Les Dunes par Anne Demians et Ruedi Baur

Le numérique, un nouvel art d’habiter ? Démonstration avec l’architecte Anne Demians et le designer Ruedi Baur pour les immeubles de bureaux des Dunes.

Les banques telle la Société Générale ont toujours pris soin de leur image à travers leur patrimoine immobilier : siège historique (1912) Art Nouveau au cœur de Paris, tours jumelles (1995) à La Défense signées Andrault et Parat et complétées par la tour Granite (2008). Des immeubles de prestige, projetant la puissance par leur verticalité et leurs façades en verre. Un paradigme jugé obsolète à l’heure de la révolution numérique et que la Société Générale a renversé pour son nouveau projet à Val Fontenay à l’est de Paris : Les Dunes se veut un immeuble « organique » favorisant avant tout les espaces de coopération pour ses 5 000 occupants. « Ce sera un lieu de vie où l’on vient pour travailler ensemble, où des communautés horizontales, multihiérarchies, multicompétences, pourront s’assembler et se désassembler facilement », assure Françoise Mercadal-Delasalles, directrice des Ressources et de l’Innovation de la Société Générale.

Moins de verticalité, moins de frontières entre intérieurs et extérieurs. L’architecte Anne Demians a donc privilégié un mouvement horizontal pour loger les 90 000m2 de bureaux sur 23 000m2 de terrain : « J’ai eu l’idée de plisser le terrain, comme pour comprimer une feuille vers le haut et créer trois ondes qui contiendraient l’essentiel des surfaces logées dans trois bâtiments de huit étages. Entre elles, un herbier, des jardins et du bois au sol pour donner le sentiment d’un même univers ». Ces « dunes » sont matérialisées par une enveloppe en bois recyclé qui recouvre les bâtiments d’un geste courbe afin d’adoucir les angles, donne à l’ensemble une tonalité naturelle et sert également de protection solaire.

En accès, un pavillon d’accueil en dôme sur un parvis ouvert vers la gare du RER. Entre les bâtiments principaux, des patios se nichent en creux (niveau -1), comme des jardins d’agrément autour desquels s’ordonnent les espaces de vie (restaurants, foyers, etc.) et de circulation. Une rue principale intérieure transversale relie ces espaces et le dôme d’accès. Le designer Christophe Pillet, en charge de l’aménagement intérieur, a inventé des rideaux en verre devant chaque baie de cette rue, en doubles ou triples peaux, verre traité par des effets de dégradés pour gommer les transitions.

S’orienter dans les Dunes : la réponse de Ruedi Baur
« Comment éviter la forêt de panneaux qui généralement affectent ce genre de lieux ? Comment conserver, voire renforcer la générosité et la sensibilité des espaces ? Par une aide à l’orientation naturelle. Cette approche nous permet de limiter la présence visuelle des informations fonctionnelles et de la remplacer par un certain nombre d’interventions qui contribuent à différencier des espaces, à en relier d’autres ou à suggérer des directions à emprunter, bref à rendre plus intelligible l’ensemble des cheminements. »

Ces interventions prennent des formes multiples et complémentaires autour de la notion de fait main, de calligraphie. En sous-sols, les graffeurs OnOff, Stoul, Takt et Sueb/3HC, Riofluo, et Romain Froquet ont été retenus pour « tagger » les piliers, murs et certaines places de parking. La signalétique accompagne ces installations discrètement. Pour la rue intérieure au niveau -1, Ruedi Baur a fait appel à une équipe internationale de calligraphes : Kaixuan Feng, Myoung Heui Ryu, Michel d’Anastasio, Abdollah Kiaie, Evgeny Tkhorzhevsky et Achyut Palav ont écrit des textes poétiques en caractères chinois, arabes, russes, hindis et latins, accompagnés de leurs traductions en petites légendes.  Ces textes composent une ligne horizontale qui fait le tour de l’étage complétée là-aussi par un fléchage directionnel discret. Pour les étages, Ruedi Baur a fait appel à l’auteur et artiste littéraire Karelle Ménine avec qui il avait déjà réalisé la Phrase à Mons en Belgique. Des textes choisis de Jules Verne, Daniel Defoe (Robinson Crusoe) ou George Sand ont été écrits par des peintres en lettres depuis le sommet des bâtiments pour descendre d’étage en étage jusqu’au niveau -1 de la rue intérieure.

Cette signalétique manuelle, voire manuscrite est aussi un clin d’œil en forme de contrepied à la vocation numérique des Dunes, à l’utilisation intensive d’algorithmes par la Société Générale. La culture visuelle, complément indispensable du numérique !

Paul Schmitt, octobre 2016