Niki de Saint Phalle

Une rebelle, qui pratiqurait l'art comme une thérapie face au chaos intérieur et à la violence du monde des hommes.

Trop souvent résumée à ses célèbres Nanas, monumentales et éclatantes, Niki de Saint Phalle est une des grandes artistes du XXe siècle. Et une artiste qui assume, s’appuie même sur ses contradictions intérieures.
Née en France en 1930, mais vivant  aux États-Unis jusqu’en 1952,, de bonne famille  (père de vieille famille française, mère grande bourgeoise américaine), Niki de Saint Phalle s’oppose au conformisme social  de sa mère et veut « devenir une héroïne et  passer sa vie à questionner ». Elle  rejette aussi ce monde qu’elle juge masculin et violent et dénonce en 1994 le viol commis sur elle par son père quand elle avait 11 ans. Après une grave dépression en 1953, elle décide «d’être artiste plutôt que terroriste ». Cataloguée « Nouveau Réaliste » dans les années 60, elle développe jusqu’en 2000 une œuvre protéiforme où s’exprime son univers imaginaire, un microcosme onirique qui résulte de ses rêves et de ses cauchemars.

Niki de Saint Phalle est l’une des premières artistes à faire de la femme un sujet, qu’elle traite dans sa complexité : à la fois victime de l’enfermement dans sa condition féminine et héroïne potentielle d’un monde à inventer. Elle rêve « d’une « nouvelle société matriarcale », un monde où elle serait heureuse de vivre.

Tour à tour jubilatoires et monstrueuses, féminité et maternité sont omniprésentes dans son œuvre. Ses Nanas font penser aux sculptures préhistoriques de déesses de la fertilité. Niki de Saint Phalle prône même sur une vidéo montrée dans l’exposition la maternité comme travail méritant un salaire. Une position qu’on jugerait maintenant réactionnaire et qui se distingue déjà des féministes américaines des années 70 qui  insistaient sur l’accès et l’égalité au travail des femmes et rejetaient en conséquence la notion de maternité.

Mais son œuvre va bien au-delà. On en a retenu le caractère joyeux et coloré, mais on en oublie la violence, l’engagement et la radicalité. Le féminisme n’est qu’un élément de sa lutte constante contre les conventions et les carcans de la pensée. Chacune de ses oeuvres comporte plusieurs niveaux de lecture et d’interprétation.

La rétrospective que présente le  Grand Palais jusqu’au 2 février 2015 est la première grande exposition consacrée à Niki de Saint Phalle depuis vingt ans, si l’on excepte les sculptures présentées en 2008 en ouverture de l’exposition Elles@Centre Pompidou en 2008. On y retrouve  les multiples facettes de l’artiste qui fut à la fois peintre, assemblagiste, sculpteure, graveuse, performeuse et cinéaste expérimentale. Et on s’étonne de l’audace de ses performances (les « tirs »), du contenu politique de son travail et  de l’ambition de ses réalisations dans l’espace public (dont le fameux Jardin des Tarots). Sans oublier son savoir-faire pour se mettre en scène et médiatiser son travail, à l’instar d’Andy Warhol. Rebelle dans l’âme, Niki de Saint Phalle a choisi d’être « artiste plutôt que terroriste ». Le bon choix, sans conteste.

Clémentine Gaspard, septembre 2014