Europunk

Une rétrospective institutionnelle sur l’esthétique punk. Really ?

On pourrait appeler cela un oxymore, ou  l’art d’associer les contraires : une exposition initiée par l’Académie de France –villa Medicis sur le mouvement punk et sa production graphique. Quasiment la reine d’Angleterre invitant Johnny Rotten et les Sex Pistols  à prendre le thé à Buckingham pour fêter les 35 ans de leur album God save the Queen !

En y réfléchissant, en prenant l’affaire  au second (cinquième ?) degré, l’idée  est tout à fait normale : cette contre-provocation de l’establishment répond à la provocation permanente qu’était le mouvement punk. Et reproduit la réalité historique: le mouvement punk s’assagit, se maniérise dès la fin des années 70 pour donner le « New Wave » et le look gothique dont le groupe Cure est probablement le meilleur exemple. Et les skinheads le plus mauvais…

La contre-culture punk
Milieu des années 70 : les hippies ont disparu depuis quelques années déjà, la fin de la guerre du Vietnam  enlève son carburant aux mouvements révolutionnaires, la crise du pétrole met fin aux « 30 glorieuses », le vide moral s’installe en Occident. Le mot « crise » apparaît et ne quittera plus notre vocabulaire…

Le mouvement punk nait alors en réaction à cette situation figée, rejetant à la fois la culture « bourgeoise » et son alternative révolutionnaire comme autant de mensonges. "No Future" est le slogan premier, il faut vivre au présent comme on est, sans se projeter dans l’avenir. "Do it yourself", autre slogan clé, en est la conséquence directe : place à la créativité brute, affranchie des formes et structures sociétales. D’où un recours systématique à la régression (scatologique ou pornographique), au détournement de symboles, à une violence plus symbolique que réelle : l’utilisation de croix gammées ou l’apologie des groupes terroristes d’extrême gauche (RAF allemande, Brigades Rouges italiennes) ne vaut pas militantisme.

L’esthétique punk  est volontairement négative et passe par la mise en chaos des formes. Le rock se fait primaire, à l’opposé du rock planant d’un Pink Floyd ou du hard rock policé d’un Led Zeppelin. Côté graphisme, la notion d’œuvre d’art,  d’original, ne fait plus sens. Le mouvement punk a retenu les leçons du pop art et d’Andy Warhol et utilise collage, photocopieuse, polycopie et pochoir comme méthodes privilégiées d’expression. Les codes du dessin et de la bande dessinée sont subvertis au nom d’un expressionnisme infantilisant. Les corps et les visages font l’objet d’une attaque systématique, qui ne les considère que sous l’aspect de la dérision ou du travestissement. Et l’utilisation fréquente d’un bestiaire désagréable (rats, cafards) souligne le défi à l’esthétique établie.

Sex Pistols et Bazooka
L’exposition à la Cité de la Musique à Paris,  jusqu’au 19 janvier 2014, documente ces thèmes à l’intérieur du punk européen. Fanzines, affiches, flyers, tracts, pochettes de disques, vêtements, plus de 500 œuvres rendent compte de la vitalité de ces modes alternatifs de production artistique. En mettant en valeur deux grands acteurs du mouvement que sont les Sex Pistols à Londres et le collectif Bazooka en France.

Les Sex Pistols sont nés de la rencontre, orchestrée par Malcolm McLaren, du chanteur John Lydon (alias Johnny Rotten, « Le Pourri ») et des musiciens du groupe The Strand : Steve Jones (guitare), Paul Cook (batterie) et Glen Matlock (basse, remplacé en 1977 par John Simon Ritchie, alias Sid Vicious). Lorsqu’ils produisent leur rock volontairement simpliste sur les scènes de Londres, en 1975-1976, leur impact n’est pas seulement musical, mais aussi visuel. Les images qu’ils arborent ou qui les entourent sont essentiellement l’œuvre des créateurs de vêtements Vivienne Westwood et Malcolm McLaren, ainsi que de Jamie Reid, auteur du célèbre visage de la reine d’Angleterre barré par le titre de la chanson « God Save the Queen » et assorti d’une épingle de nourrice.

