Henning Wagenbreth

Original, prolifique, expérimentateur, il se voit toujours comme un outsider du graphisme malgré son succès.

Peut-être est-ce dû à sa jeunesse dans l’ex-Allemagne de l’Est, où il s’est initié avec délice aux techniques d’impression dans un atelier berlinois au début des années 80 avant d’intégrer l'école d'Art de Berlin Est, la "Kunsthochschule Berlin" où il étudie illustration et typographie. Ou à sa participation au milieu underground berlinois juste avant et après la chute du Mur. Un engagement progressiste qu’Henning Wagenbreth a poursuivi depuis, commettant illustrations et posters politiquement engagés. « L’illustration n’est pas simple ornement, justifie-t-il, elle doit avoir un sens. L’illustration en soi n’est pas intéressante ».

Dans les années 90, Henning Wagenbreth séjourne à Paris et à San Franciso, et sa renommée s’étend hors d’Allemagne avec entre autres un 1er prix au concours d’affiches du festival de Chaumont en 1996. Le journal Libération lui fait dessiner en 1997 des pictogrammes pour identifier ses rubriques, un système qui restera en vigueur jusqu’en 2007. Henning Wagenbreth aime aussi illustrer des livres : Mond und Morgenstern (La Lune et l’Etoile), un livre pour enfants sera sacré « Plus beau livre du monde » en 1999. La conception, la préparation et la mise en page d’un produit imprimé reste d’ailleurs sa principale motivation pour le graphisme, avec récemment une réédition en 2013 d’une histoire pour enfants, Le Pirate et l’Apothicaire, de Robert L. Stevenson, et en 2014 la reprise illustrée d’un roman de Bertolt Brecht.

Entretemps, Henning Wagenbreth continue sa carrière d’affichiste et d’illustrateur pour la presse, et surtout crée et expérimente tous azimuts. En 2004, il a dessiné pour la revue Zeit dans un style très pixellisé Plastic Dog, 26 BDs de 8 cases (en une planche) initialement destinées à l’écran des appareils Palm et très ironiques sur les dérives de notre société technologique. Il n’en est pas technophobe pour autant et a été un des premiers graphistes à s’intéresser aux logiciels de création de caractères. Et en a profité pour systématiser une police, la FF Prater, à partir de ses lettres dessinées. En 2006, il conçoit Tobot, un système de composition de dessins comme un éditeur de texte, en remplaçant les lettres par ses propres dessins. Une « machine à illustrer » qu’Henning Wagenbreth a utilisé pour des commandes comme pour des projets personnels, éditant ainsi des « Tobot blocks », silhouettes découpées dans le bois et peintes de ses dessins.

Lignes fortes et faussement simples, aplats avec rarement plus de trois couleurs mais éclatantes, traits caricaturaux des personnages : son dessin évoque aussi bien l’expressionisme allemand que les comics d’Art Spiegelman ou la série animée South Park. Henning Wagenbreth a su dépasser ces influences pour affirmer un style propre, très reconnaissable, qui sert à merveille son propos en interpelant visuellement le spectateur.

Invité par Michel Bouvet à la Fête du graphisme 2015, Henning Wagenbreth est de retour à Paris à la galerie arts factory. L’exposition « Nachtzug (train de nuit). Gare du Nord » jusqu’au 28 mai 2016, s’y déploie sur les 4 niveaux de la galerie, au point de saturer l’espace de son foisonnement. Il faut y prendre le temps de regarder et apprécier les détails de l’œuvre : Henning Wagenbreth, ça se mérite !

Paul Schmitt, mai 2016