-femme, les formes humaines se succèdent en rythme, véritables obsessions de l'artiste comme du photographe aux poupées Hans Bellmer.

S'il faut longtemps chercher, voir et revoir les films de Lynch, pour espérer comprendre l'intrigue, il ne faut guère plus ici qu'aimer l'infiniment petit, l'anodin comme l'explosion des caractères primitifs et instinctifs de l'Homme.
En proie aux doutes constants comme à l'égarement, David Lynch livre ici une nouvelle névrose de ses capacités artistiques, bizarres autant qu'étranges, qui ne manqueront pas déstabiliser les inconditionnels de ses films.

Reste à trouver un code afin d'éviter toutes confusions. David Lynch, oui.
Le cinéaste ou l'artiste? A vous de re-voir.

Agathe Hoffmann - 05/2007.

Jusqu'au 27 mai 2007.
David Lynch, The Air is on Fire
Fondation Cartier,
261 boulevard Raspail,
Paris 14ème.
Tous les jours sauf le lundi, de 11h à 20h.
Nocturne le mardi jusqu'à 22h.