Un âge d'or de l'immeuble

Les années 50, un âge d’or de l’immeuble ? C’est le sous-titre d’une exposition en forme de réhabilitation, et une occasion de redécouvrir un patrimoine négligé.

On est plus habitué à considérer le XIXème siècle  et le style haussmannien comme constitutifs de l’architecture parisienne. Ou encore la première moitié du XXème siècle, avec les immeubles des époques Art nouveau et Art déco. Mais Simon Texier, historien d’art contemporain et commissaire scientifique invité de l’exposition Paris 1950, développe et justifie pour les visiteurs cette notion d’âge d’or. Nous vous livrons ci-dessous les grandes lignes de ce texte solidement argumenté.

Une urgence : le logement
Cette longue décennie (1948-1961) a préparé et partiellement mis en pratique ce qui, au cours des années 1960, deviendra la norme : la hauteur, l’industrialisation, l’urbanisme «moderne», la mixité, la définition d’un nouveau logement. Le contexte de création des immeubles des années 1950, quant à lui, est tout à fait spécifique. Bien qu’épargnée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, Paris connaît à la Libération l’une de ses crises sanitaires les plus graves et l’’insalubrité est plus sensible encore qu’avant-guerre. La crise du logement est elle aussi sans précédent :. 42% des Parisiens sont plus ou moins mal logés, ce que met davantage encore en évidence la rigueur de l’hiver 1954 et l’appel de l’abbé Pierre qui lui fait suite. La situation s’est d’ailleurs aggravée avec la croissance de la population parisienne, qui augmente de 379000 habitants entre 1946 et 1954. En réponse à cette pénurie, 2000 logements seulement (dont 600 en HLM locatives) seront construits dans Paris entre 1946 et 1950: l’industrie du bâtiment elle même doit faire face à une relative pénurie de main d’oeuvre et de matériaux – à défaut de béton ou de métal, on utilise largement la pierre au début de la décennie.

Paris 1950 : un âge d’or de l’immeuble
Aube d’une ère nouvelle (les Trente Glorieuses), la décennie 1950 constitue pour Paris une phase de préparation à la rénovation à grande échelle des quartiers situés au-delà de l’ancienne enceinte des Fermiers généraux, dont le bâti est en grande partie dégradé. Une phase de transition aussi : car la capitale hésite encore entre deux types de réglementation urbaine et vit même, de 1950 à 1956, avec un règlement provisoire.. À la fin de l’année 1950 est finalement adopté, pour six ans, un profil qui favorisera le développement d’immeubles à gradins, quasiment tels que les avaient rêvés Henri Sauvage quarante ans auparavant. Cet «entre-deux» réglementaire est en fait l’aboutissement de plusieurs décennies de réflexions sur l’immeuble  sa forme et son insertion dans la ville. Tandis que l’immeuble privé continue de s’insérer entre deux mitoyens – dans une logique d’alignement qui, malgré tout, est sujette à des dérogations de plus en plus nombreuses –, les opérations de logements sociaux (HLM) dessinent une ville «entr’ouverte», à mi-chemin entre les principes de l’urbanisme moderniste et ceux de la ville ancienne.
Dernière décennie pendant laquelle se développe massivement des immeubles « urbains », les années 1950 sont par définition un moment de tension entre deux idées de ville; de cette tension naîtront des bâtiments d’une grande maturité (typologique, plastique) et d’une évidente actualité, des bâtiments signés par des architectes pour beaucoup inconnus et dont les qualités contrastent avec la connaissance, extrêmement lacunaire, que l’on en a aujourd’hui. Parmi les caractéristiques de ces immeubles, on retiendra plus particulièrement celles-ci : - le développement d’une production de masse avec l’essor de la préfabrication lourde et de la mécanisation des chantiers ; - évolutions techniques importantes avec la généralisation des murs-rideaux pour les immeubles de bureaux ; - l’émergence de figures nouvelles (la barre, la tour de logements) et de la grande échelle; - des recherches originales en matière d‘implantation urbaine, qui visent notamment à aller chercher la lumière tout en restant dans les limites réglementaires ; - une mixité des programmes très fréquente ; - une évolution spécifique des couronnements – directement  liée à celle du règlement – et une généralisation du toit-terrasse à la fin de la décennie; - un travail spécifique sur le logement lié au développement des « arts ménagers » ; - enfin, des traitements plastiques proches des expressions artistiques de l’époque.

L’exposition, au Pavillon de l’Arsenal à Paris, se double d’un livre, Paris 1950, édité sous la direction de Simon Texier aux Editions du Pavillon de l’Arsenal : trois cents immeubles remarquables de l’époque y sont analysés à travers quarante quatre notions reprises dans un abécédaire. Une exposition  à voir et un livre à feuilleter sur place jusqu’au 7 novembre 2010.

Clémentine Gaspard, octobre 2010