Les apparitions à la TV des Sex Pistols, à partir d’août 1976, diffusent pour la première fois auprès d’un large public ce spectacle de la violence et de la provocation par lequel s’est constituée une grande partie des codes esthétiques propres au mouvement punk. Le chaos est inhérent à l’âme des Sex Pistols, dont la courte vie s’achève dès janvier 1978 au terme d’une chaotique tournée aux États-Unis.

Formé vers 1974, le collectif français Bazooka est l’un des seuls équivalents durables à la puissance de la culture visuelle des Sex Pistols. Il est constitué par des élèves de l’École des Beaux-Arts de Paris, Olivia Clavel, Philippe Renault (Lulu Larsen), Christian Chapiron (Kiki Picasso), Jean-Louis Dupré (Loulou Picasso), Bernard Vidal, rejoints par Philippe Bailly (Ti5-Dur) et Jean Rouzaud. Au lieu de jouer de la musique, le groupe joue des arts visuels dans un cadre de production qui ne s’apparente à la bande dessinée que pour mieux en casser les codes.

Dans une volonté de confusion politique à but provocateur, Bazooka s’engage dans une prise de pouvoir des médias. En 1977, le groupe devient partenaire de Libération, s’installant dans les pages du journal et publiant un temps un supplément mensuel. Il multiplie les provocations – y compris envers l’extrême gauche militante française-, au grand dam de la rédaction de Libération qui ne sait plus comment s’en débarrasser.

Il publie également ses propres magazines, signés Bazooka Production, en particulier Bulletin périodique et Un regard moderne. Il réalise aussi des projets plus ponctuels – affiches, couvertures de livre ou pochettes de disque, notamment pour le très influent label Skydog. En 1979, le générique de l’émission de télévision Chorus est l’une des dernières créations du groupe, dont les membres travaillent aujourd’hui individuellement.

Récupération commerciale et New Wave

Dès 1976-1977, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, le punk est également nommé New Wave. Une remise en ordre des formes et des images va se généraliser au fur et à mesure que le mouvement punk constate sa récupération commerciale. Des créateurs punks, comme Peter Fischli, excellent à pratiquer un jeu d’équilibres contradictoires entre ces deux tendances. La préservation des valeurs expérimentales va alors conduire, notamment dans les réalisations de Malcolm Garrett pour les Buzzcocks, à revisiter la période constructiviste, où la géométrie était porteuse d’utopie. Certains intègrent aussi une dimension nostalgique qui signe la fin du mouvement punk, comme les réalisations de Peter Saville pour Joy Division et le label Factory. Have you seen the new ero gifs ? come in gifscollection.com

Le mouvement punk n’est plus, mais son inspiration perdure jusqu’à nos jours aussi bien en musique qu’en illustration et design graphique, en contrepoint de la culture commerciale dominante.

Paul Schmitt, octobre 2013


PS : en hommage à Lou Reed qui nous a quittés cette semaine, ci-dessous une illustration d’Olivia Clavel (membre de Bazooka) à son sujet. Lou Reed et le velvet Underground sont considérés à juste titre comme un inspirateur du mouvement punk.
Qu’on nous permette ici une digression : Europunk cite aussi le groupe de Detroit MC5 comme  « protopunk » à cause de son « son gras et brut ». MC5 était un groupe d’inspiration révolutionnaire, très années 60 à cet égard, et son rock, confinant parfois au freejazz (une repirse de Starship de Sun Ra) est plutôt emblématique du hard rock que de l’esthétique punk. Par contre, Patti Smith, plus tard épouse du guitariste Fred « Sonic » Smith de MC5, et qu’on peut voir à Europunk chanter son inoubliable version de Gloria, est effectivement dans l’attitude comme le look (cf sa photo en couverture de l’album Horses) annonciatrice de l’esthétique punk.