Van Gogh & Hiroshige

Double exposition, double regard sur les estampes japonaises d’Hiroshige et leur influence sur la peinture de Van Gogh.

Marc Restellini, directeur de la Pinacothèque de Paris, aime jouer les trublions. A la tête d’un musée privé, il se targue d’opérer sans subventions, à l’opposé de la majorité de ses confrères publics. Et le voilà qui revisite l’œuvre de Van Gogh pour en faire ressortir une influence japonisante : celle des estampes japonaises, fort à la mode du temps de Van Gogh, et plus particulièrement celle d’Hiroshige, maître de l’estampe de paysages. « Van Gogh va dans son délire voir le Midi de la France comme étant le Japon, explique Marc Restellini. Cette clé de lecture, celle du voyage intérieur, montre que la référence au japonisme devient un véritable code de lecture pour tout son oeuvre, dès l’instant où Van Gogh se rend dans le Midi de la France. La confrontation iconographique entre ses oeuvres et l’art de Hiroshige, celui qui de tous les artistes japonais semble le plus l’avoir marqué, est impressionnante : chacune de ses oeuvres, chacun de ses choix de paysage devient une référence directe à ce qu’il a pu voir dans l’art d’Hiroshige ».

D’où l’idée de cette double exposition, avec d’une part deux cents estampes parcourant l’œuvre d’Hiroshige, d’autre part quarante peintures de Van Gogh, essentiellement des paysages. Un  voyage intérieur d’Edo à Arles, selon les termes du catalogue, que nous plaçons sans hésiter en catégorie « 3 étoiles » dans notre guide personnel.

Hiroshige, l’art du voyage
Hiroshige (1797-1858) est un maître de l’estampe japonaise, non pas de courtisanes (le sujet n’est plus à la mode à son époque) mais de paysages et de scènes de voyage. S’inspirant de livre et guide de voyage plutôt que de la réalité, il bâtit sa réputation dans les années 1830 et 1840 en réalisant des estampes illustrant les étapes de voyage entre Kyoto et Edo (ancien nom de Tokyo) suivant deux itinéraires, le Tokaido le long de la côte Est et le Kisokaido à l’intérieur des terres. Ces estampes, publiées et vendues comme souvenirs aux voyageurs, intègrent dans leurs paysages la perspective à l’occidentale mais se distinguent par la variété des cadrages et la richesse des détails, propices à l’immersion du spectateur attentif dans la scène.
Son dernier grand projet, a l’orée des années 1850, la ramène à sa ville d’Edo dont il réalise Cent Vues célèbres d’Edo et où il accentue les effets de perspective et vraie toujours plus les points de vue.

Van Gogh, rêves de Japon
Un prêt du musée Kröller-Müller d’Otterlo (Pays-Bas) permet à la Pinacothèque  d’exposer dans sa nouvelle galerie (ouverte en 2011) une superbe série de paysages de Van Gogh peints pour la plupart entre 1888 et 1890 en Provence. Les traits tourmentés de Van Gogh n’ont certes rien à voir avec le pinceau délicat d’Hiroshige, mais Marc Restellini voit dans les cadrages et les choix de couleurs  des références claires à celui-ci : « L’art de Van Gogh se transforme en une reprise moderne et tourmentée des thèmes et des sujets que Hiroshige a peints un demi-siècle auparavant à l’autre bout du monde». Art japonais que Vincent Van Gogh a probablement découvert chez le marchand parisien d’estampes Siegfried Bing.

Cette double exposition à la Pinacothèque de Paris, jusqu’au 17 mars 2013, est de plus très didactique. Chaque peinture de Van Gogh est accompagnée de reproductions d’estampes l’ayant influencé, estampes visibles de l’autre côté de la rue dans la partie consacrée à Hiroshige. Notre galerie de visuels ci-contre suit le même principe ; chaque œuvre de Van Gogh est suivie d’estampes d’Hiroshige illustrant les références communes.

Paul Schmitt, octobre 2012