Jazz et Graphisme

Comme le rock, le jazz a mobilisé les graphistes pour mettre en scène sa musique sur les pochettes de disques.

Au début du disque (les années 20) était le « 78 tours ». Et le 78 tours était moche, emballé dans une pochette de papier kraft. Seule la rondelle centrale du disque indiquait interprète et titre des morceaux. Il fallut attendre 1947 pour que le designer newyorkais Alex Steinweiss illustre pour la première fois la pochette d’un LP (Long Play Record), révolutionnant ainsi les tristes emballages dévolus aux 78 tours.

Illustration et lettres peintes à la main au départ, puis photographie et collages font depuis lors assaut de créativité pour habiller les disques. Représenter visuellement un contenu musical, outre l’impact publicitaire, est devenu la fonction majeure de la pochette. Et le jazz, dont la popularité s’envole après-guerre, se marie particulièrement bien avec le graphisme lui-aussi en plein essor.

S’inscrivant dans le cadre de la Fête du Graphisme, répondant ainsi à l’exposition « Graphisme, Rock et Cinéma », la Médiathèque Musicale de Paris a mobilisé son large fonds pour illustrer cette épopée. Elle a sélectionné une centaine de pochettes des années 50 aux années 80, qu’elle a exposées en vitrines ou sur ses murs. L’exposition « Jazz et Graphisme », à voir sur place jusqu’au 25 mars 2016, montre comment jazz et graphisme n’ont cessé de s’entremêler et de se répondre tel le solo d’un instrument répondant aux autres, au gré de l’évolution des genres.

On y retrouve de grands graphistes dont l’amour du jazz est bien connu. Saul Bass a ainsi créé dans les années 50-60 l’identité visuelle, affiches plus pochettes de LP, de nombre de films avec une bande musicale jazz. Toujours actif, le suisse Niklaus Troxler est un grand maître de cet exercice. Le festival de jazz qu’il organise dans sa ville de Willisau depuis 1966 est devenu incontournable, tout comme les affiches et couvertures de disques qu’il réalise lui-même pour ses concerts. Fait moins connu, Andy Warhol a aussi commencé sa carrière fin des années 50 en illustrant quelques pochettes de disques.

On découvre surtout les spécialistes de l’exercice, les designers qui ont passé la majeure partie de leur carrière au service des labels de jazz. L’américain David Stone Martin a ainsi conçu et illustré plus de 400 pochettes. Et l’allemande Barbara Wojirsch a assuré jusqu’à la fin des années 90 la direction artistique du label munichois ECM, avec un style minimaliste conjuguant photo abstraite et typographie élégante.

Revers du progrès, la dématérialisation de la musique depuis les années 2000 rend de plus en plus obsolète le design de disques. Heureusement, le vinyl fait encore de la résistance, tel un village gaulois au milieu des légions numériques…

Paul Schmitt, février 2016