Le renouveau de l'image culturelle

Installé dans les locaux de l’ancienne usine Chapal à Montreuil, le collectif La Bonne Merveille a vu le jour en 2003. Membres émérites de la jeune scène visuelle française, ses trois membres assurent la relève de l’image culturelle en conjugant maturité et intégrité visuelle.

Le nom étonne. Il sonne pourtant familier, surtout aux oreilles de certains qui disent "C’est de bonne merveille" comme on dirait "C’est de bonne facture !"... Les travaux de ce trio composé de Thomas Couderc, Thomas Dimetto et Clément Vauchez, tous trois trentenaires, surprennent par leur maturité et leur originalité. Ils ont usé leurs fonds de culottes sur les bancs du BTS Com Visuelle du Lycée Pasteur de Besançon "Ouvert jour et nuit, même durant les vacances… Il y avait des événements ou des projections quasi hebdomadaires ", se souviennent-ils. Puis, c’est la "montée à Paris". Stage pour les uns (passage par le magazine Technikart, l’atelier Malte Martin…), poursuite d’étude pour un autre (un DSA Typo à Estienne puis Gédéon), le trio finit par se retrouver dans ce local de l'usine Chapal, qu’ils partagent avec d’autres graphistes dont Akroe. "Nous refaisions nos books, chacun de notre côté… Rapidement, nous avons réalisé que nous pourrions les rassembler et travailler ensemble", expliquent-ils. L’esprit de groupe semble essentiel pour ce trio.

Le lieu tient plus de l'atelier que du studio : certes, des images habillent les murs et la sacro-sainte bibliothèque – d’ailleurs richement remplie - est bien visible, mais on y découvre aussi un barbecue qui attend les beaux jours, un vélo, des enseignes lumineuses, jouets et autres objets chinés qui lui confèrent un esprit communautaire et entretiennent l’image d’un "bordel organisé". La même fraîcheur est visible dans leurs créations, conçues à six mains : "Quand nous recevons une commande, chacun réfléchit de son côté avant de découvrir les pistes des autres et de continuer ensemble." Le signe, le sens, dominent réellement le discours. "Nous sommes plus volontiers portés vers la photographie que l'illustration", remarquent-ils, "Sûrement notre côté suisse ! Nous étions frontaliers !", précisent-ils avant d'ajouter : "Nous travaillons pour mettre en forme et servir un contenu, un discours qui nous intéresse aussi. Le minimum, c’est d’être lisible, même si cela ne fait pas tout." Une approche visuelle qui ne délaisse jamais le fond, parfaitement illustrée par la série créée pour Le Bar du Marché, dont les portraits des habitués, des gens ordinaires, sont signées Bertrand Desprez (de l’agence VU’). Quant aux influences, difficile d’y voir des références. D’ailleurs, ils confient volontiers ne jamais acheter de livres ou de magazines de graphisme. "Je ne les regarde même plus", avoue Thomas. Leur matière à cogiter est très hétéroclite : des expositions, des films et beaucoup de livres, surtout d’art contemporain.

Point saillant de leur création, le signe domine, comme la typographie. Peut-être encore un effet du voisinage helvète. Avec La Bonne Merveille, les jeux de lettres fusionnent en des couleurs vives et des effets optiques, les trois graphistes y ajoutant une notion de profondeur et de mouvement. Leurs images sont rarement figées, à l'exemple de leur site, simple mais vivant. Leurs travaux y sont mis en scène, en situation, plutôt que simplement plaqués sur un fond blanc. "Réflexion", "explication", "rencontre" sont des mots qui reviennent régulièrement dans la discussion. La plupart de leurs clients sont issus de l’univers culturel : le Festival Jazzdor à Strasbourg, dont ils signent chaque année depuis 2002 les affiches et programmes, le magazine De l’air, dont ils assurent la direction artistique depuis 2002 également, des affiches de concerts, une série d’ouvrages, de multiples collaborations avec des magazines (Magic, un supplément d’À Nous Paris…) ou encore des projets de signalétique d’exposition pour le Centre Georges Pompidou. La Bonne Merveille a aussi signé plusieurs identités visuelles : le logo d’un cabinet d’avocat, celui d’un restaurant, l’identité du Festival Jazzdor…

Cependant, dans la généreuse production "culturelle" de La Bonne Merveille, on ne trouve aucune image dite "engagée", pas de politique, pas de grands discours. "Notre engagement se trouve plus dans le choix des clients et du contenu à servir", expliquent-ils avant d’ajouter : "Hélas, nous pâtissons du travail réalisé par certaines structures, depuis longtemps ou récemment, comme le logo de la SNCF, scandaleux." Car si le trio ne semble récuser aucun support, paraissant même sans a priori, en creusant un peu, on découvre un positionnement sans concession. Et cette intransigeance se retrouve dans leur refus des appels d’offre non rémunérés ou dans leur volonté non négociable de présenter leur book eux-mêmes : "Pas question de le déposer par coursier… A travers notre portfolio, nos partenaires savent ce que nous faisons... Ils viennent peut-être dans notre atelier parce que l’on a quelque chose à dire", avancent-ils avant de lâcher "Nous ne travaillons ni pour la pub ni pour la com !"

Pourtant, on trouve leur signature sur le magazine Fantaisies des Galeries Lafayette ! "C’est différent car Stéphane Brasca, rédacteur en chef de Fantaisies, collabore également au magazine De l’air. Et puis Fantaisies bénéficie d'une vraie réflexion éditoriale, de reportages signés par des photographes..." Ce n’est donc pas tant les supports dits "commerciaux" qui les rebutent mais l’image de la publicité et des agences de communication qui développent, selon le trio, des réponses stéréotypées, privilégiant souvent la "tendance" graphique à un travail de réflexion sérieux et à la création de signes justes. "Nous sommes contactés par des structures pour lesquelles nous n’avions a priori pas conçu notre book…", ajoutent-ils. "Elles ont besoin de fraîcheur… Même si c’est aussi un avantage économique pour elles… Il y a moins en moins de graphistes intégrés aux structures aujourd’hui…" Et le phénomène va s’accroissant. "L’idéal serait pourtant de pouvoir travailler sur la communication d’un lieu, comme un théâtre par exemple, pas tant pour l’univers culturel, mais pour travailler sur la durée et sur l’idée de série. C’est rare mais tellement intéressant !", regrettent-ils.

On ne les retrouvera pas dans la sélection du Festival de l'affiche de Chaumont en 2006, mais il ne serait pas surprenant de les y croiser dans quelques années. La relève est indéniablement assurée.

 

Guillaume Frauly - 04/2006

La Bonne Merveille
2, rue Marcellin Berthelot
93100 Montreuil sous Bois
Téléphone : 01 48 59 43 30